Lettre ouverte à Madame la Ministre de l’ Éducation Nationale

Paris le 20 juin 2015

Bernard Egger
Président de l’APMEP
26, rue Duméril
75013 PARIS

egger.bernard@orange.fr

 

A Madame Najat Vallaud Belkacem
Ministre de l’Education Nationale,
de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche

Madame la Ministre,

Le Bureau National de l’APMEP a pris la décision de soutenir une réforme pourtant encore bien floue. Il s’agissait pour lui de ne pas laisser passer l’occasion enfin offerte d’une évolution importante des pratiques que la situation de l’école appelle. Néanmoins, la réussite de cette entreprise passera par une clarification de ses objectifs et des moyens que vous pensez mettre en œuvre.

L’inquiétude des enseignants est palpable et légitime. Une nouvelle version de la circulaire d’application vient d’être publiée. Sera-t-elle à même de rassurer les professeurs et ceux de mathématiques en particulier ?

Si l’interdisciplinarité est une revendication ancienne de notre association, il faut reconnaître que les mathématiques n’y ont pas toujours trouvé leur place dans le passé. Elles y ont été souvent cantonnées à un rôle d’outils pour les autres disciplines. La réduction d’une demi-heure de l’horaire hebdomadaire disciplinaire ne sera pas acceptable si elle n’est pas accompagnée d’un cadrage clair des EPI et de ressources permettant au professeur de mathématiques de prendre toute sa place dans ce dispositif. Si la possibilité d’interventions conjointes de plusieurs enseignants est sans doute une bonne chose, elle n’apporte aucune garantie quant à la place relative des différentes disciplines dans ce travail commun. Celle des mathématiques ne peut pas se réduire à la présence d’un enseignant de cette matière au sein de ce type d’organisation. Les EPI doivent pouvoir devenir, entre autres, le laboratoire naturel des mathématiques du citoyen, c’est-à-dire le lieu où l’on apprend aux élèves à déceler ce qui est mathématisable dans les situations du monde, puis à les conduire à une mathématisation pertinente.

Chacun peut se rendre compte qu’un enseignement identique pour tous ne rend pas l’école plus égalitaire. L’innovation pédagogique est sans doute l’une des réponses les mieux adaptées pour permettre à des publics très diversifiés d’atteindre les mêmes objectifs par des chemins différents. Elle demande une autonomie effective des équipes pédagogiques tant dans les méthodes que dans l’organisation du travail, et cette autonomie ne doit en aucun cas se réduire à celle d’un chef d’établissement et être détournée à des fins gestionnaires. Il importe de donner aux enseignants des moyens institutionnels de recours et de médiation pour éviter ce type de dérive. La circulaire mentionne bien une instance de concertation, mais reste très imprécise sur ses attributions et sa composition.

Cette réforme du collège est ambitieuse. Elle ne pourra réussir que si les acteurs de terrain sont accompagnés dans sa mise en œuvre. Plus que jamais une véritable formation continue, avec des moyens effectifs, est indispensable, pour que l’on puisse espérer que les nouveaux dispositifs prévus fonctionnent efficacement. Malgré des effets d’annonce, trop souvent lors de précédentes réformes, des dispositifs similaires ont été détournés de leurs objectifs initiaux faute d’une préparation sérieuse. En l’espèce, l’improvisation n’a rien à voir avec la liberté pédagogique. Nous avons bien noté que des actions de formation sont d’ores et déjà prévues. Toutefois, la mise en pratique de la réforme conduira immanquablement à des difficultés qui n’avaient pas été anticipées. Une mobilisation forte des corps d’inspection pour un accompagnement de terrain nous semble une mesure indispensable pendant les deux premières années.

La nécessité d’une approche plus individualisée de l’élève ne fait aucun doute. Elle est en filigrane dans le texte de la réforme. Mais est-elle réellement possible avec des classes trop chargées ? Une des conditions essentielles pour que l’enseignant puisse être disponible pour chacun de ses élèves est qu’il n’en ait pas trop. Une diminution progressive du nombre maximum d’élèves par classe nous semble une mesure propice à favoriser la réussite de cette réforme.

Une programmation des apprentissages sous la forme de cycles de trois ans devrait permettre une meilleure prise en compte du rythme d’acquisition de chaque élève. En mathématiques, dans un premier temps, elle n’éliminera pas une déclinaison annuelle des programmes, mais elle en assouplira considérablement la mise en œuvre. Nous pouvons aisément imaginer le bénéfice d’un tel fonctionnement quand les élèves l’auront vécu durant les trois années du cycle. Mais nous ne comprenons pas quel intérêt il y aurait à modifier simultanément l’ensemble des classes d’un cycle. Cela risque bien de créer une situation difficile tant du côté des professeurs que de celui des élèves. Demander à des enseignants de changer de programmes dans toutes leurs classes tout en investissant positivement de nouveaux dispositifs pour lesquels ils auront à inventer localement les modalités de fonctionnement ne nous paraît ni réaliste, ni raisonnable. Une entrée plus progressive dans la réforme nous semble plus à même d’en assurer le succès.

Pour l’APMEP, l’école doit être capable de former aussi bien des citoyens avertis que des spécialistes, voire des experts. Nous analysons cette réforme comme l’émergence d’un nouveau collège recentré sur la formation du citoyen. Ce fut longtemps le rôle dédié à l’école primaire et au certificat d’études. Mais aujourd’hui, les exigences sociales de formation se sont accrues. Le collège est donc tout désigné comme continuateur de l’école primaire pour assurer entre autres la formation mathématique du citoyen du XXIème siècle. Ce passage doit s’accompagner selon nous dans de très brefs délais d’une réforme conséquente du lycée dans laquelle des mathématiques plus expertes retrouveraient pleinement leur place au sein de séries scientifiques renforcées (en termes de contenus et d’horaires). A notre grand regret, l’articulation entre l’école du socle (premier degré et collège) et celle qui aura en charge de former des utilisateurs de mathématiques plus spécialisées est souvent absente des discours officiels. Elle n’est pas évoquée dans le texte de la réforme du collège. Selon nous, une future réforme du lycée devra se donner comme priorité de répondre au problème que pose le changement de point de vue entre deux sortes de mathématiques dont les objectifs sont évidemment très différents.

Nous pensons, Madame la Ministre, qu’aucune réforme, même si ses intentions et ses objectifs sont louables, ne peut réussir sans l’adhésion des personnes qui devront l’appliquer. Votre détermination à défendre cette réforme du collège apparaît clairement dans vos discours. Il ne faudrait pas qu’elle soit démentie en ne donnant pas aux changements que vous préconisez les conditions et les moyens de leur réussite.

Je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de mes sentiments respectueux et dévoués à une école et une formation mathématique de qualité.

Bernard Egger, Président de l’APMEP

 

Dans le Bulletin officiel n°27 du 2 juillet 2015 - Enseignements primaire et secondaire - Enseignements au collège parution de la Circulaire n° 2015-106 du 30-6-2015

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