L’épreuve pratique au bac S : la préparer ou pas ?

Témoignage d’une expérimentation au Lycée Léon Blum, Créteil

Jusqu’à présent, je n’ai pas souvent fait travailler mes élèves de TS devant un écran d’ordinateur. Quand je dis « pas souvent », c’est pour ne pas dire « presque jamais ». Pourtant je passe des heures devant mon écran d’ordinateur à préparer mes énoncés et mes polycopiés.

Mais emmener les élèves en salle informatique, c’est compliqué : il faut réserver la salle à l’avance, aller chercher la clé à l’autre bout du lycée, être là un quart d’heure avant la séance pour vérifier que tous les postes marchent. Et aussi préparer la manip informatique à la maison pour être sûr d’arriver à la faire devant les élèves, et à les dépanner en cas de besoin. De toute façon, il n’y en pas au Bac : ce n’est pas la peine que je me donne tout ce mal, il n’y a pas de quoi culpabiliser…

Un jour de novembre, notre IPR à demandé aux profs de TS de mon Lycée si nous serions d’accord pour expérimenter la passation d’une épreuve pratique de maths au Bac S. Ça avait l’air sympa : nous avons accepté de bon cœur, sur l’idée que nos élèves avaient déjà pratiqué les logiciels de la salle info en Seconde et en Première, et que donc il n’y aurait pas besoin de beaucoup de préparation.

Le lendemain, je fais passer un questionnaire à mes élèves pour faire le point. Première réponse : ils ont tous accès à un ordinateur chez eux. C’est une bonne surprise pour moi. Le Lycée n’est ni en ZEP, ni en centre ville : il faut croire que l’ordinateur fait maintenant partie de l’équipement des foyers où vit un adolescent.

Deuxième réponse : la moitié de mes élèves ne sait pas ce que c’est qu’un tableur, et encore moins s’il y en a un d’installé sur leur ordinateur ! je me dis qu’ils sont comme Monsieur Jourdain avec la prose : ils ont fait du tableur mais ils ne connaissent pas le mot « tableur ». D"ailleurs l’histoire des cases, des lignes et des colonnes que j’évoque alors leur dit vaguement quelque chose.

Je profite du cours sur la méthode d’Euler pour leur montrer en projection vidéo « magistrale » le tableur en action. Question des élèves : « Monsieur, c’est quoi le dollar que vous avez mis dans la formule ? » Je réprime une soudaine bouffée de haine envers mes collègues des années précédentes, qui ont dû aller aussi « souvent » que moi en salle info. J’explique les dollars à des élèves intéressés mais pas convaincus.

Cette histoire d’épreuve pratique s’annonce plus délicate que prévue. L’état des lieux n’est pas fameux, mais nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes : ça nous arrangeait de faire l’impasse là-dessus, malgré les instructions et les programmes officiels.

Après réflexion, avec mes deux autres collègues de TS, nous décidons de ne pas préparer nos élèves à cette épreuve pratique, mais de prendre le problème à bras le corps, et d’intégrer le travail devant écran à la pratique quotidienne du cours de maths.

Première étape : tous les élèves installent chez eux Geogebra et OpenOffice, s’ils n’ont pas déjà Office. Ce sont des logiciels gratuits et performants. Ceux qui le peuvent téléchargent ces logiciels. Nous prêtons aux autres des CD d’installation. Ça prend deux semaines, mais on y arrive.

Deuxième étape : ils iront en salle info pendant l’heure dédoublée une fois tous les quinze jours, pour y faire la partie pratique d’un TP, qui contient aussi des parties « théoriques » sur les notions mathématiques qu’on est en train d’aborder. Par exemple, on fait un TP sur la transformation \(z\) -> \(z^2\) dans le plan complexe, dont la partie pratique se fait avec Geogebra,

La partie pratique du TP donne lieu à un compte-rendu à remettre à la fin de l’heure, et qui sera noté. La notion de compte-rendu est nouvelle en maths pour les élèves ( et aussi pour les profs ! ) : au niveau rédaction, c’est à mi-chemin entre le contrôle et le devoir à la maison. Apprendre à des élèves à écrire « j’ai observé que », « j’ai supposé que » au lieu des affirmations non justifiées dont ils sont coutumiers est très constructif.

Nous avons placé la notion de conjecture est au cœur de ce travail pratique. La conjecture n’est pas une hypothèse : c’est un résultat observé, mis à l’épreuve et affiné jusqu’à ce qu’on en soit convaincu. Cette mise à l’épreuve de la conjecture est une étape essentielle : c’est là que l’esprit scientifique est à l’œuvre. La recherche d’une preuve commence ensuite, mais on n’est plus dans le travail pratique.

Troisième étape : les exercices et les devoirs à la maison contiendront eux aussi une partie pratique. La production des élèves est alors une impression papier de la feuille de tableur ou de la figure imprimée assortie de son protocole de construction. Contrairement à mes craintes, il y a eu très peu de copiage d’un élève à l’autre. Pour le prof, c’est beaucoup plus facile à lire et plus rapide à corriger que les parties théoriques usuelles !

Arriva alors le jour J de la passation de l’épreuve pratique, à titre expérimental. Surprise : il ne s’est rien passé ! Ça a été un non-événement : les élèves ont trouvé ça naturel d’être évalués sur un travail ordinaire pour eux. Ils sont venus, ils ont fait ce qu’ils ont pu, et ils sont repartis à la fin de l’heure. Cela ne veut pas dire qu’ils ont tous su faire ce qui était demandé, loin de là : ça a été un contrôle normal.

Attention : l’informatique, ce n’est pas magique. Le travail sur logiciel est un impitoyable révélateur de ce que les élèves ont compris de travers ou pas compris du tout : faire apparaître la liste des valeurs d’une suite suppose qu’on ait compris qu’une suite est une relation entre \(n\) et \(u_n\) ou entre \(u_n\) et \(u_{n+1}\) ; construire un point d’abscisse donnée sur une courbe suppose qu’on ait compris que celle-ci est l’ensemble des points \(( x ; f(x) )\). Face à des élèves qui n’y arrivent pas devant écran, ce n’est pas le logiciel qu’il faut accuser en premier…

Il est vrai que la plupart des logiciels disponibles ne sont pas ou peu adaptés à la façon dont on enseigne, et nécessitent une période d’apprentissage. Par exemple, le tableur a été inventé pour la comptabilité, pas pour les maths. Organiser un calcul mathématique sur un tableur est une vraie compétence qu’il faut faire acquérir petit à petit aux élèves. Par contre l’apparition du logiciel GeoGebra est la bonne nouvelle pour nous autres profs de maths : il est tout à fait adapté à notre façon d’enseigner les maths ; sa prise en main est facile et rapide, il est gratuit et multi-plateforme.

Finalement, si certaines notions du cours ont du mal à passer, pourquoi ne pas utiliser le travail sur logiciel pour enrichir notre panoplie de stratégies didactiques ? C’est une chance de plus qu’on peut donner à l’élève de se représenter les objets qu’il est en train d’étudier, et de mieux les comprendre.

Reste une question préoccupante : est-ce que ça tient dans l’horaire hebdomadaire ? Il y a deux mois, j’aurais répondu « non » sans hésiter. Aujourd’hui, je commence à engranger les bénéfices d’un travail devant écran régulier, à petites doses, et totalement intégré au cours de maths : ça me permet d’aller nettement plus vite sur certains points (par exemple observer la convergence de l’aire des rectangles sous une courbe, ou la variation d’une aire sous une courbe en fonction d’une borne est très facile avec GeoGebra) ; ça me laisse plus de temps pour expliquer les notions délicates. Donc aujourd’hui, je réponds « oui », à condition que les profs de Seconde et de Première s’y mettent aussi…

Enfin, la passation de l’épreuve pratique a impliqué aussi les profs de Première S, pour que nos 90 élèves puissent tous passer en quatre heures. Ça a été l’occasion de travailler ensemble, d’échanger et de discuter avec plus d’entrain et de vigueur que d’habitude, ce dont tout le monde s’est félicité !

 

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