Charte de Chambéry (1968) Étapes et perspectives d’une réforme de l’enseignement des mathématiques

Depuis de nombreuses années, l’Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public (A.P.M.E.P.) étudie les problèmes posés par l’évolution des sciences y compris celle de l’éducation en ce qui concerne l’enseignement des mathématiques. Au sein d’une commission » Recherche et Réforme » qu’elle a pris l’initiative de réunir, des contacts ont été pris avec des professeurs d’autres disciplines, des chercheurs, des psychologues, des ingénieurs. L’action de l’A.P.M.E.P. n’est pas étrangère à la constitution d’une Commission ministérielle pour l’enseignement des mathématiques présidée par M. Lichnerowicz dont le premier rapport publié en mars 1967 marque un changement important sur les conceptions antérieures.

L’assemblée générale 1967 de l’A.P.M.E.P., prenant acte de l’évolution favorable vers une réforme générale de l’enseignement des mathématiques a décidé d’approfondir son travail de recherche pour parvenir à la formulation d’un plan cohérent et réaliste. Après plusieurs réunions restreintes, elle a organisé un colloque principalement consacré à l’enseignement élémentaire et à l’organisation de l’information des maîtres ; du 1er au 4 janvier 1968, une quarantaine de Collègues, instituteurs, directrices d’école normale, inspecteurs départementaux, professeurs de C.E.G., de lycée, d’école normale et de faculté ont élaboré un premier document. Repris et complété par le Comité national de l’A.P.M.E.P. celui-ci lui donne le titre général de Charte de Chambéry et le propose à l’examen des adhérents. Amendé par leurs observations, puis adopté par l’assemblée générale 1968, le Bureau de l’A.P.M.E.P. aura mission de le présenter aux autorités de l’Éducation Nationale, aux maîtres de l’Enseignement Public, aux parents d’élèves et, en général à toutes les personnes qui s’intéressent à l’enseignement des mathématiques. Puisse ce document informer un vaste public, susciter ses réflexions et mieux encore l’amener à concevoir et à réaliser la réforme nécessaire de notre enseignement.

Ce plan a pour but d’exposer les raisons qui militent en faveur d’une réforme continue de notre enseignement « de la Maternelle aux Facultés » puis les modalités selon lesquelles, selon nous, elle peut être réalisée.

En voici l’économie :

1- Pourquoi l’enseignement des mathématiques doit-il être réformé « de la Maternelle aux Facultés » ? Arguments mathématiques, arguments pédagogiques, arguments sociaux ou économiques.

2- Pourquoi la réforme est-elle possible ? Elle est partiellement amorcée en France ; des expériences pédagogiques en confirment les bons effets ; des expériences étrangères renforcent cette opinion ; une large information du public et des maîtres reste indispensable.

3- Comment réaliser la réforme ? Il faut reconnaître l’importance d’une véritable expérimentation pédagogique qui doit être conjuguée avec une information sérieuse des maîtres ; le rôle essentiel de la formation des maîtres, formation initiale et formation continue motive la création des Instituts de Recherche sur l’Enseignement Mathématique (I.R.E.M.) préconisés par la Commission Lichnerowicz ; la voie est ouverte à une évolution continue de notre enseignement.

4 -Premières étapes : l’ampleur des mesures à prendre exige de procéder par étapes ; quelles sont les réformes les plus urgentes, celles qui sont le plus rapidement réalisables ?

5.- Les étapes suivantes : l’échelonnement des réformes est une condition de leur succès ; la préparation à échéance plus longue des étapes suivantes en accroîtra l’efficacité.

6- Conclusion : place des mathématiques dans la réforme générale de l’enseignement ; la coordination avec les autres disciplines, conjonction des efforts pour une éducation heureuse. Loin de vouloir imposer un nouvel "impérialisme » intellectuel, celui des mathématiques, nous voulons faire jouer au dynamisme propre à notre discipline un rôle moteur au bénéfice de tous.

N.B. A la fin de chaque paragraphe nous résumons dans un tableau les points essentiels qui sont présentés plus en détail dans le texte.

Annexe1. Liste des participants à la rencontre APMEP de CHAMBERY (1-4 Janvier. 1968).

Annexe2.Les Instituts de Recherche sur l’Enseignement Mathématique (I.R.E.M

Annexe3.Généralisation des expériences. Recherche fondamentale.
Formation des formateurs.

1. Pourquoi l’enseignement des mathématiques doit-il être réformé "de la maternelle aux facultés » ?

Que l’enseignement des mathématiques soit analysé dans son contenu, dans sa forme pédagogique, ou dans son rôle social ou économique, il est certainement très remarquable que les conclusions soient convergentes ; ce qu’on appelle un peu vite la mathématique moderne, ce qu’il conviendrait mieux d’appeler la conception constructive, axiomatique, structurelle des mathématiques, fruit de l’évolution des idées, s’adapte « comme un gant » nous permettrons-nous de dire, à la formation de la jeunesse de notre temps. Il est important que tous les citoyens et en premier lieu tous les éducateurs en comprennent bien les raisons et dans quelle voie favorable cela conduit l’enseignement.

1. La mathématique est une science vivante : le foisonnement des découvertes s’y conjugue avec une réorganisation de son architecture ; les notions ensemblistes acquises à la fin de XIXe siècle, la notion de structure qui sert d’armature à l’oeuvre de Bourbaki peuvent être comparées, quant à leurs effets, au rôle qu’aurait un urbaniste disposant de crédits pour supprimer les bidonvilles.

Une actualisation des programmes est ainsi rendue possible, comme ce fut d’ailleurs le cas, tout au long de l’histoire, à maintes reprises : au XVe siècle, l’addition et la soustraction n’étaient enseignées que dans de rares écoles de France ; pour la multiplication, on était prié de s’adresser à quelques rares et prestigieuses universités d’Italie ; au XVIe siècle, la division était un exploit de spécialiste ; au XXe siècle, l’introduction des méthodes vectorielles dans la pédagogie mathématique s’est heurtée à une vive résistance, alors qu’actuellement il serait bien gênant de s’en passer, tout comme personne ne peut plus se passer des chiffres arabes.

Aujourd’hui les notions ensemblistes, les structures fondamentales de l’algèbre, les idées de base de la topologie irriguent toutes les mathématiques d’un sang neuf qui a la vertu de rendre mieux accessible un niveau d’abstraction anciennement réservé à des initiés privilégiés. Autour de quelques thèmes principaux s’organise toute l’activité mathématique contemporaine et leur connaissance éclaire aussi bien les problèmes que la ménagère se pose en faisant son marché que les théories que doit affronter le physicien nucléaire, l’ingénieur ou l’architecte. Au temps de la machine à vapeur, il suffisait que certains ingénieurs seuls sachent la théorie de l’intégration ; à l’époque des ordinateurs et de l’automatisation, la lecture d’un organigramme et le maniement des symboles doivent faire partie de la culture de tous.

Il serait d’ailleurs invraisemblable que notre époque marquée par une évolution accélérée dans tous les domaines soit celle d’un étroit conservatisme dans les programmes de mathématiques. Ce qui serait d’autant plus inadmissible que la pédagogie, de son côté, réclame une révolution qui correspond à celle du contenu mathématique.

2. La pédagogie active, fondée sur l’analyse de la genèse des notions chez l’enfant, conduit inéluctablement à une refonte complète de nos méthodes d’enseignement. Sans nier les résultats obtenus par les méthodes traditionnelles, profitant au contraire de l’expérience acquise par les maîtres conscients des difficultés pédagogiques à surmonter, nous pouvons maintenant mettre en pratique des techniques qui ont donné leurs preuves.

Aucun de ces progrès n’aurait été possible sans l’œuvre souvent obscure et toujours admirable de quelques pionniers, théoriciens ou praticiens tels que Piaget, Wallon, Gattegno, Cuisenaire. Freinet, Dienes, Madeleine Goutard, etc. Parce que nous avons conscience de leur devoir beaucoup, nous entendons suivre leur exemple, fidélité dans l’ouvrage qui exige l’examen critique permanent de leurs conclusions. Pédagogie, science ouverte, ou sinon : antiscience.

Nous devons reconnaître l’imperfection de nos méthodes traditionnelles. Le principe affiché de la « redécouverte » n’empêche pas le retour plus ou moins conscient à des méthodes dogmatiques. Les échecs scolaires en mathématiques ont toujours été durement ressentis par les pédagogues. La réforme du contenu de notre enseignement associé à une rénovation des méthodes doit, selon nous, rendre ces échecs scolaires de moins en moins nombreux.

Il faut ici faire justice de quelques mauvais arguments qu’on oppose à la modernisation des programmes : d’abord, il n’est pas question d’introduire toute la mathématique moderne, brutalement, n’importe quand et à n’importe qui. Personne ne songe à faire lire Bourbaki aux enfants du Cours Préparatoire.

On dit souvent : « Nos pauvres élèves ne comprennent déjà pas grand chose aux bonnes vieilles mathématiques. Et vous voulez les lancer dans ce jargon impénétrable, ce symbolisme abscons, ces austères abstractions, qui caractérisent les mathématiques modernes ». En réalité, le vocabulaire et le symbolisme modernes ne sont pas le fait d’un snobisme ridicule dont les élèves devraient souffrir. Non seulement la difficulté de leur tâche ne sera pas augmentée mais encore l’esprit moderne peut et normalement doit apporter un progrès sur le plan purement pédagogique. Il apporte, dit André Revuz, de « grandes idées simples et très puissantes » qui aideront les élèves.

Il faut aussi répondre à des critiques sommaires. On a fait état de « résultats désastreux » de l’introduction de notions modernes dans l’enseignement du second degré. Il ne peut être question de juger ici telle expérience particulière ; d’ailleurs, il est assurément possible d’enseigner aussi mal les mathématiques actuelles que les autres. Cependant, il ne faudrait pas oublier que l’enseignement traditionnel, quelles que soient les qualités des maîtres qui s’y dévouent, n’est pas satisfaisant ; ce sont justement ces maîtres qui en ont conscience et qui voient la nécessité d’une profonde amélioration. Et puis, il ne faudrait pas rejeter sur les « mathématiques modernes » toutes les responsabilités des échecs que rencontrent notre enseignement, alors que ces mêmes échecs sont, aussi abusivement, imputés, dans d’autres cas, à la paresse des élèves ou à leur soi-disant absence de dons.

Sans doute, la période transitoire que nous vivons connaît des difficultés spéciales : le passage des conceptions anciennes aux nouvelles à n’importe quel niveau de l’enseignement, surtout lorsque le passage est brutal, comporte des risques. Ceux-ci n’existeront plus pour les enfants qui commenceront dès la Maternelle leur apprentissage de la mathématique contemporaine.

Nous tenons d’ailleurs à souligner que l’introduction d’un nouveau contenu dans l’enseignement des mathématiques sera inopérante, voire néfaste, si elle ne s’accompagne d’une pédagogie appropriée : active, ouverte, le moins dogmatique possible, faisant appel au travail par groupe et à l’imagination des enfants. A ce propos, médecins et psychologues entre autres s’accordent à estimer qu’un horaire hebdomadaire de 30 heures pour les jeunes enfants est aberrant ; le plan Langevin-Wallon réclamait qu’il soit, pour les enfants de 7 à 9 ans, ramené à 10 heures...

Ces questions de méthodes et de programmes sont étroitement liées. Jusqu’à présent les programmes ont été conçus comme des listes de sujets devant être traités par le maître et assimilés par les élèves dans un même temps très déterminé. Il est bien préférable d’introduire chaque notion « tôt et progressivement » (A. Revuz), en précisant, en approfondissant les concepts sur plusieurs années, si c’est nécessaire, par approches successives. Ce mûrissement permet un apprentissage véritable, acquisition d’un savoir et d’un savoir faire.

En effet, l’acquisition des techniques (numération, opérations sur les nombres, ...) n’est pas abandonnée. Mais la notion de nombre gagnera à être préparée par des rudiments de grammaire des ensembles et de logique. Les enfants sauront compter et calculer plus tard peut-être que ne l’imposent les programmes actuels, mais ils le sauront mieux. D’autre part, du fait de la prolongation de la scolarité obligatoire, la mission de l’école primaire n’est plus d’enseigner les connaissances indispensables dans la vie courante mais surtout de former les esprits, de donner à chacun la capacité de s’adapter aux conditions largement imprévisibles de l’avenir.

Ne manquons pas de répondre par avance à une autre objection : pourquoi ne pas attendre que l’adolescent ait choisi un peu sa voie pour développer telle ou telle branche mathématique qui lui sera plus utile ? Nous demandons au contraire une réforme qui commence par le commencement, dès la Maternelle et le Cours Préparatoire et qui se poursuive progressivement tout au long de la scolarité. Exigence qui répond à l’unité profonde de la mathématique et en même temps au souci de continuité, de la progressivité auquel tous les pédagogues sont attachés à juste titre.

Les réformes que nous préconisons ne sont pas seulement justifiées par des raisons pédagogiques. L’évolution sociale, économique et technologique renforce cette orientation.

3. L’économie moderne demande une formation scientifique plus poussée pour un nombre plus grand d’individus :"Une étude récente montre qu’en 1975... l’économie française aurait un rendement optimum avec 20 manuels proprement dits, là où il y en avait 80 autrefois ; et qu’inversement il lui faudrait 80 travailleurs ayant reçu une formation secondaire ou technique là où ils étaient 20 au début du siècle. Ceux d’entre eux atteignant ou dépassant un niveau d’instruction équivalent au baccalauréat, au lieu de 1 sur 100 il y a une cinquantaine d’années devraient être dans la proportion de 32 %, c’est-à-dire de 1 sur 3 » (Louis Cros, » L’explosion scolaire »). Et pour cette formation, c’est la mathématique qui est requise : « Même si elles (les mathématiques modernes) semblent ne servir à rien, elles sont manifestement un mode de pensée capable de contribuer puissamment à la formation de l’esprit et sans doute n’est-il pas besoin d’être prophète pour affirmer qu’elles serviront à forger les outils de l’ingénieur de demain » (Pr Bastick, chimiste, directeur de l’École Nationale Supérieure des Industries Chimiques de Nancy).

La mathématique contemporaine est utile dans beaucoup de domaines : physique théorique bien sûr, mais aussi ordinateurs, recherche opérationnelle, gestion des stocks d’entreprises, organigrammes des grandes administrations, plannings pour les grands travaux, sociologie, linguistique, médecine (établissement de diagnostics), pharmacie...

Au niveau des enseignements élémentaires, de la Maternelle au Baccalauréat, pour toute la durée de l’enseignement obligatoire, nous pouvons affirmer sans crainte d’être contredits, que la nouvelle formation mathématique est aussi importante pour la culture de chaque individu que pour l’éducation du citoyen et l’apprentissage du producteur.

En résumé : la réforme de l’enseignement mathématique que nous préconisons se fonde :
 sur les idées directrices qui animent la vie mathématique contemporaine ;
 sur les études psycho-pédagogiques qui ont mis en évidence l’importance des méthodes actives et la nécessité d’un accès très progressif aux notions les plus abstraites ;
 sur le rôle primordial joué par les mathématiques dans l’organisation sociale et dans la production des biens et des services.

2. Pourquoi la réforme est-elle possible ?

Ce qui précède le fait déjà comprendre : si les ambitions du mathématicien adulte et celle du jeune élève sont d’ordres très différents leur action créatrice ou constructive est de même nature. La réforme est possible grâce à cette conjonction des objectifs mathématiques et des considérations pédagogiques.

Les tentatives isolées ou fragmentaires qui ont déjà été réalisées au sein même de notre enseignement public français prouvent que les réformes proposées sont réalisables. Ces essais n’ont pourtant pas bénéficié de circonstances favorables : œuvres de maîtres isolés d’abord, il a toujours fallu, pour ces pionniers, mener de front la poursuite de leur entreprise et l’enseignement des programmes officiels.

Aussi a-t-on peu à peu reconnu l’intérêt d’expériences mieux coordonnées soit dans les écoles d’application en liaison avec les professeurs de l’École Normale, soit dans le cadre de la Recherche Pédagogique, organisée par le service spécial de l’Institut Pédagogique National. Nous verrons plus loin pourquoi ces structures sont insuffisantes pour réaliser dans toute son ampleur la réforme que nous demandons. Mais il faut reconnaître, dans l’état actuel des choses, que les expériences déjà réalisées ont eu le mérite de prouver la validité des hypothèses du départ.

L’exemple que nous donnent de nombreux autres pays doit également être pris en considération. En Belgique, sous la direction de M. Papy, de l’Université libre de Bruxelles, l’ensemble des études secondaires en mathématique a été rénové dans une voie très proche de celle que nous préconisons. Les écoles animées par M. Dienes, au Canada, les études dirigées par Mme Krygowska à Cracovie (Pologne), les groupes de professeurs réunis autour de M. Fletcher en Angleterre, etc... sont quelques uns des éléments les plus dynamiques d’un » mouvement » international où l’enseignement français a son rôle à jouer.
Encore faut-il que maîtres et parents d’élèves aient une idée assez précise de cette évolution dans laquelle, tôt ou tard, ils vont se trouver » embarqués ». Au lieu d’être passivement emportés ou ballottés par un courant dont ils ne comprendraient pas l’orientation, si tous les pédagogues étaient bien informés de l’enjeu, ils seraient de bons mariniers et pourraient conduire le bateau de leurs enfants vers les meilleures passes.

En résumé, la réforme est déjà entamée, déjà en voie de réalisation. Les premières expériences, trop peu nombreuses encore, montrent ce qui est immédiatement réalisable. Les réalisations à l’étranger doivent aussi nous servir.

Mais pour que la réforme s’oriente bien, il faut informer les maîtres, les parents, tous les éducateurs des objectifs de la réforme et des conditions optimales de sa réalisation.

3. Comment réaliser la réforme ?

Par la nature même de son objet, la réforme d’un enseignement ne peut être donnée tout d’une pièce et plaquée sans précaution sur une réalité vécue par des millions de personnes. La réforme est une construction progressive. Il ne s’agit pas d’instituer de nouveaux règlements mais de vivre une réforme, la vivre et la faire vivre, c’est-à-dire progresser.

1. Une véritable expérimentation. Nous posons pour cela le principe qu’avant de généraliser de nouveaux programmes, de nouvelles méthodes, il faut prendre le temps d’expérimenter ces nouveautés dans un cadre pédagogique satisfaisant.

Cette expérimentation, pour être significative, doit être organisée sur une échelle suffisante, par exemple, sur un cycle complet d’études de la Maternelle au Cours Moyen 2e année ; les écoles qui pratiquent l’expérience doivent bénéficier de conditions favorables, les effectifs de chaque classe ne pouvant comporter plus de 24 élèves.
L’expérimentation doit se faire dans des milieux socioculturels divers. Il est recommandé de remettre en question à cette occasion la mythologie des notes, des compositions, des classements, des examens...

L’expérimentation aux divers niveaux doit être coordonnée. Les maîtres participant aux expériences à des niveaux différents doivent être en liaison ; ils doivent pouvoir établir facilement des contacts avec des maîtres enseignant d’autres disciplines, avec des personnes extérieures à l’enseignement et susceptibles de les faire bénéficier d’une expérience dans tel ou tel domaine de l’activité sociale.

Enfin, pour servir à tous les maîtres, les écoles expérimentales doivent être facilement visitées ; les résultats des recherches doivent être publiés et mis à la disposition de tous.

Voir (annexe 3) les principes de l’expérimentation pédagogique.

2. La formation des maîtres joue, dans la réalisation des réformes, un rôle essentiel.

Il convient de souligner l’importance primordiale de l’enseignement au stade de l’école maternelle et de l’école élémentaire et son retentissement sur toute la vie scolaire et professionnelle d’un individu. Les découvertes récentes de la psychologie permettent d’affirmer que tout être humain est marqué de façon prépondérante par sa petite enfance. Il semble que ce soit particulièrement vrai dans le domaine de la formation mathématique. L’attitude d’une personne en présence d’une situation mathématique dépend dans une large mesure de la manière dont il a pris conscience des êtres mathématiques. Il est vraisemblable que ces constatations sont valables pour les autres disciplines.

Ces remarques nous conduisent à souligner le rôle privilégié de l’instituteur dans l’enseignement. Les hautes responsabilités qui lui sont confiées lui confèrent une dignité qui nécessite une valorisation de sa fonction. Nous pensons que tous les enseignants devraient recevoir une formation initiale diversifiée mais de même niveau de qualification leur donnant droit à la même rétribution (cf. le plan de la commission Langevin-Wallon).

L’importance de ces responsabilités qui exige une formation initiale très approfondie nécessite également une formation continue.

a) Formation initiale :
Tous les instituteurs doivent bénéficier d’une formation initiale d’une durée de quatre ans après le baccalauréat comportant une formation théorique donnée à l’université et une formation professionnelle qui est de la vocation des Écoles Normales.

La formation initiale des instituteurs et celle des professeurs doit être assurée par une équipe de formateurs comportant, outre les professeurs et directeurs d’école normale, des inspecteurs départementaux, des instituteurs, des professeurs du second degré et de l’enseignement supérieur, des psychologues...

L’horaire de mathématiques (formation théorique complémentaire et applications pédagogiques) proposé est de trois heures hebdomadaires pendant toute la durée de la formation.

Nous préconisons le travail par groupe, de préférence au cours magistral. Cette méthode a le double intérêt d’apprendre aux futurs instituteurs à travailler en équipe et de vivre les méthodes qu’ils devront utiliser dans leurs classes.

Les thèmes suggérés pour ce travail en groupes sont (il est bien entendu que la liste n’est pas limitative)

 Relations. Ensembles.
 Lois de composition.
 Structures.
 Construction d’ensembles numériques.
 Logique.
 Exploration de l’espace.
 Géométrie par les transformations.
 Mesures.
 Probabilités et statistiques.

Chaque thème étant étudié sous les aspects théoriques et pédagogiques.

Les I.R.E.M. (voir plus loin) seront chargés de faire passer ces principes dans les faits

Nous souhaitons qu’à l’avenir tous les futurs maîtres, qu’ils se préparent à enseigner dans le premier ou le second degré, soient formés dans des établissements communs.

b) Formation continue :

La formation continue répond actuellement à un besoin général créé par l’évolution rapide de la vie moderne. Ce besoin est celui de tous les pédagogues, en particulier de ceux qui enseignent la mathématique de « la Maternelle aux Facultés ».

L’organisation de la formation continue pour tous les maîtres ne doit pas entraîner un accroissement de leurs charges professionnelles. Le temps nécessaire doit donc être pris sur les horaires de service, justement parce que cette formation fait partie du service. Les modalités de cette formation continue doivent être diverses : stages, cours par correspondance, émissions télévisées avec écoute collective suivie de débats, etc...

Les documents nécessaires à cette information doivent être soigneusement préparés et peu à peu améliorés à la lumière des critiques des utilisateurs. Les organismes officiels responsables de leur production doivent prendre en charge financièrement leur diffusion auprès du personnel.

3. Les Instituts de Recherche sur l’enseignement mathématique.

Expérimentation et formation des maîtres sont les deux moteurs de la réforme. Pour les faire fonctionner à l’échelle du pays, pour des dizaines ou des centaines de milliers de maîtres, pour des millions d’élèves, il faut disposer d’organismes nouveaux qui pourront mener à bien toutes les tâches indiquées plus haut si l’on veut que les contacts entre professeurs restent à l’échelle humaine. Tel est le rôle des Instituts de Recherche sur l’Enseignement Mathématique (ou I.R.E.M.) dont la Commission Lichnerowicz a dressé le plan (voir annexe 2).

S’il est donc superflu de commenter ce que la Commission ministérielle a si bien dit, précisons cependant que, pour nous, la création des I.R.E.M. implique un nouvel esprit de coopération entre les maîtres de tous les niveaux d’enseignement et que ce nouvel esprit porte beaucoup des espoirs de la réforme.

4. Continuité de la réforme.

Les I.R.E.M. ne sont pas des organismes provisoires à mission limitée dans le temps. Leur création signifie aussi que le concept de réforme continue, d’adaptation permanente de l’enseignement aux conditions scientifiques, pédagogiques, sociales et économiques commence à prendre forme. Il en est temps. Mieux vaut s’adapter que devoir entreprendre des révisions déchirantes.

Nous n’avons pas la prétention d’apporter la dernière pierre à l’œuvre éducative. Nous voulons poursuivre ce que d’autres avant nous ont déjà su faire et permettre à nos successeurs de ne pas trop souffrir des insuffisances de notre action.

Les I.R.E.M., si nous savons en faire des organismes vivants, seront en permanente mutation, comme l’enseignement lui-même, comme les sociétés prospères.

En résumé, la réalisation des réformes commence :
 par une expérimentation pédagogique sérieuse ;
 par un effort toujours accru pour la formation des maîtres : formation initiale et formation permanente.

Les Instituts de Recherche sur l’Enseignement Mathématique seront, à l’échelle académique, les organismes chargés de coordonner expérimentation et formation des maîtres.

La création des I.R.E.M. engage notre enseignement dans la voie de la réforme continue.

4. Premières étapes.

L’urgence des réformes à entreprendre ne peut faire oublier l’ampleur et la nouveauté des réalisations qu’elles impliquent. Il faut donc agir par étapes et fixer très précisément les premières qui engageront l’avenir. Les mesures que nous préconisons concernent :

1. L’aménagement de l’enseignement actuel pendant une période transitoire qui ne devrait pas excéder 5 années. Au niveau du premier degré, cela pourra se faire par la rédaction de nouvelles instructions visant à la simplification des programmes actuels, à leur restructuration (pour mettre en évidence les parties qui requièrent toute l’attention des maîtres) ; l’introduction progressive des notions d’ensemble et de relation, l’accent porté sur la notion d’opérateur, prépareront la mise en application des futurs programmes.

De la Sixième à la Troisième, les nouveaux programmes élaborés par la Commission ministérielle devront avoir le même but. Ce qui suppose le rétablissement de l’horaire réglementaire de 4 heures en Sixième et Cinquième et l’extension aux classes de Quatrième et Troisième de l’heure de travail dirigé par demi-classe.

Dans le second cycle, les mêmes nouveaux programmes seront conçus dans le même dessein. Encore faudra-t-il que les sections techniques retrouvent, en Première et Terminale, l’horaire indispensable aligné sur celui des sections C.

Sur un autre plan, et pour remédier au caractère trop strict de l’orientation en fin de Troisième, une possibilité doit être offerte aux élèves de Seconde A de passer en Première C ou D (option de mathématiques de 2h en 2e A). Une telle mesure sera complétée par un effort de création de sections C et D en Première et en Terminale, tout devant être fait pour favoriser recrutement et formation des scientifiques.

Enfin, nous réclamons que l’effectif de chaque classe ne dépasse pas 30 à partir d’octobre 1968, première étape vers l’effectif normal de 24 élèves par classe au plus.

2. La formation continue des maîtres en exercice doit commencer par celles des maîtres des classes d’application en raison de leur participation à la formation initiale des élèves maîtres. Elle doit toucher aussi tous les maîtres qui participent à des expériences et, en général, tous les maîtres volontaires. Une décharge de service de trois heures consécutives par semaine doit pouvoir être obtenue, en particulier, pour le travail en équipe.

Sans plus tarder, il faut préparer l’information continue de l’ensemble des maîtres en exercice. Ce qui suppose la formation urgente de milliers de formateurs (cf. annexe 3).

3. La création des I.R.E.M. est donc de première urgence. S’il est impensable que chaque académie puisse en être immédiatement dotée il paraît possible d’en créer cinq (Paris, Lyon, Rennes, Bordeaux, Strasbourg) à la rentrée 1968, les autres devant l’être à la rentrée 1969.

Bien entendu, la création de chaque I.R.E.M. doit comporter une dotation de crédits suffisants, l’affectation d’un personnel qualifié et la mise en chantier de locaux appropriés.

4. En liaison avec les I.R.E.M. là où ils existeront, en liaison avec les écoles normales et l’I.P.N., les expériences déjà entreprises dans le premier degré et les Sixièmes seront étendues (en Cinquième) et multipliées. L’organisation de cette expérimentation doit être précisée (voir annexe 3).

5. Des mesures exceptionnelles de recrutement de maîtres seront facilitées par l’aide que les I.R.E.M. apporteront à leur formation ; ce recrutement devra être suffisant dès septembre 1969 pour lever tout obstacle au rétablissement des horaires réglementaires et à la limitation des effectifs des classes à 3à puis à 24 élèves.

En résumé :
- Aménagement des enseignements primaire et secondaire pendant une période transitoire (cinq ans maximum),
 Organisation et développement de la formation continue des maîtres.
 Création de cinq I.R.E.M. en septembre 1968.
 Recrutement exceptionnel de maîtres pour les mathématiques.

5. Les étapes suivantes.

Il serait présomptueux de les fixer dès maintenant et sans connaître les résultats des expériences que comportent les premières étapes.

Contentons-nous de donner, à titre d’exemple, un calendrier qui montre de quelle façon les réformes successives, même si elles sont entreprises à plusieurs niveaux, conduiront dans un délai raisonnable à une réforme d’ensemble.

Information des maîtres : Elle exige la création d’un I.R.E.M. dans chaque académie et la préparation des maîtres en exercice en vue de la mise en application des nouveaux programmes, Les expériences déjà entreprises trouveront ainsi leur place et pourront se développer favorablement.

Mises en application de nouveaux programmes :

Sept. 1969 Sixième Seconde
1970 Cinquième Première
1971 C.P. Quatrième Terminale
1972 C.E. 1 Troisième
1973 C.E. 2 Seconde
1974 C.M. 1 Première
1975 C.M. 2 Terminale
1976 Sixième
1980 Seconde
1982 Terminale

Ce schéma met en évidence le fait suivant : les premiers élèves qui bénéficieront d’une réforme continue du Cours Préparatoire à la Terminale du second degré n’atteindront ce niveau qu’en 1982 si la réforme au Cours Préparatoire est mise en place en 1971.

Les trois années qui nous séparent de cette échéance ne sont pas de trop pour préparer les maîtres et informer le public.

En résumé, l’échelonnement des réformes à entreprendre souligne l’ampleur et la profondeur des changements à réaliser en même temps que l’aspect réaliste de ce plan. Pour aboutir à une première réforme d’ensemble en 1982, il faut se préparer pour commencer en 1971.

6.. Conclusion.

Ce rapport déjà bien long ne concerne que les mathématiques. La réforme de cet enseignement ne trouvera sa complète signification que dans un cadre plus général, nous en sommes tout à fait conscients. Par exemple, l’horaire hebdomadaire des classes primaires, le calendrier scolaire, le régime des examens, tout cela doit être revu. Mais le problème dépasse la compétence de notre seule association. Il faut d’ailleurs proclamer qu’il est politique parce que d’intérêt national.

Au moins pensons-nous avoir contribué, en soumettant ce rapport, à l’amorce de solutions qui nous paraissent réalisables dans la mesure où nous aurons tous, citoyens, parents et maîtres la volonté de les réaliser. Comme toujours en ce domaine, il est plus facile de dresser des plans que de passer aux actes. Parce que nous vivons les difficultés actuelles de notre enseignement, parce que nous avons souvent pris les initiatives, en particulier dans le domaine de l’information des maîtres, nous avons cru pouvoir, ou mieux, devoir dire ce qui nous paraît nécessaire et possible.

Cela ne signifie pas que nous succombions à une sorte de tentation, celle de l’impérialisme des mathématiques. Si nous sommes conscients des nécessités que l’enseignement de notre discipline implique, nous savons aussi combien la coordination entre spécialistes est indispensable ; nous savons quels bénéfices nous avons toujours tirés des contacts que nous avons pris hors de notre profession. Nous voulons plutôt, faire servir la réforme de l’enseignement des mathématiques à l’enseignement tout entier.

Et le fait que nous ayons élaboré ce rapport - on peut se douter que ce ne fut pas facile - assure que pour œuvrer aux réalisations qu’il propose, nous ne ménagerons pas notre peine. Ce qui nous autorise, à nos yeux, à demander de la part de tous les citoyens et de notre administration l’effort que toute réforme comporte : des hommes, des crédits, du temps (voir annexe 3).

Le Bureau de l’A.P.M.E.P.

Le texte proposé à l’examen de tous les membres de l’APMEP à l’occasion de l’assemblée Générale du 5 avril 1968 a recueilli :
Votants : 653 ; pour 589 ; contre :16 ; abstentions : 48

ANNEXE 1.

LISTE DES PARTICIPANTS A LA RENCONTRE APMEP DE CHAMBERY (1-4 JANV. 1968).

BANDET E., Prof. E.N., 07-Privas ; Mme BAPIOLADE, Inst. d’École annexe, 73-Chambéry ; C. BLANZIN, Prof. C.E.G., 75-Paris ; R. BONNET, Assistant à. la Faculté de Lyon, 69-Lyon ; Mme G. BONNETAIN, Prof. E.N., 38-Grenoble ; G. BOUGAULT, Inspecteur départemental, 01-Crépieux-la-Pape ; G. BROUSSEAU, Inst. chargé d’études au C.R.D.P. de Bordeaux, 33-Cenon ; Mlle J. BUCHER, Prof. E.N., 57-Metz ; A. CAYSSIALS, Prof. Lycée, 13-Marseille ; Me M. CHAUSSIER, Prof. Lycée, 71-Mâcon ; Mme et M. J. COLOMB, Prof. Lycée, 69-Sainte-Foy-les-Lyon ; Mlle C. COMMEAU, Prof. C.E.G., 21-Semur-en-Auxois ; M’le COQUARD, Inst., 42-Saint-Laurent-la-Conche ; Mlle S. COUTIS, Prof. E.N., 69-Lyon ; K. DESCAMPS, Inst., Épagne, par 80-Pont-Rémy ; Mlle D. DOMINIQUE, Prof. Lycée, 71-Mâcon ; Mme DOUBLE, Inst. à 69-Francheville-le-Haut ; DUCEUX, Prof. Lycée, 80-Amiens ; DUVERT L., Prof. Lycée Techn., 69-Lyon ; R. GAUTHIER, Prof. Lycée, 69-Lyon ; M. GLAYMANN, Maitre-assistant à la Faculté de Lyon, 69-Sainte-Foy-les-Lyon ; Mme Y. JACQUEMIER, Direct. E.N., 38-Grenoble ; KUNTZMANN, Prof. Fac. Grenoble, 38-Saint-Martin-d’Hères ; Mme H. LACOMBE, Prof. E.N., 72-Le Mans ; R. LACOUMETTE, Prof. Lycée Techn., 67-Strasbourg ; Mlle S. LHERMITTE, Prof. C.E.G., 60-Maignelay ; MARCHAL, Inspecteur Pédagogique Régional, 38-Grenoble ; Mme MENJOZ, Direct. d’École annexe, en retraite, 73-Chambéry ; Mme P. MORET, Inst. d’école d’application et R. MORET, Prof. E.N., 51-Châlons-sur-Marne ; M. PELLISSIER, Inst., 38-Venerieu ; POLY A., Prof. E.N.S. Saint-Cloud, 92-St-Cloud ; G. PRAUTOY, M.A., 21-Chenove ; REDARES, Prof. Lycée, 30-Alès ; Mme ROBERT, Direct. E.N., 73-Chambéry ; Y. ROUSSEL, Prof. C.E.G., 62-Pernes-en-Artois ; Mme ROSAZ, Direct. d’École d’application, 73-Chambéry ; J. SAMSON, Prof. Lycée, 67-Strasbourg-Neudorf ; L. SAUTEREAU, Prof. Lycée, 58-Cosne ; G. TARRALLE, Prof. E.N., 17-La Rochelle ; Mme M. A. TOUYAROT, Prof. E.N., 14-Caen ; Mme M. VASSEUR, Prof. Lycée, et A. VASSEUR, Assistant Fac. Poitiers, 86-Montmorillon ; Mme J. ZAMMIT, Prof. Lycée Techn., et C. ZAMMIT, Prof. E.N., 03-Moulins.

Annexe 2.

Les Instituts de Recherche sur l’Enseignement Mathématique (I.R.E.M.).

De la partie III du « Rapport préliminaire de la Commission ministérielle » publié dans le Bulletin de l’A.P.M.E.P. n° 258 nous reproduisons les passages relatifs aux I.R.E.M., éléments essentiels de la réforme.

Après avoir cité les études menées dans de nombreux pays pour l’améliora¬tion de l’enseignement des mathématiques, le rapport conclut qu’un énorme travail d’information, de perfectionnement des maîtres et de mise au point des méthode d’enseignement doit être entrepris. La commission constate que cette tâche doit s’étendre sur les trois ordres d’enseignement et qu’il n’existe pas, en France. d’organismes aptes à l’assurer.

C’est pourquoi il convient de créer progressivement auprès des différentes Universités des Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques (I.R E.M.) ayant le statut d’Instituts d’Université et recevant la double mission d’assurer la formation continue des maîtres de tous les niveaux et d’organiser les expériences désirables sur l’enseignement des mathématiques, afin de pouvoir faire passer des conclusions éventuelles dans les faits, de manière plus ou moins pro¬gressive.

La Commission estime que, dans l’exercice de leur double vocation, les I.RE.M. doivent faciliter ou provoquer le travail en équipe et tisser tout un réseau d’équipes à travers une Académie. Ils devraient viser à être des lieux privilégiés où se retrouveront tous ceux, quel que soit leur statut, qui directement ou indirectement ont à l’échelon régional des responsabilités concernant l’enseignement mathématique. Ils pourraient ainsi être des cellules d’accueil pour des personnalités étrangères intéressées.

On trouvera ci-après le schéma d’organisation d’un I.R.E.M. La Commission suggère que cette organisation soit expérimentée par la mise en place immédiate (en octobre 1967, si possible) de trois ou quatre I.R.E.M. dans des Universités s’intéressant déjà aux problèmes de l’enseignement mathématique (il pourrait s’agir par exemple de Paris, Lyon, Strasbourg). D’autres I.R.E.M. pourraient être ensuite créés au rythme de quelques unités par an. Un organisme léger, le directoire des I.R.E.M., assurerait la coordination et la direction à l’échelon national.

La Commission souhaite que le directeur d’un I.R.E.M. soit, sauf cas exceptionnel, un professeur de mathématiques d’une Faculté des Sciences. Ce directeur serait nommé pour une période de trois ans renouvelable une fois au plus de manière consécutive. La Faculté des Sciences et le directoire des I.R.E.M. émettraient un avis sur cette nomination et le renouvellement éventuel.

Le personnel enseignant nommé à la disposition d’un I.R.E.M. ne devrait y assurer que la moitié de son service, l’autre moitié étant faite sous forme d’enseignement dans les établissements de la ville siège de l’I.R.E.M. La durée du séjour d’un enseignant dans un I.R.E.M. ne devrait pas dépasser trois ans. A l’issue de ce séjour, cet enseignant, remis à la disposition de la direction des personnels, recevrait une affectation normale. Les désignations des enseignants affectés à I’LR.E.M. doivent faire l’objet, avant la préparation du mouvement, d’une notification du directoire des I.R.E.M. à la direction des personnels.

Annexe 3.

Généralisation des expériences. Recherche fondamentale. Formation des formateurs.

Au cours des premières étapes de la réforme, il faut envisager l’extension progressive des expériences déjà réalisées. Dans un tel type d’entreprise il importe d’engager progressivement de plus en plus de volontaires sans entraîner corrélativement de risques pour la scolarité des élèves qui nous sont confiés. Nous sommes persuadés que seul le travail en équipe est efficace, aussi faut-il souhaiter que se constituent des groupes de travail sur un cycle entier de premier ou de second degré. Toutefois, dans l’hypothèse d’une solution de continuité, il faudra au moins organiser des équipes par blocs (C.P., C.E.) ou (C.M.) et éviter que deux classes d’un même niveau, d’une même école, soient disjointes.

Une équipe de travail comprendrait
 les maîtres des classes intéressées qui sont expérimentateurs volontaires ; - le directeur de l’école ;
 les formateurs, responsables de la formation des maîtres ;
 éventuellement les autres maîtres de l’école qui le désirent.

Dans une circonscription, les équipes de travail seront mises en route et aidées par une équipe de gestion formée de l’Inspecteur départemental, de ou des directeurs d’écoles intéressés, de ou des formateurs, de ou des psychologues scolaires, d’un ou de plusieurs représentants des I.R.E.M.

Les expériences déjà entreprises suggèrent le schéma de fonctionnement suivant :
a) Après avoir organisé l’expérience, l’équipe de gestion se réunit une fois par mois ou par trimestre pour faire les bilans et élaborer les projets de travail à moyen terme.
b) L’équipe de travail de chaque école se réunit chaque semaine pour
  un examen critique collectif du travail fait dans chaque classe pendant la période écoulée ;
  une analyse du programme proposé par l’équipe de gestion et la préparation en commun du travail de la période suivante ;
  un complément de formation théorique ou pédagogique, pour expliquer telle ou telle difficulté. La constitution d’un cahier d’expériences où seront rassemblés thèmes étudiés, préparations, remarques et critiques, permettra à l’équipe de gestion de suivre la progression des expériences.

Remarques importantes

1° Il est évident qu’un assouplissement des horaires sera presque nécessaire. Les activités dirigées pourraient être l’occasion de manipulations ou de jeux mathématiques.

2° La formation théorique des maîtres se prolongera sur le « tas » au fur et à mesure des préparations hebdomadaires ; c’est à l’épreuve une méthode efficace. Il sera cependant indispensable que les maîtres soient préparés à l’avance à cet enseignement par l’étude préalable d’un programme minimum.

3° Il est absolument indispensable d’informer les parents dès le départ de l’expérience, soit par une réunion d’ensemble, soit individuellement au moment de l’inscription. On précisera bien que les objectifs fondamentaux ne sont pas touchés. D’ailleurs l’ouverture des Sixièmes expérimentales devrait, en diminuant le fossé entre les deux ordres d’enseignement, rassurer les parents sur la continuité des études des enfants.

4° La surcharge de travail nécessaire à la conduite de ces expériences devra être compensée par une réduction d’horaire pour le maître et facilitée par une réduction des effectifs.

5° Il serait souhaitable que, pour l’enseignement du premier degré, les premières tentatives soient faites dans les écoles annexes ou d’application qui sont dans les conditions les plus proches de celles que nous avons proposées et constituent d’excellents vecteurs de diffusion.
Organisation pratique. - Si le travail d’équipe est la règle pour les maîtres, il est non moins recommandé pour les élèves. On procédera donc le plus souvent à un regroupement des tables en ateliers de 4 à 6 élèves. On proposera des fiches de travail collectif où seront sollicitées l’activité et la responsabilité de tous les membres de l’équipe, ce qui n’exclut pas les fiches de travaux individuels. On réduira le nombre et la durée des leçons ex-cathedra, ou plus exactement des exposés où le maître seul a la parole. C’est un droit et un devoir pour lui de savoir prendre la parole sans en abuser, pour animer le groupe-classe, présenter un sujet d’étude, dégager une synthèse à partir des recherches de tous, etc.
Il serait opportun de démultiplier les tableaux tout au long des murs, de prévoir par exemple des panneaux ardoisés amovibles couvrant les groupes de tables et sur lesquels on utilisera toute technique expérimentée dans l’esprit des méthodes actives.
Si l’emploi de matériels est, à tous niveaux, indispensable, l’emploi exclusif d’un seul est à déconseiller. Ils peuvent d’ailleurs être fabriqués par le maître, ou par l’atelier local, ou achetés dans le commerce.

Enfin, chaque équipe de travail devra disposer librement de moyens de reproduction (ronéo, alcool par ex.) et de matériel audio-visuel (par ex. rétro-projecteur).
La recherche fondamentale.

En même temps que se généralisent les expériences selon les règles énoncées ci-dessus, une recherche fondamentale doit se préoccuper de découvrir et de formuler avec rigueur et la plus grande sûreté possible les objectifs nouveaux de l’enseignement des mathématiques, en particulier au niveau du premier degré.

Cette recherche fondamentale peut se proposer les objectifs suivants :
 déterminer dans les mathématiques contemporaines ce qui n’est pas enseigné actuellement au niveau primaire, mais peut être assimilé par l’enfant et susceptible de lui être utile pour sa formation et son insertion dans le monde de demain. (Le projet de programme de l’A.P.M., bulletin 258, p. 272, est une première tentative dans ce sens.)
 Expérimenter des méthodes pédagogiques appropriées.
 Dans un premier temps, élaborer un programme futur pour tout l’enseignement élémentaire ; il sera mis en application suivant un plan précis et daté, en liaison avec les recherches analogues dans l’enseignement du second degré (projet LICHNEROWICZ).
 Poursuivre cette recherche fondamentale après la mise en œuvre des nouveaux programmes : c’est une recherche permanente.
Cette recherche fondamentale sera organisée et contrôlée par les I.R.E.M. en liaison avec les Ecoles Normales.

Il est recommandé de mener chaque expérience sur un cycle complet, par exemple de la Maternelle au C.M. 2, de la Sixième à la Troisième... ; d’inclure dans l’expérience toute l’école (maîtres et élèves) qui recevra le statut d’école expérimentale ; de remettre en question la mythologie des notes, des compositions, des classements, des examens...
Conditions impératives : effectifs de 24 élèves par classe au plus ; expérimentation dans des milieux socio-culturels divers ; création dans l’établissement expérimental d’un laboratoire de mathématiques.

Il est bien évident que tout ce qui a été précisé plus haut en ce qui concerne les méthodes de travail et les conditions matérielles favorables à la généralisation des expériences s’impose encore davantage dans la recherche pédagogique fondamentale. L’organisation peut être calquée sur celle qui a été décrite plus haut, mais il conviendra, pour les équipes de gestion et de travail, de mettre l’accent sur, une analyse critique rigoureuse des résultats de l’expérimentation. Tous les moyens d’investigation moderne (tests programmés, ordinateurs...) devront être mis à la disposition de ces chercheurs.
Les I.R.E.M. auront pour mission de coordonner les recherches et de faire une synthèse de ces travaux.

La formation des formateurs.

Pour informer les maîtres en exercice, pour conseiller ceux qui participent à des expériences ou pour encadrer ceux qui sont associés à des recherches, les I.R.E.M. devront disposer de moyens suffisants : des hommes et des crédits. Préciser ces moyens et leur mise en œuvre est l’objet de cette dernière partie.

Pour une zone géographique à déterminer, un I.R.E.M. dispose d’une équipe de formateurs, d’origine et de formation diverses. Il dispose d’un budget propre pour assurer ses missions. L’I.R.E.M. est seul responsable de la recherche.
La détermination des missions, des liaisons, la formation des formateurs, sont assurées au sein de l’I.R.E.M. par les personnes et les institutions constitutives de cet I.R.E.M., en particulier les Ecoles Normales.

C’est l’I.R.E.M. qui décide du choix des formateurs et du renouvellement de leur contrat.
Dans l’équipe des formateurs, il n’existe aucune sorte de hiérarchie, quelle que soit l’origine de ces formateurs.

1. Rôle du formateur.

 Son rôle et ses activités sont assez diverses en raison même des tâches qui lui sont confiées. Il est important de considérer que le formateur ne doit pas être un individu qui travaille seul ; il participe au contraire à un véritable travail d’équipe : cette équipe doit être constituée de telle sorte qu’elle comprenne au moins un mathématicien et un pédagogue averti des problèmes du niveau de l’enseignement considéré. Ce qui explique que ces formateurs pourront avoir des origines diverses.

Rôle du formateur

 il guide une expérience pédagogique ;
 il participe à la formation mathématique continue des maîtres ;
 il participe à toutes les discussions sur le travail effectué ;
 il peut assister à la classe de mathématiques et à d’autres classes et pourra lui-même prendre épisodiquement la classe en main.

2. Choix du formateur.
 Les aspects divers des rôles du formateur font qu’il pourra être choisi d’une manière très large. Ce formateur doit être un volontaire, il doit avoir enseigné ; dans tous les cas, il doit avoir reçu une formation mathématique suffisante. On peut d’ailleurs concevoir plusieurs niveaux de formateurs.
11 est choisi sur une liste de volontaires par le conseil de l’l.R.E.M. après avis des personnes ou des organismes intéressés : Ecoles Normales, LD.E.N., etc.

Il peut être
 membre de l’enseignement supérieur ;
 professeur de l’enseignement du second degré, en particulier, professeur d’Ecole Normale ;
 professeur de C.E.G. ;
 instituteur, en particulier maître d’application, conseiller pédagogique, etc. ; - inspecteur départemental.
Dans un premier temps, le nombre des instituteurs formateurs sera certainement limité ; il est souhaitable que ce nombre augmente assez rapidement à mesure de l’élargissement des expériences, les instituteurs ayant participé à des expériences pouvant devenir formateurs en plus grand nombre.

3. Formation du formateur.

 Cette formation doit revêtir un double aspect

1° La formation initiale.
- Le candidat formateur sera déchargé totalement de son service durant une année pendant laquelle il continuera à percevoir son traitement. Durant cette année
 il reçoit une formation théorique complémentaire du point de vue mathématique et pédagogique ; cette formation pourrait être donnée sous forme d’options suivant l’origine de la formation antérieure du futur formateur ; il reste à préciser la nature précise de ces options et leurs programmes ;
 il est envoyé en mission en France ou à l’étranger pour prendre connaissance d’expériences diverses et de travaux originaux ; durant ces missions il est totalement pris en charge par l’LR.E.M. ;
 il participe à des stages divers sur toutes les questions qui pourront lui être utiles dans ses activités, en particulier : problèmes psycho-pédagogiques ; dynamique de groupes ; moyens audio-visuels ; enseignement programmé ; utilisation de la télévision ;
 il dispose de toute la documentation concernant les travaux récents de recherche en pédagogie des mathématiques ;
 si le formateur n’est pas issu du premier degré, tous les moyens seront mis en œuvre pour l’informer des conditions de travail de l’instituteur, ses méthodes, son rôle (de même tout formateur destiné à exercer au niveau n doit être informé des conditions de travail des maîtres à ce niveau).

A la fin de cette année de stage, il doit rédiger sous la forme d’un court rapport, un travail personnel sur les expériences qu’il aura pu étudier, sur toute question particulière touchant la pédagogie des mathématiques au niveau de ses recherches...

2° La formation continue.
- Pendant son activité, le formateur poursuit ce travail sous des formes diverses
 il peut lui-même participer à une recherche dans une classe ;
 il reçoit un complément de formation théorique sur les questions qui touchent les programmes de l’année à venir ;
 il assiste à des rencontres et confrontations sur les expériences en cours
 il rédige des documents, des fiches de travail, éventuellement des émissions de télévision ;
 en liaison avec le psychologue, il participe au dépouillement des contrôles et tests sur l’expérience.

4. Esquisse d’un statut administratif du formateur.
 Le formateur choisi par la direction de l’I.R.E.M. après avis des organismes intéressés par son action est sous l’autorité de l’I.R.E.M.

Son statut administratif doit être assez souple, il pourra varier d’un individu à l’autre ; ce statut doit être élaboré de telle sorte que la fonction de formateur ne soit pas une nouvelle carrière. Il n’est pas question de créer une nouvelle catégorie de maîtres.
Le formateur est, après une année de décharge complète, déchargé d’une partie de son service (1/2 service) ; il reste donc en activité dans son corps d’origine.
Il est chargé de mission (par ex. 3 ans) sous forme d’un contrat qui engage la direction de l’I.R.E.M. et le formateur.

Ce contrat peut être renouvelé. La décision de renouvellement appartient direction de l’I.R.E.M. après avis consultatif à déterminer.
Le formateur est assuré de retrouver son poste complet dans son corps d’origine après son passage à l’I.R.E.M.
Le formateur n’a aucune prérogative hiérarchique (note, inspection ...) sur l’instituteur ou le professeur dont il est un collaborateur. L’instituteur ou le professeur reste maître de la classe dont la responsabilité lui a été confiée.
Il conviendra d’étudier un système d’avancement au sein de l’I.R.E.M. de telle sorte que le formateur ne soit pas lésé dans son avancement au sein de son corps d’origine.

Mesures administratives diverses.
En plus des mesures administratives propres au recrutement, à la formation et au service des formateurs, il importera de prendre des mesures administratives nouvelles en harmonie avec les buts que la réforme se propose d’atteindre.

La formation d’équipes de maîtres au sein de chaque établissement implique des décharges de service pour certains maîtres chargés d’un rôle d’animation, une organisation appropriée des horaires des classes, l’organisation de liaisons faciles au sein de l’I.R.E.M. et entre l’LR.E.M. et les établissements de son ressort, l’établissement d’un climat de confiance réciproque et de coopération.
Le recrutement des formateurs créant des vides dans les rangs des maîtres en exercice devra être accompagné d’un recrutement supplémentaire de maîtres qualifiés.

La formation continue des maîtres devra observer les recommandations suivantes
 le travail supplémentaire ainsi demandé aux maîtres en exercice doit être inclus dans leur service normal ;
 cela suppose que deux après-midi au moins doivent être laissés à la disposition des maîtres pour ce travail de perfectionnement ;
 la première demi-journée (dans certains cas, ce pourrait être le samedi après-midi) serait consacrée à l’information mathématique, la seconde à la réunion de l’équipe d’établissement ;
 il faut prévoir, dans le service de chaque maître, la participation à des stages divers.

La réalisation de ces mesures entraînera, par la force des choses, une réforme de l’horaire de travail des élèves : hautement désirable pour des raisons qui tiennent autant à l’hygiène qu’à la psycho-pédagogie, cette réforme devra permettre un nouvel équilibre entre les activités intellectuelles et physiques, un développement des activités artistiques. L’obligation de faire une place à la formation continue dans le service des maîtres sera une raison supplémentaire de prendre enfin des mesures favorables à l’épanouissement de la jeunesse scolaire.

Conclusion.
Favoriser l’évolution de notre enseignement dans les directions générales précisées par « la Charte de Chambéry », organiser la recherche pédagogique fondamentale, recruter et former les formateurs qui permettront aux I.R.E.M. de mener à bien leurs tâches immenses : il était indispensable que la Charte de Chambéry précise les moyens pratiques de passer des vœux aux réalisations.

Malgré l’insuffisance des moyens mis à la disposition des maîtres, ceux-ci refusent de s’en tenir à l’enseignement tel qu’il est. Ils font de leur mieux pour que s’engendre enfin l’école qui conviendra à notre monde en évolution. Cependant, ils sont conscients de la vanité de leurs efforts si l’administration ne met pas à leur disposition les moyens financiers, les structures administratives, seuls susceptibles de donner à leur action sa véritable portée.

Cette administration étant celle de l’Etat, ils appellent l’ensemble des citoyens à prendre conscience de ses devoirs envers la jeunesse et l’avenir de leur pays.

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