Bulletin Vert no 461
novembre — décembre 2005

Editorial du bulletin 461 Mathématiques : discipline complémentaire ?

"Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne"
Victor HUGO

 

Voici bientôt trois ans que des associations, dont l’APMEP, et des sociétés savantes se sont regroupées au sein du collectif ActionSciences, afin de lutter contre la désaffection des jeunes pour les études scientifiques. En 1994, plus de 21% d’une classe d’âge obtenait un baccalauréat scientifique. Actuellement, nous en sommes à 17% (chiffres 2004). De plus, de moins en moins de bacheliers S poursuivent des études supérieures en sciences, leur préférant le droit, l’économie, ou STAPS. La désaffection pour les études scientifiques est avant tout un problème politique. Comment, en effet, convaincre un élève de choisir une filière scientifique, alors que notre société prône le tout économique ? Les résultats de la bourse sont diffusés d’heure en heure, les banques n’ont jamais été aussi florissantes, la réussite financière ne s’est jamais autant affichée. Pourquoi, dans ces conditions s’étonner que les filières scientifiques soient désertées. Pourquoi, en effet, faire quatre, cinq, six, voire sept ans après le bac dans une filière scientifique sachant que la probabilité de se retrouver au chômage, ou d’occuper un poste ne correspondant pas à sa qualification, est élevée ?

Un autre phénomène est à prendre en compte : la science n’a pas bonne presse. Un exemple parmi tant d’autre : les journées de l’APMEP, à Caen ont réunies plus de 700 professeurs de mathématiques, la presse nationale et régionale en a été avertie. Aucune réponse, même pas pour s’excuser de ne pas venir couvrir l’événement . Au même moment [1], une association d’une centaine de personnes organisait la « Premières rencontres ufologiques européennes » à Châlons-en-Champagne. La presse en a parlé !

Concernant les mathématiques, les résultats du baccalauréat peuvent aussi avoir un effet pervers. Il est très difficile d’obtenir des statistiques officielles [2] sur les notes obtenues par les candidats au bac, cependant tout nous laisse à penser qu’avec un taux de réussite de 84,8% en S, la moyenne en mathématiques serait d’environ 8 sur 20 alors que la moyenne de SVT serait de 12 sur 20 et celle de physique tournerait autour de 11 sur 20 ! Bien que ces « chiffres » soient approximatifs, le différentiel entre la moyenne de mathématiques et celles des deux autres disciplines scientifiques est malheureusement significatif. Certes, ces statistiques sont à nuancer. Les mentions bien ou très bien sont plus nombreuses pour les élèves ayant choisi la spécialité « mathématiques ». Mais les élèves ont très vite compris que leur intérêt à court terme, était de choisir « physique » ou « SVT » comme spécialité en terminales S. Si rien n’est fait à brève échéance pour enrayer cette désaffection, cela pourrait signifier la disparition de la spécialité mathématiques, par manque de candidats [3].

Or, au même moment, on constate que la plupart des trop rares lycéens qui poursuivent des études scientifiques rencontrent de nombreuses difficultés. Tous les membres du collectif ActionSciences s’accordent pour dire que les lacunes en culture mathématique des étudiants en est la source.

L’APMEP est porteuse de nombreuses propositions [4] visant l’amélioration de la situation comme la création officielle de l’ option sciences » en seconde, et la demande de l’existence d’une véritable série scientifique. Mais le problème doit aussi être traité en amont. Tout élève, de la maternelle à l’université, a droit à une formation mathématique de qualité assurée par des enseignants correctement formés pour le niveau où ils auront à intervenir.

Les mathématiques sont une discipline exigeante, la formation des professeurs de mathématiques doit donc être en conséquence.

Or les dernières mesures prises par nos dirigeants prennent une direction opposée. Un texte, paru au journal officiel du 10 août 2005, fixe les conditions d’attribution d’une mention complémentaire aux lauréats de certaines sections du concours externe du CAPES et du CAPEPS [5]. Ces mentions complémentaires sont au nombre de trois : français, langues vivantes et ... mathématiques. Un candidat au métier d’enseignant peut demander à subir une épreuve complémentaire facultative. Pour pouvoir prétendre à la mention complémentaire en mathématiques, il faut passer le certificat d’aptitude en sections physique et chimie, SVT ou ... en EPS ! Les bénéficiaires de cette mention pourront se voir confier un service partiel d’enseignement en mathématiques.

Je n’ai trouvé nulle part comment seraient formés ces futurs professeurs.

Dans le meilleur des cas, la formation ne pourra se faire qu’au détriment de celle concernant la matière principale, à moins d’augmenter le nombre d’heures de formation, ce qui n’est sûrement pas à l’ordre du jour. Dans le pire des cas, le ministère estime que, pour enseigner les mathématiques, il suffit d’avoir des connaissances en physique, en SVT ou ... en EPS [6]. Dans tous les cas, le futur enseignant ne recevra aucune formation de qualité en mathématiques.

L’élève de primaire, de collège, de lycée a devant lui, en classe de mathématiques, un professeur. Suivant les établissements, ce professeur pourra donc avoir eu une formation académique ou sera titulaire d’une mention complémentaire. Or, en vertu du principe d’égalité, l’un des éléments du triptyque républicain, la qualité de l’enseignement doit être la même pour tous. Soit le ministère va à l’encontre de ce principe, soit pour lui, il n’est pas nécessaire d’avoir une bonne formation pour enseigner les mathématiques : les mathématiques, malgré tous les discours officiels, seraient donc devenue une discipline complémentaire, ce qui ne va certainement pas améliorer la situation de l’enseignement supérieur scientifique !

Ainsi, avoir au minimum la moyenne des admis [7] à une épreuve du CAPES de mathématiques deviendrait gage de compétence. Certes, on peut penser que peu de professeurs seront titulaires de cette mention complémentaire ; par contre, ce qui est significatif est l’esprit de cette loi, qui considère que certaines disciplines, dont les mathématiques, n’ont pas forcement besoin de formation de qualité pour être enseignées.

Nous, militants APMEP ne pouvons que nous étonner, qu’une fois de plus, les mathématiques ne soient pas reconnues à leur juste valeur. Nous ne pouvons accepter ce dispositif qui n’a qu’un intérêt purement comptable, permettant uniquement de gérer plus facilement le nombre de postes d’enseignants. Un pays qui ne se donne pas les moyens d’avoir une politique éducative digne de ce nom, sacrifie toute une génération d’élèves au nom d’une logique financière, ce que nous ne pouvons que condamner. Et ce ne sont pas les événements récents qui me contrediront.

En exergue de la carte de vœux 2005 du ministère de l’Education nationale se trouve la citation de Victor Hugo : "Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne". Le ministère a-t-il bien compris le sens de cette phrase ?

 

Notes

[1Libération, 15 octobre 2005.

[2Le sujet est, parait-il, « hautement politique » !

[3Ce qui est déjà le cas dans certains petits établissements.

[4Voir plaquette « visages de l’APMEP 2005 - 2006 ». Si vous ne l’avez pas encore, vous pouvez la commander au local, 26 rue Duméril, 75013 PARIS.

[5Certificat d’Aptitude au Professorat d’Education Physique et Sportive.

[6Je n’ai rien contre les professeurs d’EPS, mais, qu’ils me pardonnent, j’avoue ne pas voir le rapport entre l’EPS et les sciences.

[7Le texte dit : « les candidats déclarés admis au concours et qui ont obtenu une note égale ou supérieure à la moyenne des notes obtenues, au titre de la même session, par les candidats inscrits sur la liste principale d’admission du concours externe de CAPES... »

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