Bulletin Vert n°504
mai — juin 2013

Une vie brève

par Michèle Audin

Gallimard, L’arbalète, décembre 2012
180 p. en 14 × 19, prix : 7,90 €, ISBN 978-2-07-014001-5

 

Le nom de Maurice Audin est bien connu, en particulier dans la communauté mathématique, depuis sa disparition tragique à Alger le 21 juin 1957 à l’âge de 25 ans. Laurent Schwartz lui a consacré dix pages de son Un mathématicien aux prises avec le siècle (Odile Jacob 1997). De nombreuses places et rues portent son nom, tant en France qu’en Algérie ; plusieurs livres, en particulier celui de Vidal-Naquet L’affaire Audin (Minuit 1958) lui ont été consacrés, ainsi que récemment le film de François Demerliac Maurice Audin – La disparition, largement diffusé par l’association Maurice Audin, (http://www. ljll.math.upmc.fr/AUDIN/index.htm).

Mais, en écrivant ce livre, sa fille Michèle, mathématicienne de talent, qui a déjà publié plusieurs ouvrages sur la vie de mathématiciens du XX° siècle a souhaité ne parler ni de son martyre sous la torture, ni de sa mort, ni de sa disparition, mais bien de sa vie dans la simplicité du quotidien familial et professionnel.

D’entrée, elle cite en exergue Albert Camus recevant le 10 décembre 1957 le prix Nobel de littérature : Par définition, l’écrivain ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire ; il est au service de ceux qui la subissent.

Avant, le premier chapitre, précise l’arbre généalogique de Maurice : un père originaire d’une famille d’ouvriers lyonnais, engagé dans l’armée en 1918, gendarme au Maroc puis en Tunisie et finalement postier à Alger, une mère venant d’une famille de la Mitidja issue d’Italie, cinq frères et sœurs dont deux morts en bas âge.

  • Béja, 14 février 1932, le second, raconte la naissance et la petite enfance, avec une incidente sur la vie mathématique en France à cette date (Séminaires Hadamard et Julia, naissance de Bourbaki).
  • Déplacements nous conduit de Bayonne à Alger en passant par Toulouse et Koléa, et, à partir de 1943, dans les écoles militaires préparatoires de Hammam Righa puis d’Autun jusqu’en 1948 et enfin, l’année de mathélém, au lycée Gautier d’Alger suivie de l’entrée à la Faculté en mathgéné.
  • Alger occupe à lui seul près de la moitié du livre : La vie d’un jeune ménage au début des années cinquante transparaît d’un carnet de comptes et de photographies de la boite Kodak. L’activité politique au sein du Parti Communiste Algérien devient clandestine à partir de septembre 55.
     
    Les mathématiques à la faculté gravitent autour du Professeur René de Possel, qui prend Maurice comme assistant et dirige ses recherches. En novembre 56, il lui conseille de préparer la soutenance de sa thèse en rencontrant à Paris Henri Cartan, Laurent Schwartz, Gaston Julia, Paul Belgodère le bibliothécaire de l’IHP et … Minou Drouet pressentie pour écrire la musique d’un film sur le cercle osculateur.
  • 1957 : la guerre d’Algérie a commencé le 1er novembre 1954 et le gouvernement français ne le réalise toujours pas. Les camarades du PCA rêvent encore d’une Algérie indépendante et fraternelle dans laquelle tous, pieds-noirs et « musulmans » vivraient ensemble, libres et égaux. Dès janvier, la dixième division de parachutistes commandée par Massu a les pleins pouvoirs en matière de police à Alger. Maurice Audin est arrêté le 11 juin, torturé, et disparaît le 21.

De Possel propose à Schwartz d’organiser à Paris la soutenance de sa thèse in abstentia ; le doyen Pérès donne son accord et la thèse est soutenue devant de nombreux mathématiciens et un large public de journalistes.

Je me permets ici une incidente à l’intention des lecteurs du Bulletin pour leur rappeler les initiatives du Président de l’APMEP, Gilbert Walusinski. Après avoir écrit le 20 octobre au Ministre au nom du Comité une première lettre lui demandant d’intervenir afin que soit exactement connu le sort de notre collègue disparu, il constate dans une seconde lettre le 2 décembre qu’il n’a pas reçu de réponse, fait remarquer au Ministre qu’il n’a pas sollicité d’autorisation d’absence pour assister à la soutenance et demande cette fois une intervention auprès du Président du Conseil. Cette seconde lettre n’ayant elle aussi reçu aucune réponse, il conclut dans le Bulletin : « La preuve paraît malheureusement faite que les protestations les plus justifiées ne peuvent rien et que le Ministre de l’Éducation Nationale peut donc être considéré comme se désintéressant de son personnel. Je regrette d’avoir à faire cette constatation, mais je crois devoir la faire.  » (cf. le supplément au BV n° 471, p. 34). Après  : créé pour lutter contre la torture en Algérie, un « comité Audin  » fonde un prix « Maurice Audin » qui honore sept mathématiciens français, jusqu’en 1963. Il renaît en 2004, est désormais décerné par un jury constitué en accord avec la SMF et la SMAI et récompense un Algérien et un Français. Le montant du prix permet à chacun d’effectuer un voyage et un séjour d’une semaine dans un centre mathématique du pays de l’autre.

Pour conclure, Michèle Audin cite ses nombreuses sources qui lui ont permis de constituer une vaste fresque émouvante par sa recherche de témoignages directs et par sa franchise.

L’ouvrage est divisé en paragraphes qui apportent des éclairages variés en confrontant vie familiale, engagement politique, activité mathématique et qui s’articulent les uns aux autres comme les pièces d’un puzzle.

J’ai lu ce livre profondément humain d’un trait et avec beaucoup d’émotion car, contemporain de Maurice Audin, j’ai connu et fréquenté nombre de ses protagonistes malheureusement aujourd’hui pour la plupart décédés.

Je souhaite vivement que les jeunes y trouvent des références et n’oublient pas la brève vie de Maurice Audin.

 

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