Soyons héréditaires ! Claus de Siam

Trifocales ?

Voici un « petit » problème sur lequel réfléchissent en ce moment des membres du LAMFA (Laboratoire de Mathématiques de la Faculté d’Amiens) :

Sachant que l’ensemble des points M du plan tels que \(AM\) + \(BM\) est constante est une ellipse (définition bifocale) ; quelle est la nature de l’ensemble des points \(M\) du plan tels que \(AM\) + \(BM\) + \(CM\) soit constante ?

Je dois avouer que je cherche depuis quelques jours déjà, je trouve naturellement ce genre de problèmes très motivant et stimulant ! Mais pour l’instant je n’ai pas de pistes ; si quelqu’un a une idée…

Un foyer : le cercle, deux foyers : l’ellipse, trois foyers : ?… J’ai essayé de représenter cet ensemble sur cabri, est-ce encore une ellipse ou alors un ovale ? J’ai découvert la notion d’ovale de Cassini et la définition trifocale d’une ellipse sur google, mais pour l’instant je ne vois pas de liens avec ce problème…

Un collègue m’a dit que cette fonctionnelle \(f(M)=AM+BM+CM\) atteignait son minimum au point de Toricelli (Cf Sortais), peut-être est ce une piste ?

Si quelqu’un a une idée…

Ludovic Legry
Professeur de Mathématiques
Lycée Marie Curie de Nogent sur Oise

 

Idées de Francesco Colonna Romano

Bonjour Ludovic,

Merci pour le « petit » problème, je viens d’y réfléchir un peu et je t’envoie mes premières idées. Pour aujourd’hui il faut que j’arrête car je dois corriger des copies de management et préparer mes cours de droit…

Alors voilà :

Je note \(f(M) = AM+BM+CM\). L’ensemble recherché est \(f(M) = Q\)

 

1. Tout d’abord 2 cas extrêmes

En prenant le gradient de \(f\), on voit que \(f\) est minimale en un point où la somme des trois vecteurs unitaires pointant vers \(A\), \(B\) et \(C\) vaut 0. Ce point voit les 3 points avec un angle de 120°. Ça doit être ce que tu appelles le « point de Torricelli ». Il est nécessairement à l’intérieur du triangle \(ABC\), et j’admets qu’il doit être unique et exister toujours. Il donne la valeur minimale de \(Q\) en deçà duquel l’ensemble recherché est vide. Pour cette valeur limite l’ensemble est réduit à un point.

Autre valeur limite : pour \(Q\) très grand, on est nécessairement loin des trois points à la fois. De loin, ces trois points nous paraîtront comme confondus, et donc l’ensemble recherché sera proche d’un cercle de centre proche (entre) de ces trois points et de rayon \(Q\)/3.

Il reste à voir entre les deux cas.

Les points de l’ensemble sont à l’intersection d’un cercle de centre un des trois points et d’une ellipse (de foyers les deux autres points). Or, sauf pour les points singuliers (tangence), un cercle et une ellipse ont toujours 2 ou 4 points d’intersection. À partir d’un point générique de l’ensemble on peut construire au moins un point associé situé sur le même cercle. En considérant à tour de rôle les cercles de sommets différents et en prenant les points associés, on fait apparaître toute une orbite de points.

Dans le cas sympa où l’ensemble considéré est intérieur au triangle (Cf la suite, je vais donner d’autres résultats sur ce cas), il semblerait que l’orbite a 6 points répartis selon certaines « symétries » par rapports aux sommets. Dans ce cas précis, les cercles et ellipses ont toujours 2 et pas 4 points d’intersection. Tout ceci me fait penser que dans le cas sympa on doit trouver une sorte d’ovale (sans doute étudiée par certains
mathématiciens) dont l’équation est probablement compliquée. Ce qu’on pourrait souhaiter c’est de déterminer les sommets (points critiques, où le cercle est tangent à l’ellipse), montrer que c’est convexe (ceci doit être le plus pénible), et déterminer les intersections avec le triangle.

Dans la suite, tu verras par contre qu’il y a probablement des cas différents.

Dans tous les cas, ça ne fait pas de mal de rappeler que l’ensemble cherché est borné. Il ne part pas à l’infini, donc il y aura des sommets dans diverses directions.

 

2. Une disjonction de cas POUR 1 SOMMET

On suppose l’ensemble non vide et non réduit à un point : \(Q\) > \(Q_{min}\)

Soit \(A\) un sommet fixé. Si \(Q < AB + AC\) alors il existe un point \(A’\) à l’intérieur du triangle \(ABC\) qui se trouve parmi les points de l’ensemble à une distance minimale de \(A\). En ce point il y a tangence du cercle et de l’ellipse.

Une idée probablement simple à démontrer (je l’ai fait rapidement dans le cas \(ABC\) équilatéral) : il existe un seul autre point de l’ensemble situé sur la droite \(AA’,\) qui se trouve à une distance maximale de \(A\). C’est le sommet opposé de l’ovale, il y a aussi une tangence entre le cercle et l’ellipse. L’unicité de ce point vient normalement du fait que la fonction \(f\) ne peut avoir qu’un minimum local sur la droite \((AA’)\) et l’existence de plusieurs points de l’ensemble sur cette droite contredirait ceci (th. de Rolle).

Une question intéressante est de savoir si cet autre sommet est à l’intérieur ou extérieur du triangle. On avait à priori deux candidats sur mon dessin à main levée, l’un du même côté de la droite \((BC)\) que \(A\), l’autre du côté opposé.

En prenant un cas extrême où \(B\) et \(C\) sont confondus, on trouve les deux sommets de part et d’autre de \((BC)\) (ici un point). Ce cas extrême est très intéressant car il permet de tracer la courbe de la restriction de \(f\) à la droite \((AB)\). (Au fait, on peut le résoudre complètement, on trouve un cercle).

Je pense qu’on peut traiter le cas \(ABC\) équilatéral par simple calcul, mais il ne tient pas dans la marge de ma feuille ;-)

Deuxième possibilité : \(Q > AB+BC\). Je n’ai pas vraiment étudié ce cas, mais le cas limite où \(B=C\) me donne une idée de la réponse : il y aurait deux sommets. \(A\) et le minimum de \(f\) sur cet axe seraient tous deux entre ces deux sommets.

Dans ces deux cas (je suis moins sûr du deuxième), on voit apparaître une sorte d’« axe focal » passant par \(A\), et deux sommets. On pourrait se demander quel est le lien entre le point de Torricelli et cet axe (ça serait joli qu’il y appartienne).

Au voisinage de ces sommets, le comportement de l’ensemble est facile à imaginer. Pour le point \(A’\) (le plus loin de \(B\) et \(C\), et le plus proche de \(A\)), on va être obligé de s’approcher de \(B\) si on part d’un côté, de \(A\) dans l’autre (ellipse et cercle auront deux intersections). La concavité est bien tournée vers le segment \([BC]\). Pour le sommet opposé ça va se passer de même.

 

3. Une typologie de cas pour l’ensemble cherché

Ce qui me parait le plus important dans l’étude précédente, c’est qu’elle va de donner une typologie des cas selon que chaque sommet vérifie ou pas la relation \(Q < AB+BC\).

Le cas le plus sympa où les trois sommets le vérifient doit être proche du cas \(ABC\) équilatéral et \(Q< 2×Côté\), avec une sorte de « symétrie » par rotation de 120°, et un ensemble que j’imagine proche d’une ovale. (dis-moi si je me trompe).

Le cas où aucun sommet ne vérifie cette condition est probablement proche du cas « \(Q\) très grand » (qui revient à \(A\), \(B\) et \(C\) confondus), donc une ovale contenant le triangle \(ABC\) ou encore du cas \(ABC\) équilatéral avec \(Q > 2×côté\).

Tiens, je vois apparaître un cas particulier probablement joli à traiter : le cas \(ABC\) équilatéral et \(Q=2*côté\) on tombera sur une courbe connue.

Il reste les cas où deux sommets vérifient cette condition et le troisième non. Je pense qu’on peut s’inspirer de la situation où deux sommets sont confondus pour trouver la position des points par rapport à l’ovale.

Voilà donc quelques idées. C’est beaucoup plus long que ce que je pensais (et ça m’a pris plus de temps de les rédiger). J’espère au moins que c’est clair. Je n’ai quasiment rien démontré, mais ça me donne une intuition de l’ensemble recherché et beaucoup de pistes de recherche.

Une remarque : cette intuition repose essentiellement sur quelques schéma au stylo bille. Je n’ai pas le temps d’apprendre comment vérifier cela sur Cabri, ni de me remettre à d’autres logiciels. Si tu as tracé quelques exemples dans chaque cas, ça m’intéresse beaucoup. Il y a toujours une possibilité pour que mon intuition soit complètement fausse, et que l’ensemble soit une réunion d’ovales entrelacées, ou une sorte de trèfle. La seule manière de prouver le contraire serait de démontrer que cet
ensemble est convexe.

Ce que je sais c’est que je sature, et que si j’essayais de démontrer ne serait-ce qu’une partie de mes intuitions, ça me prendrait beaucoup de temps. Je me remettrai à cela d’autant plus volontiers si quelqu’un me donne quelques nouvelles pistes…

Voilà. Je n’ai pas répondu à toute ta mailing-liste pour ne pas déranger tout le monde, mais tu es libre de diffuser comme tu veux ces idées, même sur le web.

Hasta la vista
Francesco Colonna Romano

 

Idées de Francesco Colonna Romano 2

Puisque ma matinée de travail est fichue (merci bien ;-) je me suis mis à faire la cuisine. En coupant les oignons, je me suis dit qu’il faut que je rajoute une précision à ce que je t’ai envoyé.

Je n’ai absolument pas montré que le point \(A\), le sommet le plus proche de \(A\) et le plus éloignés étaient alignés. Il se peut d’ailleurs que non.

Par ailleurs, je crois être en mesure de formuler une grande conjecture :

L’ensemble recherché (lorsqu’il n’est pas vide ou réduit à un point) est une courbe fermée convexe (« genre ovale ») caractérisée par :
 
1) un « centre », qui est le point qui voit les \(A\), \(B\) et \(C\) sous un angle de 120° (point de Torricelli).
 
2) 6 sommets correspondants aux points à distance maximale et minimale respectivement de \(A\), \(B\) et \(C\) (ces sommets correspondent à des extrema de courbure, en ces points il y a tangence entre un cercle et une ellipse).
 
3) Il y a des alignements remarquables entre le point \(A\) (ou \(B\) ou \(C\)), les deux sommets associés (le plus proche et le plus loin) et le point de Torricelli. Ceci donne donc 3 axes remarquables concourants au point de Torricelli.
 
4) On a une sorte de symétrie d’ordre 3 ou 6 entre les points de cet ensemble : en associant à un point l’autre point d’intersection d’un cercle et d’une ellipse. Ceci un groupe de transformations à 6 éléments isomorphe aux isométries d’un triangle équilatéral (groupe diédral).
 
5) Ces propriétés se généralisent au cas de \(n\) points formant un polygone convexe.

Voilà. Le point 3 est ce qui se passerait dans le meilleur des monde, c’est peut-être vrai, surtout si \(ABC\) est équilatéral. Le point 4, il faudrait ne jamais avoir 4 intersections d’un cercle et d’une ellipse. J’espère qu’un simple dessin Cabri ne suffit pas à démolir toutes mes illusions (tiens moi au courant).

Quant au point 5, j’en possède une démonstration merveilleuse mais elle ne tient pas dans la marge de ce mail ;-)

En tout cas, tu voulais des pistes de recherche, en voilà.

Bon tout
Francesco Colonna Romano

 

Gael Benabou

C’est amusant, j’ai cherché à résoudre ce problème il y a très peu de temps ! Exactement quand je cherchais une méthode analytique pour démontrer que le point de Fermat du triangle était le point qui minimisait \(AM+BM+CM\). En fait, je n’ai pas trouvé de méthode satisfaisante.

En élevant trois fois au carré la relation \(AM+BM+CM = k\) avec les passages d’un côté et de l’autre qui vont bien, on trouve une courbe algébrique de degré 8 dont l’équation ne se simplifie pas le moins du monde (j’ai essayé avec Maple, les termes d’ordre 8 ne s’annulent pas). Je crains qu’il ne faille se résoudre à ce que cette courbe soit une chose infecte et impossible à étudier !

Une piste peut-être, que je n’ai pas osé approfondir plus : chercher les points d’intersection de l’ellipse \(AM+BM=2r\) et du cercle \(CM=k-2r\) pour \(k>2r>AB\) et faire varier \(r\). Cela fait a priori la réunion de 4 courbes paramétrées par \(r\) qui se regroupent sans nul doute sous une même équation.

Sinon, as-tu exploré le site mathcurve ? Il y a tellement de choses là-dedans…

Gaël

 

Gael Benabou 2

Francesco est bien avancé.

Le point de Torricelli (pour moi c’est le point de Fermat) est le point de concours des trois axes \(AA’\), \(BB’\), \(CC’\)\(A’\) est construit de sorte que \(BCA’\) soit équilatéral vers l’extérieur du triangle et idem pour le deux autres.

Dans le cas où le triangle a un angle supérieur à 120°, c’est le sommet en question qui minimise la distance \(AM+BM+CM\).

Je confirme les dires de Francesco avec le dessin que j’ai fait sur Cabri : la courbe a sans aucun doute trois axes de symétrie, qui sont les axes \((AA’)\), \((BB’)\), \((CC’)\).

Je t’en dis plus si je trouve quelque chose.

Gaël

 

Gael Benabou 3

Bon, non, pas d’axes de symétrie pour la courbe, je me suis laissé abuser.

 

Gael Benabou 4

La conjecture 3 de Francesco est nettement fausse sur ma figure.

 

Gael Benabou 5

J’infirme ce que je disais tout à l’heure : l’hypothèse 3 de Francesco semble correcte.

 

Gael Benabou 6

Et dernier détail, toujours concernant cette même hypothèse.

Le point du lieu le plus proche d’un sommet est aligné avec ce sommet et le point de Fermat que j’ai défini tout à l’heure.

Le point du lieu le plus éloigné d’un sommet est aligné avec ce sommet et le « second point de Fermat », obtenu à l’intersection des axes \((AA’’)\), \((BB’’)\), \((CC’’)\)\(A’’\) forme avec \(B\) et \(C\) un triangle équilatéral mais vers l’intérieur de \(ABC\), et de même pour les deux autres.

Gael

 

Francesco Colonna Romano 3

Je viens d’avoir une idée simple :

  • la fonction \(f\) vaut l’infini en l’infini, donc l’ensemble cherché est borné
  • la fonction \(f\) est convexe (somme de trois fonctions convexes) donc l’ensemble \(f(M) \leqslant Q\) est convexe. Il suffisait de cela !
  • la fonction \(f\) est indéfiniment différentiable (sauf en \(A\), \(B\), \(C\)) donc le théorème des fonctions implicites dit que notre ligne de niveau est une courbe lisse dont on peut probablement grâce à cela déterminer les tangentes et la courbure (et le max et min) ; la différentielle ne s’annule jamais sur la courbe, car la courbe ne passe pas par le point minimum de \(f\).

Tout ceci nous assure qu’on n’a pas de cas bizarre, on a bien une sorte d’« ovale ». Il reste à en déterminer les sommets. Il est fort possible que quelqu’un qui manipule bien la géométrie différentielle trouve en peu de temps les sommets dont on parlait.

Voilà voilà.

Bon tout,
Francesco Colonna Romano

 

quelques résultats graphiques

 

Julien Lefevre

J’y ai bossé jusqu’à 2h30 ! Et pendant que je me détendais un peu en écoutant de la musique, d’autres idées sont venues… obsessionnels !

En gros, je n’ai pas énormément de résultats mais quelques pistes :

  • j’ai la preuve que le point de Torricelli, quand il est différent de \(A\), \(B\) et \(C\), vérifie la propriété des angles de 120°… si le triangle \(ABC\) a un angle supérieur à 120°, disons que c’est l’angle \(BCA\), alors le minimum de \(f\) est en \(C\).
  • J’ai commencé à regarder une généralisation pour \(n\)… j’ai presque une preuve pour montrer que pour \(n \geqslant 4\), le minimum de \(f\) se trouve dans l’ensemble \(A_1\), \(A_2\)\(A_n\)
  • En passant dans un repère « commode », de centre le point \(M_0\) du minimum de \(f\), avec \(A(-a,0)\), \(B(b/2,b \sqrt{3}/2)\), \(C(c/2,-c \sqrt{3}/2)\) (quand \(M_0\) est différent de \(A\), \(B\) ou \(C\)) , je peux faire des calculs un peu plus agréable que prévu (mais dont je ne tire pas encore grand chose) : on montre que le problème \(min(f(M))\) se ramène au problème de minimisation sous contrainte : \(Min(\dfrac{a+b+c}{a^2+ab+b^2} = AB^2, b^2+bc+c^2=BC^2)\) dont on peut avoir une solution avec la méthode des multiplicateurs de Lagrange… mais je bloque un peu ensuite avec des équations du deuxième degré compliquées… je suis sûr que les formules se simplifient mais j’ai pas encore trouvé comment…

Ça m’amuse bien ce problème !

Julien

 

Florian David

Voici des tracés des fameuses courbes \(AM+BM+CM=k\). Ceci à partir d’ un petit programme réalisé en logo.Ne riez pas :) Je ne me suis pas lancé dans une étude théorique mais il me semble que :

1) Ces courbes sont composées d’au maximum trois morceaux d’ellipses.

2) Il n’y a pas de symétrie dans le cas général.

3) Si \(T\) est le point de Torricelli, les droites \((AT)\), \((BT)\) et \((CT)\) jouent un rôle dans le « découpage » en morceau cité en 1.

Bien sûr ce ne sont que des remarques intuitives à partir des figures obtenues…

Bonne recherche.

Florian

 

Je tiens ici à remercier tous ceux qui ont déjà, tout comme moi pris du plaisir à réfléchir à ce problème.

Merci également à Rémi Duluc pour ses références vers une étude généralisée de ce problème.

Suite à cela, j’ai creusé sur le net et vous conseille le lien : http://eom.springer.de/F/f130050.htm, ainsi que toutes les références qui y sont mentionnées.

J’en suis maintenant convaincu, il s’agit d’un très beau problème !

Ludovic Legry
Lycee Marie Curie
Nogent sur Oise

 

Les Journées Nationales
L’APMEP

Brochures & Revues
Ressources

Actualités et Informations
Base de ressources bibliographiques

 

Les Régionales de l’APMEP