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Le plat et les tartelettes

Pierre Legrand

On dispose d’un plat rond et d’un lot de tartelettes rondes identiques. Combien pourra-t-on en disposer sur le plat et comment ? Ce problème innocemment banal n’est, pour autant que je sache, pas résolu dans sa généralité. On se propose ici d’étudier les cas les plus simples avec des moyens ne dépassant pas ceux de la classe de première.

1. Mise en forme et transformation du problème

Sous forme mathématique, en représentant le plat et les tartelettes par des disques, le problème s’énonce comme suit.

1.1. Problème (\(\Pi1\))

Peut-on placer, dans un disque donné \(\mathcal{P}\) de centre O et de rayon \(\rho\) , n disques (n > 1) de rayon x de telle sorte que deux quelconques d’entre eux aient au plus un point commun ?

N.B. : dans tout cet article, « disque » est entendu au sens de « disque fermé » (intérieur et contour).

Ce problème à trois paramètres est susceptible de trois interprétations différentes, selon les deux paramètres que l’on fixe :

  • dans un plat donné, combien peut-on mettre de tartelettes de taille donnée [1] ?
  • pour un nombre donné de tartelettes, quelle doit être leur taille pour qu’elles aillent dans un plat donné ?
  • pour un nombre donné de tartelettes de taille donnée, quelle taille de plat faut-il ?

    1 . 2 . Transformation du problème (\(\Pi1\)) : problème (\(\Pi2\))

    Si nous nous intéressons maintenant, dans une solution du problème (\(\Pi1\)), aux centres des disques représentant les tartelettes, nous constatons :

  • que ces centres sont situés dans le disque \(\mathcal{D}\) ayant même centre O que \(\mathcal{P}\) et pour rayon R = \(\rho\)x.
  • que leurs distances mutuelles sont au moins égales à 2x.

    Nous sommes donc amenés à envisager un nouveau problème :

    Problème (\(\Pi2\)) : Peut-on, dans un disque donné \(\mathcal{D}\) de centre O et de rayon R, trouver n points dont les distances mutuelles soient toutes au moins égales à une valeur donnée d ?

    On voit aussitôt que si n points sont solution de (\(\Pi2\)), les n disques de centres ces points et de rayon \(x = {d\over2}\) sont solution de (\(\Pi1\)) pour le disque de centre O et de rayon \(\rho=R+{d\over2}\).
    Supposons alors que nous voulions placer n tartelettes de rayon x dans le plat \(\mathcal{P}\) de rayon \(\rho\) et de centre O. Il nous suffira de placer, dans le disque \(\mathcal{D}\) de centre O et de rayon \(R = \rho - x\), n points dont les distances mutuelles soient au moins égales à 2x et de tracer les cercles de rayon x ayant pour centres ces points. Si l’on sait résoudre (\(\Pi2\)) pour les valeurs n, \(R = \rho - x\) et \(d = 2x\), on sait donc résoudre (\(\Pi1\)) pour les valeurs n, r et x.
    On voit de même aisément que la résolution de tout problème (\(\Pi2\)) peut être ramenée à celle d’un problème (\(\Pi1\)).

    1.3. Reformulation du problème (\(\Pi2\)) : problème (\(\Pi3\))

    Pour tout ensemble \(\mathcal{F}\) de points du plan, on appellera espacement [2] de \(\mathcal{F}\) la plus petite des distances mutuelles des points de \(\mathcal{F}\) et on le notera e(\(\mathcal{F}\)).
    Avec ce vocabulaire, le problème (\(\Pi2\)) se formule ainsi :
    Peut-on, dans un disque donné \(\mathcal{D}\) de centre O et de rayon R, trouver un ensemble \(\mathcal{F}\) de n points d’espacement au moins égal à une valeur donnée d ?

    Si parmi les trois paramètres R, n et d, nous fixons les deux premiers, nous sommes ramenés au problème suivant :

    (\(\Pi3\)) : Étant donné un disque \(\mathcal{D}\) de centre O et de rayon R et un entier n étant choisi, trouver les ensembles \(\mathcal{F}\) de n points de \(\mathcal{F}\) tels que e(\(\mathcal{F}\)) soit le plus élevé possible. Un tel ensemble sera dit optimal [3].

    C’est sur ce problème (\(\Pi3\)) que nous travaillerons désormais.

    Remarque. Le disque \(\mathcal{D}\) étant fixe, l’existence pour tout n d’ensembles optimaux est assurée par le théorème classique « Toute fonction numérique continue sur un compact est bornée et atteint ses bornes », le compact étant ici \(\mathcal{D}^n\) et la fonction la plus petite des distances mutuelles des n points. Mais, pour tous les cas résolus ici, nous prouverons directement cette existence par des moyens élémentaires.

2. Ensembles optimaux de n points (\(n \le 8\)) dans un disque \(\mathcal{D}\)

2.1. Lemme (L1)

Nous nous servirons de façon répétée du lemme très simple ci-après. Observons la variation de la distance d’un point fixe \(\Omega\) à un point M décrivant un segment [AB].
Si H est la projection orthogonale de \(\Omega\) sur la droite \(\Delta\) support de [AB], la distance \(\Omega M\) est d’autant plus grande que M est plus éloigné de H. En distinguant selon la position de M par rapport à H (voir figures 1 et 2), on prouve aussitôt ce qui suit :
(L1) : La distance d’un point fixe \(\Omega\) à un point M variant sur un segment est maximum lorsque M est à l’extrémité la plus éloignée de \(\Omega\) et seulement en ce point ; si les deux extrémités sont équidistantes de \(\Omega\), le maximum est atteint en ces deux seuls points.


Ce lemme va nous permettre d’en établir un second, directement adapté à notre problème.

2.2. Lemme (L2)

Soit dans le disque \(\mathcal{D}\) deux points M et N distincts de O, U et V les points d’intersection des demi-droites [OM) et [ON) avec le cercle \(\Gamma\) contour de \(\mathcal{D}\). Alors, si \(MN \ge R\), on a MN < UV sauf si M est en U et N en V.


Supposons, ce qui n’est pas restrictif, que M n’est pas en U. Appliquons le lemme (L1) au point M et au segment [OV]. La longueur MN est au plus égale à la plus grande des longueurs MO et MV ; mais par hypothèse \(MO < R \le MN\). Nous avons donc \(MN \le MV\).
Appliquons maintenant le lemme (L1) au point N et au segment [OU]. La longueur MV est au plus égale à la plus grande des longueurs OV (qui vaut R) et UV ; mais nous avons prouvé que \(R \le MN \le MV\). Nous avons donc bien \(MV \le UV\) et finalement \(MN \le UV\).
Discutons la possibilité d’avoir MN = UV. De \(MN \le MV \le UV\), on tire MN = MV = UV. Toujours d’après le lemme (L1), la première égalité exige N = V et la seconde M = U.

2.3. Étude lorsque n vaut 3, 4 ou 5

Pour \(3 \le n \le 5\), les seuls ensembles optimaux sont ceux formés des sommets d’un n-gone régulier inscrit dans \(\Gamma\).
Nous laissons de côté le cas évident n = 2. Observons d’abord que, quel que soit \(n \ge 3\), si l’on prend pour \(\mathcal{F}\) l’ensemble des sommets d’un n-gone régulier inscrit dans \(\Gamma\), e(\(\mathcal{F}\)) est évidemment la longueur du côté de ce n-gone, soit \(2R sin {\pi \over n}\).
Supposons maintenant \(3 \le n \le 5\). Soit \(\mathcal{F}\) un ensemble de points, tel que \(e(\mathcal{F}) \ge 2R sin {\pi \over n}\) ; pour établir la proposition, il nous suffit, compte tenu de la remarque précédente, de prouver qu’une tel ensemble \(\mathcal{F}\) est formé des sommets d’un n-gone régulier inscrit dans \(\Gamma\).

Remarquons d’abord que \(2 sin {\pi \over n} > 1\) , puisque n < 6, et que donc \(e(\mathcal{F}) \ge 2R sin {\pi \over n}\).
Nous en tirons deux choses :

  • O ne fait pas partie de \(\mathcal{F}\), puisque sa distance à tout point de \(\mathcal{D}\) est au plus R,
  • la distance mutuelle de deux points de \(\mathcal{F}\) est strictement supérieure à R, ce qui nouspermettra d’appliquer le lemme (L2).


    Appelons \(A_i\) les points de \(\mathcal{F}\), i allant de 0 à n−1 (les indices étant considérés modulo n) et \(U_i\) le point d’intersection avec de la demi-droite issue de O passant par \(A_i\). Supposons les points numérotés de sorte qu’en décrivant le circuit \(U_0, U_1, … U_{n-1}\), \(U_0\) on décrive le cercle \(\Gamma\) dans le sens positif.
    N.B. : la figure 4 est faite dans le cas n = 4, en prenant i = 2 .
    Appliquons le lemme (L2) au triangle \(OA_iA_{i+1}\). On a \(A_iA_{i+1} \le U_iU_{i+1}\), l’égalité n’étant réalisée que si \(A_i=U_i, A_{i+1}= U_{i+1}\).
    Comme \(e(\mathcal{F}) \ge 2R sin {\pi \over n}\), chacun des \(A_iA_{i+1}\), donc aussi chacun des \(U_iU_{i+1}\), est au moins égal à \(2R sin {\pi \over n}\). Les \(U_i\) forment donc un n-gone inscrit dans \(\Gamma\) dont chaque côté est au moins égal à celui du n-gone régulier inscrit, donc bien un n-gone régulier inscrit. On a finalement :

    $$2Rsin {\pi \over n} \le A_iA_{i+1} \le U_iU_{i+1} \le 2Rsin {\pi \over n}$$


    donc, pour tout i, \(A_iA_{i+1}=U_iU_{i+1}\) ce qui implique d’après (L2) que \(A_i = U_i\) pour tout i.

2.4. Cas de six points

Pour n = 6, les ensembles optimaux sont formés soit des sommets d’un hexagone régulier inscrit dans \(\Gamma\), soit du centre O et de cinq points répartis sur \(\Gamma\) de telle sorte que la distance de deux consécutifs de ces cinq points soit au moins égale à R.

Les ensembles \(\mathcal{F}\) mentionnés ci-dessus vérifient trivialement e(\(\mathcal{F}\)) = R.
Inversement, soit \(\mathcal{F}\) un ensemble de six points vérifiant e(\(\mathcal{F}\)) \(\ge\) R. Nous distinguerons deux cas, selon que O appartient ou non à \(\mathcal{F}\).
Si O est un point de \(\mathcal{F}\), puisque e(\(\mathcal{F}\)) \(\ge\) R, les autres points sont sur \(\Gamma\) et de plus leurs distances mutuelles sont au moins égales à R.
Si O n’est pas un point de \(\mathcal{F}\), il suffit de reprendre mot pour mot le raisonnement du § 2.3 en faisant n = 6.

2.5. Cas de sept points

Pour n = 7, les ensembles optimaux sont formés des sommets d’un hexagone régulier inscrit dans \(\Gamma\) et du centre O.

Il est manifeste que, pour un ensemble \(\mathcal{F}\) formé du centre O et des sommets d’un hexagone régulier inscrit dans \(\Gamma\), on a e(\(\mathcal{F}\)) = R.
Supposons maintenant qu’un ensemble \(\mathcal{F}\) de sept points vérifie e(\(\mathcal{F}\)) \(\ge\) R. Parmi eux, on peut en trouver six distincts de O. Ils forment un sous-ensemble \(\mathcal{G}\) de six points tel que e(\(\mathcal{G}\)) \(\ge\) R et, d’après l’étude du cas n = 6, ils sont les sommets d’un hexagone régulier inscrit \(\mathcal{J}\). Si le septième point n’était pas O, il ferait avec cinq des sommets de \(\mathcal{J}\) un sous-ensemble \(\mathcal{G’}\) de \(\mathcal{F}\) auquel on pourrait appliquer le même raisonnement qu’à \(\mathcal{G}\) ; ce serait donc le sixième sommet de \(\mathcal{J}\) et deux points de \(\mathcal{F}\) seraient confondus.

2.6. Cas de huit points

Pour n = 8, les ensembles optimaux sont formés des sommets d’un heptagone \(\mathcal{H}\) régulier inscrit dans \(\Gamma\) et d’un huitième point situé dans une certaine zone \(\mathcal{Z}_H\) entourant O. Leur espacement est la longueur des côtés de cet heptagone, soit \(2Rsin {\pi \over 7}\)

Les choses ici se compliquent et il faut raisonner en plusieurs étapes.

Phase 1 : construction d’ensembles d’espacement \(2Rsin {\pi \over 7}\)
L’ensemble \(\mathcal{F}\) de points formé des sommets d’un heptagone régulier \(\mathcal{H}\) inscrit dans \(\Gamma\) et du centre O de \(\Gamma\) vérifie trivialement e(\(\mathcal{F}\)) = 2Rsin \pi \over 7\approx 0,868 R. En remplaçant dans \(\mathcal{F}\) le point O par un point \(\Omega\) tel que la distance de \(\Omega\) à chacun des sommets de \(\mathcal{H}\) soit au moins égale à \(2Rsin {\pi \over 7}\), on ne change pas e(\(\mathcal{F}\)).


L’ensemble \(\mathcal{Z}_H\) de ces points \(\Omega\) n’est pas réduit à O, car il contient le disque de centre O et de rayon \(R(1-2sin {\pi \over 7})\) : si en effet \(\Omega\) est dans ce disque, la distance de \(\Omega\) à tout sommet A de \(\mathcal{H}\) vérifie \(\Omega A \ge OA-O\Omega \ge 2Rsin {\pi \over 7}\). On voit aisément que le contour de \(\mathcal{Z}_H\) a la forme d’un heptagone curviligne « régulier » (figure 5).
Nous allons prouver que les ensembles ainsi construits sont optimaux et que ce sont les seuls.

Phase 2 : étude des ensembles \(\mathcal{G}\) de huit points de \(\mathcal{D}\) tels que e(\(\mathcal{G}\)) \(\ge 2Rsin {\pi \over 7}\)

Partageons \(\mathcal{D}\) en deux morceaux \(\mathcal{A}\) et \(\mathcal{B}\), \(\mathcal{A}\) étant l’ensemble des points tels que OM < R sin \({\pi \over 7}\) et \(\mathcal{B}\) la couronne formée des autres points de \(\mathcal{D}\) . La distance de deux quelconques des points du disque ouvert \(\mathcal{A}\) est strictement inférieure à son diamètre, qui est \(2Rsin {\pi \over 7}\). Il en résulte que, si \(\mathcal{G}\) est un ensemble de huit points de \(\mathcal{D}\) tel que e(\(\mathcal{G}\)) \(\ge 2Rsin {\pi \over 7}\) , \(\mathcal{A}\) contient au plus un point de \(\mathcal{G}\) et donc \(\mathcal{B}\) en contient au moins sept.
Nous allons prouver que, si un ensemble \(\mathcal{G’}\) de sept points de \(\mathcal{B}\) vérifie e(\(\mathcal{G’}\)) \(\ge 2Rsin {\pi \over 7}\) , ces points sont les sommets d’un heptagone régulier inscrit dans \(\Gamma\).
Appelons ces points \(A_i\), i allant de 0 à 6 (les indices étant considérés modulo 7) et \(U_i\) le point d’intersection avec \(\Gamma\) de la demi-droite [O\(A_i\)). Supposons les points numérotés de sorte qu’en décrivant le circuit \(U_0, U_1, … U_{n−1}, U_0\), on décrive le cercle \(\Gamma\) dans le sens positif. Les sept angles \( \theta_i =\widehat{A_i O A_{i+1}}\) ont pour somme 2\(\pi\), donc l’un au moins est inférieur au sens large à \({2\pi \over 7}\).
Nous admettrons provisoirement le lemme suivant :
Lemme (L3) : Soit dans la couronne \(\mathcal{B}\) deux points M et N, tels que \(\widehat{MON} \le {2\pi \over 7}\) Alors MN < \({2\pi \over 7}\) , sauf si \(\widehat{MON}={2\pi \over 7}\) avec M et N sur \(\Gamma\).
Reprenons alors nos points \(A_i\). Soit k un indice tel que \( \theta_k \le {2\pi \over 7}\) Les deux points \(A_k\) et \(A_{k+1}\) vérifient \(A_kA_{k+1} \ge 2Rsin {\pi \over 7}\) . Le lemme permet de conclure que \(A_k\) et \(A_{k+1}\) sont sur \(\Gamma\) et \( \theta_k = {2\pi \over 7}\)
Ainsi aucun des sept \(\theta_i\) n’est strictement inférieur à \({2\pi \over 7}\) . Comme leur somme est \(2\pi\), ils sont tous égaux à \({2\pi \over 7}\). Donc tous les couples \(A_i, A_{i+1}\) vérifient les hypothèses du lemme (L3) ; ces points sont donc sur \(\Gamma\). La valeur des \(\theta_i\) montre qu’ils forment un heptagone régulier.
Sous réserve que le lemme soit établi, nous avons prouvé que tout ensemble \(\mathcal{G}\) de huit points de \(\mathcal{D}\) tels que e(\(\mathcal{G}\)) \(\ge 2Rsin {\pi \over 7}\) vérifie e(\(\mathcal{G}\)) = 2Rsin \({\pi \over 7}\) et qu’il est constitué des sept sommets d’un heptagone régulier inscrit dans \(\Gamma\) et d’un huitième point convenable.

Phase 3 : démonstration du lemme (L3)

Soit, dans la couronne \(\mathcal{B}\) formée des points tels que \(Rsin {\pi \over 7} \le OP \le R\) , deux points M et N tels que \(\widehat{MON} \le {2\pi \over 7}\). Il nous faut montrer que MN < \(2Rsin {\pi \over 7}\), sauf si \(\widehat{MON} = {2\pi \over 7}\) et que M et N soient sur \(\Gamma\).
Remarquons d’abord que, lorsqu’on laisse constantes les distances OM et ON, la distance MN est fonction croissante de \(\widehat{MON}\) (penser, par exemple, à la formule donnant un côté d’un triangle en fonction des deux autres et de leur angle). On peut donc se limiter à \(\widehat{MON}={2\pi \over 7}\) , ce que nous supposerons désormais. Nous supposerons également OM \(\le\) ON, ce qui n’est pas restrictif.


Si N n’est pas sur \(\Gamma\), une homothétie de centre O et de rapport strictement supérieur à 1 (figure 6) transforme M et N en deux points M’ et N’ tels que N’ soit sur \(\Gamma\). Si l’on a M’N’\(\le 2Rsin {\pi \over 7}\), alors MN < \(2Rsin {\pi \over 7}\) .
Il nous suffit donc de faire la démonstration lorsque N est sur \(\Gamma\) et que M n’est pas sur \(\Gamma\).
Appelons H la projection de N sur la droite (OM), K et L les points d’intersection de cette droite avec \(\Gamma\) et avec le cercle intérieur de la couronne \(\mathcal{B}\) respectivement (figure 7).
Nous avons, outre OK = R,

$$OL=Rsin {\pi \over 7} \approx 0.43R ; OH=Rcos {\pi \over 7} \approx 0.62R $$


Donc H est entre L et K, avec HL \(\approx\) 0,19 R et
HK \(\approx\) 0,38 R. De HL < HK, on tire NL < NK. Si maintenant on applique le lemme (L1) au point N et au segment [LK], on obtient MN < KN sauf lorsque M est en K, ce que nous avons exclu. Comme KN=\(2Rsin {\pi \over 7}\) , on a bien l’inégalité cherchée.

2.7. Récapitulation

valeur de n valeur maximum de e(\(\mathcal{F}\) ) configurations optimales
2 2 R points diamétralement opposés
3 R \(\sqrt{3}\) triangle équilatéral
4 R \(\sqrt{2}\) carré
5 2R \(sin {\pi \over 5}\) pentagone régulier
6 R hexagone régulier
pentagone convenable + centre
7 R hexagone régulier + centre
8 2R \(sin {\pi \over 5}\) heptagone régulier + point convenable

2.8. Et au-delà ?

Au-delà de n = 8, la situation se corse. Il est manifeste que, lorsque n augmente,les ensembles optimaux contiennent de plus en plus de points intérieurs à \(\mathcal{D}\).
Comme nous l’avons indiqué au début de cet article (§ 1.1 et note 1), il est assez facile, à l’aide d’un logiciel de géométrie dynamique, de faire une recherche empirique de ce que peuvent être les dispositions optimales des points lorsque n n’est pas trop élevé. La forme (\(\Pi_1\)) du problème est bien adaptée à ce travail, que l’on peut prendre sous deux formes :

  • On essaie de disposer de la façon la plus serrée possible n petits disques de même rayon, puis on tâche de les inclure tous (en déplaçant certains si besoin) dans un grand disque de rayon aussi faible que possible.
  • On fabrique un grand disque auquel on ne touche plus et n petits disques de même rayon que l’on essaie de placer au mieux, en modifiant si nécessaire leur rayon.
    En revanche, pour n > 8, la mise en place de démonstrations devient fort délicate.
    Le lecteur géomètre pourra s’essayer au cas n = 9 ; il pourra aussi se pencher sur le cas n = 19, dont l’étude est ébauchée ci-après.

3. Le cas n = 19

Une étude de ce cas, partielle mais instructive, est possible à partir d’une configuration classique que l’on retrouve dans un célèbre pavage semi-régulier du plan (figure 8 bis). Elle me paraît pouvoir faire l’objet d’un travail avec une classe.

3.1. La configuration de base

Le principe est celui-ci : étant donné un hexagone régulier, on construit sur chacun de ses côtés un carré situé à l’extérieur de l’hexagone (figure 8). On voit immédiatement que les douze nouveaux points obtenus forment un dodécagone régulier de même centre que l’hexagone.

Si on désigne par r le rayon du cercle \(\mathcal{C}\) circonscrit à l’hexagone, par R le rayon du cercle \(\Gamma\) circonscrit au dodécagone, par O le centre commun et par \(\mathcal{D}\) le disque délimité par \(\Gamma\), l’ensemble \(\mathcal{F}\) de dix-neuf points formé de O et des sommets des deux polygones vérifie, comme on peut le contrôler aisément, e(\(\mathcal{F}\)) = r.
En étudiant les angles de la figure, on établit immédiatement les deux formules \(r=2Rsin {\pi \over 12}\) et \(R=2rsin {5\pi \over 12}\). Il peut être intéressant de faire démontrer directement aux élèves la formule \(sin {\pi \over 12}sin {5\pi \over 12}={1 \over 4}\) (elle découle, par exemple, de \(sin {5\pi \over 12}=cos{\pi \over 12 )\).


Il est intéressant aussi de faire reconstituer la figure, à la règle et au compas, à partir de O, de \(\Gamma\) et d’un sommet A du dodécagone donné a priori ; on observera alors que, si le dodécagone s’obtient sans ambiguïté, il existe deux hexagones possibles se déduisant l’un de l’autre par rotation de \(\pi \over 6\) (figure 9).

3 . 2 . Application au problème (\(\Pi_3\))

Nous savons donc que, dans un disque \(\mathcal{D}\) de rayon R, on peut caser dix-neuf points dont les distances mutuelles sont au moins égales à \(2Rsin {\pi \over 12}\) . Sur ces dix-neuf points, douze sont sur le contour et sept à l’intérieur.
La configuration présentée est sans nul doute optimale, mais le démontrer est fort probablement coriace. En revanche, certains résultats partiels s’obtiennent sans difficulté :

  • un ensemble \(\mathcal{E}\) formé de dix-neuf points du disque dont six au plus sont à l’intérieur ne saurait être optimal ; en effet, au moins treize points de \(\mathcal{E}\) seraient sur \(\Gamma\), donc la distance entre deux au moins d’entre eux serait inférieure à r, côté du dodécagone inscrit dans \(\Gamma\) ;
  • un ensemble \(\mathcal{E}\) formé de dix-neuf points du disque dont sept seulement sont à l’intérieur vérifie e(\(\mathcal{E}\)) \(\le 2Rsin {\pi \over 12}\) , l’égalité n’ayant lieu que si la configuration est celle que nous avons étudiée plus haut.
    Démontrons ce second résultat. Douze points de \(\mathcal{E}\) sont sur \(\Gamma\). S’ils ne forment pas un dodécagone régulier, on peut trouver deux d’entre eux dont la distance soit strictement inférieure à r et donc e( \(\mathcal{E}\)) < \(2Rsin {\pi \over 12}\). S’ils forment un dodécagone régulier, les sept points de \(\mathcal{E}\) situés à l’intérieur de \(\mathcal{D}\) sont à l’extérieur ou sur le contour des douze disques de rayon r ayant pour centres les sommets du dodécagone (figure 9), c’est-à-dire dans une zone entièrement incluse dans le disque limité par \(\mathcal{C}\).
    Il résulte alors du § 2.5 que ces sept points sont les sommets d’un hexagone régulier inscrit dans \(\mathcal{C}\) et le centre O.

3.3. Retour aux tartelettes

Nous nous limiterons désormais à n \(\le\) 8.
Si l’on reprend les notations de 1.1, c’est-à-dire un plat circulaire \(\mathcal{P}\) de centre O et de rayon \(\rho\) sur lequel on cherche à placer, sans chevauchement, n disques de rayon x, nous avons vu que la résolution de ce problème équivaut à celle du problème (\(\Pi_2\)) pour \(R = \rho - x\) et d = 2x. Nous pouvons donc tirer du tableau dressé en 2.8 un tableau relatif à (\(\Pi_1\)) : il suffit d’exprimer les données de la colonne centrale du premier tableau en fonction des variables \(\rho\) et x.

Soit \(\lambda\) un réel. Un petit calcul montre que d = \(\lambda\) R équivaut à x = \({\lambda \rho \over 2+\lambda}\).On obtient alors sans difficulté le tableau qui suit :

valeur de n valeur maximum de x disposition des centres
2 \(\rho \over 2\) symétriques par rapport à
3 \(\rho (2\sqrt{3}-3)\) triangle équilatéral
4 \(\rho (\sqrt{2}-1)\) carré
5 \(\rho {sin {\pi \over 5} \over {1+sin {\pi \over 5}\) pentagone régulier
6 \(\rho \over 3\) hexagone régulier
pentagone convenable + centre
7 \(\rho \over 3\) hexagone régulier + centre
8 \(\rho {sin {\pi \over 7} \over {1+sin {\pi \over 7}\) heptagone régulier + point convenable

4. Conclusion

Au terme de ce travail, les résultats les plus remarquables auquel on parvient résultent de la lecture des lignes 3 à 6, puis 6 et 7 du tableau précédent :

  • si on peut caser sur le plat trois, quatre, cinq ou six
    tartelettes, il est possible de le faire en les mettant le
    long du bord ;
  • si on peut caser sur le plat six tartelettes, il est possible d’en caser une septième (figure 10).


    Une personne qui m’est chère m’a fait remarquer que je m’étais fatigué pour rien. Elle savait depuis
    longtemps qu’en disposant six toasts sur le pourtour d’un plat, il reste assez de place au centre pour en loger un. Un peu vexé, j’ai déclaré que c’était cela aussi les mathématiques : démontrer dans la douleur ce que tout un chacun sait par intuition.

Je voudrais finir sur une note plus sérieuse. Le mois de juillet 2008 est le quarantième anniversaire des premiers programmes de « mathématiques modernes ».
À l’époque, les meilleurs esprits estimaient que la géométrie était un exercice suranné, puéril et pervers, et souhaitaient « que le temps si précieux des élèves de l’Enseignement secondaire ne soit plus perdu sur de pareilles amusettes [4] ». Nous en sommes maintenant un peu revenus, mais il reste encore des traces. Moi-même, quand je gratte bien au fond de mon inconscient…

Ce que j’aimerais avoir montré sur l’exemple que je viens de présenter, c’est que, pas plus que l’arithmétique, la géométrie élémentaire n’est une branche morte de la mathématique, mais que c’est un rameau bien vivant, solidement accroché au réel et porteur de beaux fruits : des problèmes stimulants pouvant être abordés à tous niveaux.

Annexe « expérimentale », par Marc Roux

<redacteur|auteur=500>

Notes

[1N.B. : Observons que la première interprétation se prête particulièrement bien à une expérimentation par usage d’un logiciel de géométrie dynamique. Se reporter à l’annexe de Marc Roux

[2Terme non canonique

[3Terme non canonique

[4J. Dieudonné, Bulletin de l’APMEP n° 253, p. 328.

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