Bulletin Vert no 435
septembre — octobre 2001

Editorial du Bulletin 435. Le grand défi : remettre les élèves au travail !

Certains élèves travaillent peu, trop peu, voire pas du tout. Ce phénomène n’est pas nouveau, ne concerne pas seulement les mathématiques même s’il a souvent été évoqué dans les publications de l’APMEP, mais il était marginal. Jusqu’à ces dernières années, il ne concernait qu’une petite minorité d’élèves.

Même si certains en tiraient déjà leur titre de gloire, la plupart se sentaient coupables et s’efforçaient de masquer leur désintérêt, leur ennui, leur négligence, leur paresse par des procédés peu recommandables. À l’école il était alors « normal » de travailler, les familles et l’institution scolaire toute entière y veillaient. Le savoir
était une valeur sûre, un facteur de promotion sociale, les entreprises, la société accordaient de l’importance à la formation et aux diplômes.

Aujourd’hui, les valeurs ont changé, le travail n’en est plus une, les diplômes ne garantissent plus l’emploi, le progrès lié au savoir est mis en cause.

Alors que l’école n’a jamais été autant critiquée, on multiplie ses missions, y compris de suppléer au déficit d’éducation des familles : ses objectifs en sont d’autant plus brouillés. La majorité des adolescents ne savent plus très bien pourquoi ils sont là, travaillent peu, mal ou pas du tout. Ils se contentent trop souvent d’à peu près, renâclent à rédiger, « je me comprends » est devenu l’ultime justification. Ils renoncent trop vite devant le moindre obstacle, comme s’ils n’avaient pas conscience des vertus de la persévérance et de la rigueur. Et, pourtant, les mêmes sont capables de s’impliquer avec une surprenante détermination dans d’autres activités (sport, théâtre, informatique, …). Certains estiment même qu’ils n’ont pas à justifier leur non travail.

Même s’il existe toujours des élèves qui travaillent, qui s’efforcent de faire de leur mieux, ils ne sont plus qu’une petite minorité. Aujourd’hui, la norme à l’école n’est plus le travail mais le non-travail.

Comment en est-on arrivé là ? Il y a bien sûr l’évolution de la société où l’image a plus d’importance que la réalité, la perte des valeurs « traditionnelles » jugées ringardes, la crise économique, le chômage, l’argent facile, la corruption, les familles décomposées ou recomposées, etc.

La responsabilité des enseignants me semble limitée. Peut-on sérieusement leur reprocher de n’avoir pas toujours su, malgré leurs efforts, intéresser en permanence leurs élèves alors qu’ils ont largement contribué à une certaine réussite de la massification de l’enseignement ?

La responsabilité des divers responsables du système éducatif me semble plus grande ; dans la nécessaire évolution de l’école, ils ont plus privilégié le laxisme que la rigueur, plus la gestion des flux d’élèves que leur formation.

En caricaturant à peine, nos élèves ont parfaitement compris qu’une année sur deux leur passage en classe supérieure est « automatique » ou tout comme puisque ce sont les parents qui décident ; l’année d’après, le conseil de classe peut faire obstacle, mais, comme il existe deux procédures d’appels, ils estiment probable que l’une des deux leur donnera satisfaction ; au pire ils redoubleront et miseront alors sur l’indulgence qui, en fait, leur est souvent accordée. Dans ces conditions à quoi bon faire des efforts ?

D’ailleurs, le redoublement lui-même est fortement mis en cause.

Constatant que les élèves travaillent de moins en moins, on a réduit le nombre d’heures de cours, sans pour autant augmenter le temps de présence dans l’établissement, ce qui aurait pourtant facilité leur travail et contribué à réduire les inégalités sociales. Au nom d’un pseudo apprentissage à l’autonomie, les études sont de moins en moins surveillées, ce qui induit surtout le bavardage et la superficialité.

Inciter les élèves à quitter le lycée entre les heures de cours, donc à fréquenter les cafés de la ville, ne me semble pas un objectif éducatif. Je ne me résigne pas à croiser des élèves qui quittent le lycée à 8 heures du matin…

Un ministre a même installé un climat de défiance entre les familles et les enseignants, entre les élèves et leurs professeurs, entre la hiérarchie et le corps enseignant. Or comment enseigner, former sans la moindre confiance ? Pas une confiance aveugle, une confiance lucide, vigilante, critique.

On peut estimer que je dramatise, que la situation n’est pas si grave puisque les taux de réussite au bac et aux divers examens sont stables donc rassurants. Mais ne s’agit-il pas là d’un effet artificiel, correspondant plus à la gestion des flux qu’au niveau des candidats ?

Cet état de non-travail est d’abord préjudiciable aux élèves eux-mêmes. Il est, bien sûr, possible de réussir sa vie sans diplôme mais c’est quand même moins difficile avec et je doute que l’aléatoire apport des médias ne compense sérieusement la formation donnée par l’école, même si celle-ci pourrait être meilleure.

Peut-on sérieusement soutenir que l’état de non-travail relève de choix délibéré, les libertés individuelles sont-elles réellement en jeu ? Ces jeunes ne demanderont-ils pas, demain, d’être assistés ? Accepteront-ils les ingénieurs, informaticiens, professeurs, médecins, juristes, … étrangers dont le pays aura besoin ? Et aurons-nous les moyens financiers de le faire ?

S’il est indispensable et urgent de remettre les élèves au travail, la question est comment ? Est-il suffisant de multiplier, d’empiler des dispositifs pédagogiques disciplinaires ou non concernant les contenus ou les méthodes ?

Sûrement pas, malgré l’intérêt, le bien fondé de chacun d’eux et le profit qu’en tirent quelques-uns : ces dispositifs sont insuffisants pour motiver durablement l’ensemble des élèves. Même les TPE n’ont pas entraîné l’enthousiasme de tous les élèves.

Certains responsables estiment, au nom de l’équité sociale et compte tenu de la diminution de l’horaire, qu’il ne faut surtout pas alléger les programmes afin d’éviter une réduction de la qualité de la formation. Que certaines notions s’enseignent et se comprennent plus vite qu’avant par leur popularisation et l’utilisation des nouvelles technologies qui permettent, comme dans les entreprises, des gains de productivité.

C’est bien mal connaître les élèves que d’estimer que leur appétit dépend de la quantité de nourriture qu’on leur sert : il faut d’abord qu’ils aient envie d’avaler. Si des connaissances sont indispensables pour assurer une bonne formation, leur accumulation ne la garantit pas, surtout si l’on n’a pas le temps de les mettre en œuvre.

Parce qu’elle est, elle aussi, très attachée à la qualité de la formation en mathématiques, l’APMEP revendique, au contraire, des programmes suffisamment légers, ce qui ne signifie pas indigents, afin de pouvoir faire travailler davantage les élèves en leur donnant le temps et le goût de chercher, en classe comme à la maison.

Les chemins de la compréhension sont encore trop mystérieux pour affirmer qu’il existe partout des raccourcis, même si nous en connaissons quelques-uns. Rien ne prouve que les cerveaux de nos chères têtes blondes soient en moyenne plus performants que ceux de leurs aînés. Enfin, l’informatique ne raccourcit pas toujours les délais comme promis ; son apport est encore trop mal connu et il est indécent de l’invoquer comme un moyen « normal » d’enseignement alors que la formation et les équipements sont encore insuffisants et tout particulièrement pour les enseignants du secondaire.

Remettre les élèves au travail est un véritable défi, un enjeu essentiel : l’avenir des jeunes et celui du pays en dépendent. Changer les programmes, ajouter de nouveaux dispositifs, rendre notre pédagogie plus attrayante, plus active ne peuvent suffire, c’est tout un état d’esprit qu’il faut changer.

Je suis convaincu que cela est possible dans le cadre du service public, contrairement à ce qu’affirment certains. Mais il est nécessaire que la société se prononce clairement sur les formations qu’elle attend, sur les missions qu’elle confie à l’école. Une réelle volonté de tous les partenaires, responsables du système éducatif, enseignants, parents est également indispensable.

C’est de clarté, de cohérence, de rigueur et de confiance dont nous avons le plus besoin.

 

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