JN 2003 — Pau

Le discours d’ouverture
du président de l’APMEP

 

Le thème de ces journées est : « Mathématiques de la terre aux étoiles ». Avant que vous n’ayez la tête dans les étoiles, j’aimerais aborder avec vous des sujets plus terre à terre.

Le 21 octobre 2003, l’AFP a publié la dépêche suivante :

La « culture scientifique et technique pour tous » doit devenir une "priorité nationale", afin de pouvoir combattre le "fossé" qui se creuse entre les experts et le grand public, suggèrent Marie Christine BLANDIN et Ivan RENARD, auteurs d’un rapport présenté au Sénat.

C’est ce que nous préconisons depuis un certain temps. Les sciences, et les mathématiques en particuliers, n’attirent plus assez d’étudiants. Ce problème de la désaffection pour les études scientifiques devient de plus en plus aigu. Nous allons, par exemple, bientôt manquer d’enseignants dans les disciplines scientifiques si la tendance ne s’inverse pas rapidement.

À l’initiative de UdPPC et de l’APMEP, un collectif d’une quinzaine d’associations de spécialistes, dont l’APBG, l’APMEP et l’UdPPC, de sociétés savantes dont la SMF et la SMAI, d’autres associations comme " Femmes et Mathématiques", (que ceux que je ne cite pas me pardonnent,) s’est constitué en octobre 2002. Ses propositions s’articulent autour de trois axes :

  • Renforcer la cohérence de la voie générale scientifique ;
  • Faire réussir beaucoup plus de lycéennes et d’étudiantes avec les sciences ;
  • Pré-recruter les professeurs des collèges et des lycées, tout particulièrement ceux se destinant à l’enseignement des sciences.

Que pouvons-nous faire, nous, professeurs de mathématiques pour que le nombre d’étudiants augmente dans notre discipline ? Donner envie à nos élèves de faire des mathématiques. C’est l’ambition de chacun d’entre nous. Or pour aimer les mathématiques, il faut les comprendre et pour les comprendre, il faut du temps. C’est, je crois, ce qui manque le plus à l’élève : DU TEMPS.

Une notion, un concept mathématiques ne s’acquièrent pas instantanément, l’élève doit se familiariser avec eux, se les approprier. "En mathématiques, il n’y a presque rien à apprendre, tout est à comprendre", disait Georges GLAESER. L’apprentissage de notre matière me fait penser à celle du vélo : au début, des roulettes nous empêchent de tomber, lorsqu’on les retire, la chute est souvent inévitable, jusqu’au moment où un déclic se produit. Nous ressentons alors au fond de nous même ce qui nous maintient en équilibre et une fois cette compréhension acquise, on ne l’oublie plus. Quel plaisir pour l’enseignant de voir s’illuminer les yeux de l’élève lorsque le déclic se produit ! Et quel joie pour l’élève qui a enfin compris !

Mais le temps de l’apprentissage n’est pas le temps des mathématiciens, aucun retour en arrière n’est possible. Si, par manque de temps, le professeur est obligé de précipiter les choses, les dégâts peuvent être irréversibles. Chacun d’entre nous connaît au moins une personne que les mathématiques rebutent, à cause d’un apprentissage raté.

Disposer de temps suffisant est donc indispensable à l’apprentissage et pour donner le goût des mathématiques.

Du temps avec un professeur

Rares sont les individus capables d’apprendre seul, surtout en mathématiques. Une présence humaine est absolument nécessaire. Ceux qui pensent que l’informatique et internet sont appelés à remplacer le professeur se trompent lourdement. Or que constatons nous ? Les horaires de mathématiques sont en diminution depuis quelques dizaines d’années.

Pour tous les collégiens, l’APMEP revendique le retour aux 4 heures hebdomadaires, indépendamment des heures de remise à niveau et des IDD. De plus, des structures différentiées adaptées aux besoin des élèves permettraient de mieux gérer l’hétérogénéité des classes.

Au lycée, la situation est d’autant moins réjouissante que les revendications de l’APMEP sont loin d’être satisfaites :

Les horaires restent insuffisants, notamment dans la série scientifique ;

C’est pourquoi l’APMEP demande la création d’une option "Sciences" de 3h00 en seconde, correspondant à un besoin et soutenue par l’UdPPC et l’APBG, où les mathématiques occuperaient le tiers du temps.

Dans certaines séries technologiques ou professionnelles et dans quelques classes post-bac, constatant que de nombreux élèves ont des difficultés liées aux mathématiques, l’APMEP demande donc l’augmentation de l’horaire de mathématiques de ces séries.

L’augmentation des horaires de mathématiques, si elle est nécessaire n’est pas une mesure suffisante. Encore faut-il adéquation entre les horaires et les programmes. Je suis toujours surpris que les commissions, les groupes de travail qui élaborent les programmes n’aient pas la maîtrise totale des horaires ! Actuellement, comme le remarque Remi BELLOEIL, "les programmes restent ambitieux malgré la diminution des horaires signalée plus haut et les contenus se voient augmenter de contenus supplémentaires concernant la statistique". De plus, pour masquer les difficultés, les épreuves du baccalauréat étaient devenues de plus en plus stéréotypées, ne permettant plus d’évaluer la réelle maîtrise des élèves concernant les notions étudiées. Les élèves appliquaient assez correctement les techniques usuelles, mais s’avèraient peu capables de prendre des initiatives. Le couac des baccalauréats des séries S et ES de juin 2003 peut être considéré comme la conséquence le plus caractéristique de cette dérive. Il faut laisser du temps à l’élève pour assimiler le cours et ainsi l’habituer à prendre des initiatives. L’APMEP soutient, à cet égard, les propositions de la commission ATTALI demandant d’intégrer des exercices avec prise d’initiative au baccalauréat, à condition que l’adéquation programme-horaire permette au professeur d’initier les élèves à ce genre d’activité et surtout que les professeurs soient prévenus longtemps à l’avance. Le baccalauréat 2004 apporte une nouveauté en S et ES : Le tryptique "deux exercices-un problème" va disparaître et les élèves plancheront sur trois à cinq exercices, comme le préconise l’APMEP. Afin de préparer les professeurs et les élèves à ce nouveau baccalauréat, une batterie non exhaustive d’exercices sera mise en ligne sur le serveur du ministère vers le 20 novembre. Esperons que les sujets de juin et septembre seront conformes à l’esprit de ces exercices.

Du temps avec un professeur, mais aussi du temps à la maison

Les horaires en classe ne suffisent évidemment pas, un travail plus personnel doit impérativement accompagner le cours. L’élève doit donc consacrer du temps pour apprendre par lui-même. Ce temps est plus particulièrement nécessaire en mathématiques pour les élèves de séries dites scientifiques. Or, que constatons nous actuellement ? Rien ne permet au professeur de mathématiques d’avoir des exigences prioritaires par rapport aux autres matières non scientifiques. Peut-il donner un devoir maison par semaine, comme l’y incitent nos IPR ? Non, la plupart du temps, car l’élève est face à au moins sept autres matières demandant les mêmes efforts. Et pourtant, ce genre d’activités, où il peut prendre son temps, est très formateur. C’est là que l’élève met à profit le cours, fait des recherches, approfondit les notions. Contrairement à ses objectifs, la série S n’est pas une série scientifique, mais est devenue une voie généraliste d’élite. J’en veux pour preuve qu’un élève qui a un bac S peut aller en khâgne alors qu’un élève sortant de terminal L n’ira jamais en maths-sup. En conséquence, l’APMEP demande une meilleure cohérence de la série scientifique par rapport aux objectifs qui lui sont théoriquement assignés. Pour atteindre cet objectif, un rééquilibrage entre les diverses disciplines doit être mis en oeuvre. Cela peut se faire en agissant sur les horaires, l’APMEP demande la création d’un enseignement scientifique de 3h00 en première S et le passage de 2h00 à 3h00 de l’enseignement de spécialité en terminale.

Les coefficients des matières scientifiques au baccalauréat doivent avoir beaucoup plus de poids, afin de permettre à un élève scientifique moyen , mais peu littéraire d’obtenir cet examen. Pourquoi tolère-t-on qu’un littéraire soit nul en maths alors que le scientifique doit forcement être un littéraire brillant ?

Du temps pour la formation des maîtres

Un enseignant doit maîtriser la matière qu’il enseigne. La première rencontre d’un enfant avec les mathématiques se fait en primaire. Il est donc important que les professeurs des écoles aient un minimum de notions mathématiques. Sachant qu’une fois le baccalauréat en poche, le futur enseignant ne peut retrouver les mathématiques qu’en IUFM, il nous paraît nécessaire que des mathématiques élémentaires soient enseignées dans toutes les sections. Statistiquement, une grande majorité des professeurs des écoles a fait ses études en série L. Les concepteurs des prochains programmes de l’option et de la spécialité en L doivent en tenir compte.

Avec la formation initiale, la formation continue est un moment essentiel. En une période où l’on parle de "formation tout au long de la vie", les moyens octroyés à la formation continue des enseignants diminuent d’année en année, ce qui est assez paradoxal, à moins que l’école que nous voulions ne soit pas celle désirée par nos dirigeants ! Car, comme par hasard, les stages qui disparaissent sont ceux qui permettraient un meilleur enseignement. Je pense, en particulier, à l’histoire et l’épistémologie des mathématiques.

Monsieur le Ministre veut un grand débat et vient de mettre en place la commission dite "THELOT". Elle se compose d’anciens ministres de l’éducation nationale et de quarante membres. Seulement deux mathématiciens et trois autres scientifiques y siègent. Comment devons-nous interpréter cela ? L’étude des sciences ne serait-elle pas une priorité ? La diminution des crédits alloués à la recherche en est une autre preuve. L’impression qui se dégage de tout ce qui vient d’être dit est que les sciences en général, les mathématiques en particuliers, ne sont plus considérées comme des caractéristiques essentielles de la formation du futur citoyen. Et pourtant, nous vivons dans une société où l’esprit scientifique serait nécessaire pour combattre la montée des intégrismes de toutes sortes.

Plus généralement, dans cette commission nationale, aucune association de spécialistes, aucun syndicat n’est représentés. Son président n’a d’ailleurs pas hésité à dire qu’il craignait l’accaparemment du débat par les professionnels et l’inflationnisme (toujours plus de moyen). Mise en place en septembre, la commission cessera ses travaux en mars 2004, date à laquelle une première synthèse des débats sera faite. Quels débats ? Ceux qui se dérouleront dans les établissements scolaires durant l’automne et l’hiver 2003. Là encore, on agit dans la précipitation : en quelques mois, une commission, dont la représentativité est sujette à caution va faire un "diagnostic partagé de notre école". Ce diagnostic éclairera les principales lignes d’évolution possible de notre système scolaire pour LES QUINZE PROCHAINES ANNÉES et débouchera sur l’adoption d’une nouvelle loi d’orientation. Je n’invente rien, cela figure sur le site du ministère. Quelques mois et une soi-disant concertation déciderons de l’école pour les quinze prochaines années ! Quelle école nous prépare-t-on ? Une école à deux vitesses, où l’Education Nationale serait en charge du minimum et où les études supérieures, scientifiques notamment, seraient assurées par le privé, comme cela se fait déjà aux Etats Unis ? Il y a de quoi être inquièt .

Je sais, je dérive. Tout cela est impensable en France. Revenons à nos étoiles, ces étoiles qui nous ont donné les mathématiques. Car sans étoiles, les mathématiques n’existeraient peut-être pas. Historiquement, les mathématiques sont apparues lorsqu’on eut besoin de mesurer des grandeurs inaccessibles : hauteur d’une pyramide, périmètre de la terre, durée des saisons, distance d’un navire en mer par rapport aux côtes. Là où une mesure pratique ne suffit plus, une réflexion théorique fut nécessaire. Le soleil, grâce à l’ombre d’un simple bâton : le gnomon, les étoiles grâce à leur position dans le ciel nocturne permirent ces mesures inaccessibles directement. Les mathématiques naissantes montrèrent dès le début toute leur puissance.

Ainsi, pas de mathématiques sans étoiles, mais aussi, pas d’étoiles sans mathématiques.

Depuis Erathostene, Ptolémée, Kepler et Galilée, les mathématiques permettent de comprendre notre univers et de découvrir d’autres étoiles. Espérons que les générations futures ne perdront pas cet héritage mathématique et découvriront eux aussi d’autres étoiles.

Je vous souhaite de bonnes journées APMEP à PAU.

 

P.-S.

À noter :

Le 23 et 24 octobre 2003, pendant nos journées, se déroulait à Paris, au lycée Louis-le-Grand, une université d’automne pour les professeurs de SES. Cette université a été organisée par le MEDEF, avec la bénédiction de Ferry, Darcos et de Gaudemar.

Extraits de la plaquette de présentation : « Il s’agit de répondre aux critiques du mouvement hétérogène mais puissant que l’on désigne désormais sous le nom d’ " altermondialiste " et d’exposer aux participants les conditions qui permettent à la mondialisation de devenir un jeu à somme positive pour toutes les parties prenantes ».
 

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