Equation différentielle $\boldsymboly’=y$ et fonction exponentielle

1. Introduction

Les nouveaux programmes de terminales S conseillent d’introduire la fonction exponentielle avant la fonction logarithme.

Nous allons montrer que l’on peut presque construire cette fonction en utilisant les notions du programmes de cette classe.

On travaille évidemment sur des séries entières et il n’est pas question d’en faire la théorie en terminale. Cependant, admettre certains résultats
peut permettre la compréhension globale de l’exponentielle.

Jean Dieudonné écrivait, dans la préface de son cours à l’usage des étudiants de faculté :

..., les physiciens raillent souvent le mathématiciens pur de vouloir toujours tout démontrer et de « couper les cheveux en quatre » pour
établir des résultats « évidents » ; ils n’ont pas toujours tort, et un étudiant débutant a intérêt à admettre des résultats plausibles sans
s’encombrer l’esprit de démonstrations subtiles, pour réserver ses efforts à l’assimilation de notions nouvelles et « non évidentes ».

C’est ce que j’ai essayé de faire avec ma classe de terminale S cette année.

2. Recherche de fonctions égales à leur dérivée

Rechercher une fonction égale à sa dérivée revient à résoudre l’équation différentielle : \(\boldsymbol{f’=f}\).

Une fonction vérifiant cette équation différentielle ne peut-être un polynôme, car le polynôme dérivé d’un polynôme de degré \(n\) est de degré \(n-1\). Nous n’avons, jusque là rencontré aucune fonction rationnelle, ni fonction contenant des radicaux vérifiant \(f’=f\).
Aucune fonction trigonométrique ne convient non plus.

Il nous faut chercher ailleurs.

a)- Famille de fonctions

On considère la famille de fonctions suivantes :

Pour tout \(n\) appartenant à \(\mathbb{N}\) et pour tout \(x\geqslant 0\), on définit la fonction :

$$x\longmapsto u_n(x)=\sum_{p=0}^n\frac{x^p}{p\, !} =1+\frac{x}{1\, !}+\frac{x^2}{2\, !}+\frac{x^3}{3\, !}+\cdots +\frac{x^n}{n\, !}$$

On rappelle que \(n\, !=1\times 2\times 3\times\cdots\times n\).

b)- Dérivée des fonctions \(\boldsymbol{u_n}\)

$$ u\,’_n(x) = \sum_{p=1}^n\frac{px^{p-1}}{p\, !}=0+1+\frac{2x}{1\times 2}+\frac{3x^2}{1\times 2\times 3}+\frac{4x^3}{1\times 2\times 3\times 4}+\cdots +\frac{nx^{n-1}}{n\, !}$$

$$\,u\,’_n(x)= 1+\frac{x}{1}+\frac{x^2}{1\times 2}+\frac{x^3}{1\times 2\times 3}+\cdots +\frac{x^{n-1}}{(n-1)\, !}= \sum_{p=0}^{n-1}\frac{x^p}{p\, !}$$

$$ u\,’_n(x)=u_{n-1}(x) $$

L’idée est de considérer un polynôme infini. Dans ce cas, on obtiendra une fonction égale à sa dérivée.

Pour cela, il faut étudier la suite \((u_n)\) afin de montrer qu’elle est convergente et donc trouver sa limite, pour tout \(x\).

Nous nous limiterons, dans un premier temps, aux \(x\) réels positifs strictement.

3. Étude de suites

Si \(x=0\), pour tout \(n\) naturel, \(u_n(0)=1\).

On considère maintenant les deux suites \((u_n(x))_{n\in\mathbb N}\) et \((v_n(x))_{n\in\mathbb N}\) définies,
pour tout \(x\) réel positif strictement fixé,
par :

$$u_n(x)=\sum_{p=0}^n\frac{x^p}{p\, !}\quad\text{et}\quad v_n(x)=u_n(x)+\frac{x^n}{n\, !}$$

Proposition 3.1

Les suites \((u_n(x))_{n\in\mathbb N}\) et \((v_n(x))_{n\in\mathbb N}\) sont adjacentes.

Démonstration.

\(v_n(x)-u_n(x)=\dfrac{x^n}{n\, !} > 0\), car \(x > 0\), donc \(v_n(x) > u_n(x)\).

  • \((u_n(x))_{n\in\mathbb N}\) est strictement croissante, c’est-à-dire : \(\forall\,n,\ n\in\ \mathbb{N},\ u_{n+1}(x)-u_n(x) > 0\) :

$$\forall\,n,\,n\,\in\,\mathbb{N},\ u_{n+1}(x)-u_n(x)=\frac{x^{n+1}}{(n+1)\, !} > 0$$

  • \((v_n(x))_{n\in\mathbb{N}}\) est strictement décroissante à partir de \(n > 2x-1\), c’est-à-dire :
    \(\forall\,n,\,n>2x-1,\ v_{n+1}(x)-v_n(x) < 0\) :

$$ \begin{align*} \forall\,n,\,n>2x-1,\ v_{n+1}(x)-v_n(x) &= u_{n+1}(x)-u_n(x)+\frac{x^{n+1}}{(n+1)\, !}-\frac{x^n}{n\, !}\\ &=\frac{x^{n+1}}{(n+1)\, !}+\frac{x^{n+1}}{(n+1)\, !}-\frac{x^n}{n\, !}\\ &= \frac{x^n(2x-(n+1))}{(n+1)\, !} < 0 \end{align*} $$

  • Leur différence tend vers \(0\).

$$\lim_{n\to+\infty}(v_n(x)-u_n(x))=\lim_{n\to+\infty}\frac{x^n}{n\, !}=0$$

Ces deux suites possèdent donc une limite commune.

Ainsi, pour tout réel \(x\) positif, il existe un réel, que l’on notera \(\exp(x)\), limite de la suite \(u_n(x)\).

On peut donc considérer la fonction :
\(x\longmapsto \exp(x)\).

Nous pouvons ainsi écrire :

$$\boxed{\exp(0) = 1}$$

$$\boxed{\displaystyle\exp(x)=\lim_{n\to+\infty}\sum_{p=0}^n\frac{x^p}{p\, !}=\sum_{p=0}^{+\infty}\frac{x^p}{p\, !}=1+\frac{x}{1\, !}+\frac{x^2}{2\, !}+\frac{x^3}{3\, !}+\cdots+\frac{x^n}{n\, !}+\cdots}$$

On admet que toutes les propriétés vraies pour les sommes finies sont valables sur les sommes infinies rencontrées dans ce chapitre.

Ce qui est loin d’être vrai dans le cas général !

4. Construction de la représentation de la fonction \(\boldsymbol{\exp}\) par approximation sur \(\boldsymbol{\mathbb{R}^{+}}\)

Constructions successives des courbes de \(u_1(x)=1+x\), de \(u_2(x)=1+x+\dfrac{x^2}{2}\), de \(u_3(x)=1+x+\dfrac{x^2}{2}+\dfrac{x^3}{3\, !}\),
de \(u_4(x)\) et de \(u_5(x)\)

5. Dérivée de \(\boldsymbol{\exp}\)

Proposition 5.1

La fonction \(\exp\) est égale à sa dérivée sur
\(\mathbb{R}^{+}\).

Démonstration :

Les suites \(u_n(x)\) et \(u_{n-1}(x)\) ont même limite. Nous admettrons donc que, comme \(u\,’_n(x)=u_{n-1}(x)\), le passage à la limite permet de dire que
\(\exp’(x)=\exp(x)\).

6. Prolongement sur \(\boldsymbol{\mathbb{R}^{-*}}\)

Définition.

Pour tout \(x<0\), on définit \(\exp(x)\) par :

$$\exp(x)=\frac{1}{\exp(-x)}$$

Théorème 6.1

Pour tout \(x\) strictement négatif : \((\exp(x))’=\exp(x)\)

Démonstration :

$$ \begin{align*} (\exp(x))’&=\left(\frac{1}{\exp(-x)}\right)’\\ &=-\frac{(\exp(-x))’}{(\exp(-x))^2}\\ &=-\frac{-\exp(-x)}{(\exp(-x))^2}\\ &=\frac{1}{\exp(-x)}\\ &=\exp(x) \end{align*} $$

Remarque : On utilise la dérivée de fonctions composées.

7. Propriétés de la fonction \(\boldsymbol{\exp}\)

Proposition 7.1

\(\forall\,a\), \(a\in\mathbb{R}\), \(\forall\,b\), \(b\in\mathbb{R}\), \(\exp(a+b)=\exp(a)\times\exp(b)\).

Démonstration :

Pour tout \(b\) réel, on dérive, sur \(\mathbb R\), la fonction \(f’(x)=\dfrac{\exp(x+b)}{\exp(x)\times\exp(b)}\)

$$ \begin{align*} \left(\frac{\exp(x+b)}{\exp(x)\times\exp(b)}\right)’ &=\frac{\exp(x+b)\times\exp(x)\cdot\exp(b)-\exp(x+b)\times\exp(x)\cdot\exp(b)}{(\exp(x)\cdot\exp(b))^2}\\ &=0 \end{align*} $$

La fonction \(f\) est donc constante, pour tout \(x\) réel, en particulier, pour \(x=0\). Or \(f(0)=1\),
donc, pour tout \(x\) réel,

$$\dfrac{\exp(x+b)}{\exp(x)\times\exp(b)}=1\Longleftrightarrow \exp(x+b)=\exp(x)\times\exp(b)$$

On fait \(x=a\) et on obtient le résultat.

Proposition 7.2

\(\exp(1)\) n’est pas un nombre rationnel.

Démonstration par l’absurde :

\(\exp(1)\) est la limite commune aux deux suites adjacentes \((u_n(1))_{n\in\mathbb{N}}\) et \((v_n(1))_{n\in\mathbb{N}}\).

Supposons que la limite \(\boldsymbol{\exp(1)}\) soit un nombre rationnel, c’est-à-dire qu’il existe deux nombres entiers positifs \(p\)
et \(q\) tels que \(\exp(1)=\dfrac{p}{q}\) :

On pose \(N\) le numérateur de \(u_q\) ; c’est un nombre entier car somme et produit de nombres entiers.

$$u_q=\frac{N}{q\, !}<\frac{p}{q}<\frac{N}{q\, !}+\frac{1}{q\, !}=\frac{N+1}{q\, !}=v_q$$

On multiplie ces inégalités par \(q\, !\) et on obtient :

$$N < q\, !\times\frac{p}{q}=(q-1)\, !\times p < N+1$$

Les inégalités sont au sens strict. \((q-1)\, !\times p\) est donc un nombre entier compris strictement entre deux entiers
consécutifs, ce qui est impossible. Donc l’hypothèse la limite \(\boldsymbol{\exp(1)}\) est un nombre rationnel
est fausse. La négation est donc correcte : la limite \(\boldsymbol{\exp(1)}\) n’est pas un nombre rationnel.

On note \(\mathrm{e}\) le nombre \(\exp(1)\) en souvenir du mathématicien suisse Euler

$$\boxed{\displaystyle\mathrm{e}=\lim_{n\to+\infty}\sum_{p=0}^n\frac{x^p}{p\, !}=1+\frac{1}{1}+\frac{1}{2\, !}+\frac{1}{3\, !}+\cdots+\frac{1}{n\, !}+\cdots\approx 2,718\,281\,828\,459\,045}$$

Proposition 7.3

Pour tout \(n\) appartenant à \(\mathbb{N}\), \(\exp(n)=\mathrm{e}^n\)

Démonstration par récurrence :

  • \(\exp(2)=\exp(1+1)=\exp(1)\times\exp(1)=\mathrm{e}\times \mathrm{e}=\mathrm{e}^2\)
  • Supposons que \(\exp(n)=\mathrm{e}^n\) ; calculons \(\exp(n+1)\) : \(\exp(n+1) = \exp(n)\times\exp(1) = \mathrm{e}^{n}\times \mathrm{e}=\mathrm{e}^{n+1}\).

Proposition 7.4

\(\exp\left(\dfrac{1}{2}\right)=\sqrt{\mathrm{e}}=\mathrm{e}^{\textstyle\frac{1}{2}}\)

Démonstration :

$$ \begin{align*} \mathrm{e}&=\exp(1)\\ &=\exp\left(\frac{1}{2}+\frac{1}{2}\right)\\ &=\exp\left(\frac{1}{2}\right)\times\exp\left(\frac{1}{2}\right)\\ &=\left(\exp\left(\frac{1}{2}\right)\right)^2 \end{align*} $$

Donc \(\displaystyle\exp\left(\frac{1}{2}\right)=\sqrt{\mathrm{e}}\).

Définition - Notations :

Pour tout \(x\) appartenant à \({\mathbb R}\), on notera \(\exp(x)=\mathrm{e}^x\). Par construction de chaque terme, \(\mathrm{e}^x>0\) sur \({\mathbb R}\).

8. Étude de la fonction exponentielle

a)- Domaine de définition

La fonction est définie pour tout \(x\) de \(\mathbb R\).

De plus, \(\forall\,x\), \(x\in{\mathbb R}\), \(\mathrm{e}^x > 0\).

b)- Dérivée

$$\boxed{\forall\,x,\ x\,\in\,\mathbb{R},\ f’(x)=\mathrm{e}^x > 0}$$

c)- Sens de variations

La fonction est strictement croissante sur \(\mathbb{R}\).

$$\boxed{\forall\,x,\ x\,\in\,\mathbb{R},\ \forall\,x’,\ x’\,\in\,\mathbb{R}\,\ x < x’\Longleftrightarrow \mathrm{e}^x < \mathrm{e}^{x’}}$$

d)- Limites

Proposition 8.1

$$\forall\,x,\ x\,\in\,\mathbb{R^{+*}},\ \mathrm{e}^x > x$$

Démonstration :

La suite \((u_n(x))\) est strictement croissante sur \(\mathbb R^{+*}\), sa limite est donc strictement supérieure à \(u_1(x)=1+x\).

$$\forall x,\ x\,\in\,\mathbb{R^{+*}},\ \mathrm{e}^x > 1+x > x$$

Proposition 8.2

La fonction \(\exp\) tend vers \(+\infty\) lorsque \(x\) tend vers \(+\infty\).

Démonstration :

On a \(x < \mathrm{e}^x\) et lorsque \(x\to +\infty\), \(\mathrm{e}^x\to +\infty\), d’après un corollaire du théorème des gendarmes.

Proposition 8.3

La fonction \(\exp\) tend vers \(0\) lorsque \(x\) tend vers \(-\infty\).

Démonstration :

Par définition, \(\mathrm{e}^{-x}=\dfrac{1}{\mathrm{e}^x}\) ;

ainsi lorsque \(x\to+\infty\), \(-x\to-\infty\) et \(\dfrac{1}{\mathrm{e}^x}\to 0\).

La droite d’équation \(y=0\) est asymptote horizontale à la représentation graphique de la fonction exponentielle en \(-\infty\).

Proposition 8.4

La fonction exponentielle est bijective de \(\mathbb R\) sur \(\mathbb R^{+*}\).

$$\boxed{\forall\,a,\ a\,\in\,\mathbb{R}, \forall\,b,\ b\,\in\,{\mathbb R},\ \mathrm{e}^a=\mathrm{e}^b\Longleftrightarrow a=b}$$

Démonstration :

La fonction est continue et strictement croissante de \(\mathbb R\) sur \(\mathbb{R}^{+*}\).

e)- Équation de la tangente en \(\boldsymbol{x=0}\)

Comme \(\mathrm{e}^0=1\), une équation de la tangente au point d’abscisse \(\hbox{0}\) est :

$$y=x+1$$

f)- Croissance comparée

Proposition 8.5

$$\boxed{\displaystyle\forall\,n,\ n\in \mathbb{N},\ \lim_{x\to+\infty}\frac{\mathrm{e}^x}{x^n}=+\infty}$$

Démonstration :

$$\displaystyle\forall\,n,\ n\in \mathbb{N},\ \mathrm{e}^x > u_{n+1}(x)\Longrightarrow \frac{\mathrm{e}^x}{x^n} > \frac{u_{n+1}(x)}{x^n} =\frac{1}{x^n}+\frac{1}{2x^{n-1}}+\cdots+\frac{1}{n\, !}+\frac{x}{(n+1)\, !}>\frac{x}{(n+1)\, !}\xrightarrow[x\to+\infty]{}+\infty$$

Représentation graphique de la fonction exponentielle

9. Commentaires

a)- Ce qui précède

Avant ce cours, les élèves avaient travaillé sur les suites. Ils ont rencontré notamment, lors de l’étude des suites adjacentes, les deux suites
\((u_n(1))\) et \((v_n(1))\) étudiées dans le chapitre 3. Le fait de remettre dans ce cours la démonstration déjà connue
de l’irrationnalité de \(\mathrm{e}\) par cette méthode permet de faire des révisions et surtout d’insister sur l’importance de ce nombre.

b)- Quelques remarques

  • Il n’est pas question dans ce cours de faire l’étude complète de l’équation différentielle \(y’=y\). Ce cours sera fait plus tard.
  • On aurait certes pu étudier les suites \((u_n(x))\) pour \(x<0\), en démontrant que les suites extraites \((u_{2n}(x))\) et \((u_{2n+1}(x))\)
    sont adjacentes, pour \(n>|x|\). J’ai choisi de n’étudier \(u_n(x)\) que sur \(\mathbb R^+\) et ensuite
    de définir la fonction exponentielle sur \(\mathbb R^-\) en passant par l’inverse pour plusieurs raisons :
    • Si les représentations graphiques de \(u_1\), \(u_2\), \(u_3\), etc. se rapprochent très rapidement de la représentation de la fonction
      \(\exp\) sur \(\mathbb R^+\), il n’en est pas de même sur \(\mathbb R^-\).

Constructions successives des courbes de \(\boldsymbol{u_1(x)}\), de \(\boldsymbol{u_2(x)}\), de \(\boldsymbol{u_3(x)}\), de \(\boldsymbol{u_4(x)}\) et de \(\boldsymbol{u_5(x)}\) sur \(\mathbb R\).

    • De cette façon, on fait travailler la notion de dérivée de fonctions composées.
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