DESARROI

J’ai souvent pris la plume, au retour des journées de l’APMEP, pour dire mon enthousiasme. Il me semble légitime, au retour de Clermont-Ferrand, d’exprimer publiquement mon désarroi. Non que l’accueil et le programme proposés par les collègues clermontois ne fussent parfaits en tout point. Mais jamais je n’ai si fort ressenti le décalage entre moi, professeur de collège, le nez au ras des pâquerettes, et les princes qui nous gouvernent. Moi, qui n’avais sans doute jamais eu l’idée de me mettre debout sur mes deux jambes, histoire d’augmenter ma profondeur de champ, j’arrivais vibrante d’espoir, pour écouter ceux qui réfléchissent et qui pensent, ceux qui décident et mieux encore, éclairent ceux qui décident. Le thème s’y prêtait : l’évolution de l’enseignement des mathématiques, vu à travers trois conférences plénières.

Monsieur Chevallard a ouvert le bal en défendant son point de vue avec brio et en bousculant quelque peu l’assemblée. Après tout, il était dans son rôle. Libre à nous de lui dire que, s’il a été convaincant dans l’analyse, il l’a moins été dans ses propositions pour mieux construire, et qu’on peut s’inscrire en faux sur son dernier propos. Oui, bien que profondément laïque, je pense pour ma part qu’il y a de l’affectif dans la transmission, quelle qu’elle soit et que tenter de faire aimer les maths est dans ma mission.

Monsieur Dhombres, avec la prudence de l’historien, a évité l’histoire trop récente et ses propos n’ont guère dépassé le 19ème siècle. J’ai bien senti que je prenais grâce à lui un recul nécessaire. Peut-être pas suffisant.

J’attendais beaucoup de la conférence de Monsieur Bouvier. Universitaire, mathématicien, impliqué de longue date dans la réflexion autour du système scolaire, ayant occupé diverses fonctions au cœur du système et au plus haut niveau, membre du Haut Conseil de l’Education, il me semblait bien choisi pour éclairer sur notre mission les tâcherons du ras du sol, les techniciens de surface que nous sommes. La déception fut amère.
Sur le sujet qui me tenait à cœur, le socle commun de compétences et de connaissances,
Monsieur Bouvier est satisfait. Il a bien fait son travail. D’ailleurs, il y a eu consensus sur les mathématiques : le rapport au vrai et à la rigueur qu’apporte notre discipline est reconnu sans peine comme essentiel. D’ailleurs, il a auditionné Jean-Pierre Serre, qui a convaincu avec brio les huit autres membres du HCE de la sublime beauté de la démonstration de l’infinitude de l’ensemble des nombres premiers. Tout va bien [1].

Auditionner Jean-Pierre Serre, soit. Mais les avez-vous entendus, eux, les vrais intéressés, avec leur ventre à l’air, leur capuche sur la tête, le nez sur l’entrejambe à ras de terre du pantalon du copain ? Eux dont la fréquentation directe vous aurait aidé à mesurer le décalage entre vos nobles propositions et la réalité ? Eux, quelques représentants des 150 000 qui sortent chaque année du système scolaire sans rien ? Eux qui sont justement la cause de cette préoccupation majeure à laquelle le socle se voulait une réponse ?
Je ne peux pas croire que, l’ayant fait, vous n’ayez pas senti le problème.

Quant à Monsieur Moisan, doyen de notre Inspection Générale, qui est maintenant le bras séculier de votre pensée, puisqu’il a la lourde charge d’articuler les mots avec la réalité, je ne peux pas croire à sa sincérité quand il exprime la surprise devant nos réactions. Trop ambitieux, le socle ? Quelle drôle d’idée ? Vous êtes bien la première à émettre ce genre de doute. Attendez donc, il est en cours de définition le socle. Sept commissions, sans doute composées de sept sages, sont au travail, sur les sept compétences. Un vrai conte de fées.

C’est bien de désarroi qu’il s’agit : ces chercheurs, ces penseurs, ces responsables que je respecte peuvent-ils faire à ce point fausse route en n’en voyant pas l’évidence : le socle, superbe compromis historico-politique issu de leurs travaux laisse le problème exactement inchangé, ruinant les espoirs d’évolution dont il était porteur. Dois-je les penser insincères ? Ou dois-je me dire que mon pessimisme reflète juste l’extinction d’un volcan intérieur, au réveil duquel nos amis de Clermont avaient pourtant vaillamment œuvré ?

Notes

[1la même anecdote existe dans l’autre sens : en d’autres temps, Michel Broué, devant une instance présidée par un certain philosophe qui plus tard eut l’heur d’être ministre, tenta de présenter l’histoire des équations à ses pairs et fit un flop chez les non scientifiques, dès le premier degré. Jean-Pierre Serre est plus pédagogue que Michel Broué.

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