CONCEPTS CLÉS ET SITUATIONS-PROBLÈMES EN MATHÉMATIQUES : numération, opérations, nombres décimaux et proportionnalité
Collection : « PÉDAGOGIE PRATIQUE À L’ÉCOLE & AU COLLÈGE ».
Auteur : Odette BASSIS (par ailleurs Présidente du GFEN).
Éditeur : Hachette Éducation.
Brochure de 254 pages, en 14,5 × 22,5, dont deux de bibliographie. Table des matières détaillée. Présentation claire.
ISBN : 2 01 17 0684 X
• Odette Bassis s’attaque ici à des concepts-clés du domaine numérique (un second tome
nous intéressera à la géométrie). Elle le fait
en privilégiant une « construction dès
l’abord dans l’action », de telle sorte qu’en
« construisant son savoir, le sujet qui
apprend se construise lui-même dans sa personne ». À chacun « d’aller quérir dans son
potentiel créatif et de le mettre en acte dans
un double va-et-vient de lui-même avec la
situation-problème à traiter d’une part et avec
les autres d’autre part ». L’auteur nomme cela
« démarche d’auto-socio-construction du
savoir ». Elle souhaiterait que son exercice
permette de la creuser toujours plus…
D’autant qu’il ne s’agit pas, au contraire, et
quels que soient les élèves, « de gommer les
points d’achoppement qui forment l’ossature
des concepts » et que cela exige des
méthodes d’enseignement efficaces…
Ces idées-clés sont développées dans une
éclairante INTRODUCTION de six pages,
suivie d’une mise en route de quatre pages :
« Pour aborder les nombres » (nommer,
classer, ordonner).
L’ouvrage propose ensuite SIX PARTIES :
I. LA NUMÉRATION
Deux pages sur la « problématique conceptuelle et pédagogique », puis six pour justifier des « choix pédagogiques » : il va s’agir
d’utiliser la base quatre, qui fait compter
beaucoup avec peu d’objets et sans la pauvreté du binaire.
Odette Bassis précise que « la démarche […]
convient dès le C.P. ». Elle indique des
variantes de mise en œuvre, souligne l’essentiel, et libère par rapport aux détails de présentation qui suivront. Deux pages donnent
le schéma du chapitre : neuf étapes, en indiquant, pour chacune, l’objectif et la nécessité de tel ou tel outil. Ces étapes sont ensuite
décortiquées : introduction du thème, déroulement, activités commentées, réinvestissements ou approfondissements éventuels, …
ÉTAPES 1 à 3 (16 pages) … pour compter,
dire et formuler en première approche – au
pays de quatre –.
ÉTAPES 4 et 5 (13 pages) pour codifier et
écrire les nombres avec trois chiffres.
ÉTAPES 6 et 7 (20 pages) pour « inventer »
le zéro et s’en servir !
ÉTAPES 8 et 9 (6 pages) pour le couronnement : le système décimal.
II. LES OPÉRATIONS.
Ici, « le choix fondamental […] est d’insérer
dans les processus l’étape de représentation
“ ensembliste ” comme médiation conscientisante », avec le schéma global :
Objets → Actions sur eux → Représentations (ensembles) → Opérations.
Sont ainsi traités (en base dix, mais sans en
exclure d’autres) : l’addition (11 pages), la
soustraction (5 pages), la multiplication (9
pages), la division (7 pages) avec une
recherche qui conduit d’emblée à la fois au
quotient et au reste, plus une page sur la division égyptienne.
III. LES NOMBRES DÉCIMAUX
Sont d’abord excellemment précisés onze
points d’achoppement avec, chaque fois, la
difficulté ou l’erreur fréquente (ainsi
2,3 × 10 = 20,30 ou 2,30), et le contenu
conceptuel correspondant à construire. Six
pages de commentaires détaillent les choix
pédagogiques. Odette Bassis y martèle que
« l’erreur pédagogique, sous prétexte d’aider
les élèves, est d’introduire les décimaux
comme nombres proches conceptuellement
des entiers ». « Il y a donc, contrairement à
ce qui pourrait paraître de bon sens, à
prendre soin de différer le moment de simplifier les calculs sur les décimaux par des
procédures en usage sur les entiers ».
L’introduction des décimaux est proposée
en base trois, ce qui permet, entre autres,
d’aborder rapidement des fractions décimales (i.e. de dénominateurs 10, 100, … en
base trois) à partir de peu de manipulations
(pliages simples sans trop, …).
La démarche utilise fondamentalement des
encadrements, ce qui me plaît bien ! Trois
étapes :
ÉTAPES 1 et 2 : Comparer, avec une unité $u$
donnée, deux longueurs non multiples de $u$,
assez dissemblables d’abord (9 pages), puis
moins, ce qui nécessite un encadrement plus
fin (4 pages).
ÉTAPE 3 (4 pages) : Quels sous-multiples
(de $u$) choisir ? : Travail avec deux types de
sous-multiples.
ÉTAPE 4 (9 pages) : Introduction de la virgule.
ANNEXE (1 page). Apports historiques : de
Viète, Stevin, …
IV. LA PROPORTIONNALITÉ. INTRODUCTION DES NOMBRES RATIONNELS.
1. NOTION DE RAPPORT (13 pages), à
partir d’un rectangle « à réduire »… Sept
étapes, de va-et-vient progressifs entre travail
individuel et confrontations collectives …
pour aboutir au rapport constant (qui sera
relié à des classes d’équivalence).
2. NOTION DE PROPORTIONNALITÉ
(avec ses caractérisations) à partir de puzzles
à réduire. 9 pages, plus une, théorique, sur la
fonction linéaire (à usage enseignant).
3. APPROCHE DES NOMBRES RATIONNELS, à partir du « réemploi créatif
de la notion de proportion, et de ses rapports ». S’introduisent des fractions et leurs
équivalences (11 pages).
Deux Annexes :
– l’Égypte et les « quantièmes » (2 pages).
– Des éléments théoriques (2 pages ) : classes
d’équivalence et opérations.
V. LE PROBLÈME SANS QUESTION :
« QUAND POSER DES QUESTIONS
N’EST PAS POSER QUESTION ! »
Odette Basis brocarde d’abord, comment ne
pas l’approuver !, les Q.R.C.A., « Questions
aux Réponses Connues à l’Avance », dont
relève d’ailleurs la (trop) fameuse maïeutique de Socrate à propos de la diagonale du
carré !
Elle part ensuite d’un énoncé de manuel de
CM :
« Deux propriétaires échangent entre eux un
terrain de 90 m de côté contre un terrain rectangulaire de même périmètre dont la longueur est double de la largeur. Le prix du $m^2$ est 125 euros ». Suivent quatre questions
pour déboucher sur une somme à débourser… L’énoncé est proposé sous deux formes,
avec ou sans les « questions ». Le résultat est
éloquent ! L’absence de « questions » permet
même d’aller plus loin dans l’analyse d’un
échange…
Tout cela m’a tellement plu que j’ai demandé
à Odette Bassis de nous proposer un texte du
même type pour le Bulletin Vert !
Des problèmes du type « l’âge du capitaine ? » et les comportements induits sont
ensuite finement disséqués…
VI. LA DÉMARCHE DE CONSTRUCTION DU SAVOIR « PISTES ET
REPÈRES »
1. « Des savoirs savants aux savoirs scolaires : quoi transmettre ? »
L’auteur y insiste à nouveau sur les questionnements, avec divers auteurs à la rescousse :
– Archimède : « [une] méthode de démonstration irréprochable n’est pas une méthode
de découverte, […] ».
– Évariste Galois : « […] la pensée qui a dirigé […] reste le plus souvent cachée. On croit généralement que les mathématiques sont
une série de déductions ».
– Morris Kline, lui aussi, fustige « l’impression que les vraies mathématiques sont
déductives et que les bons mathématiciens
pensent déductivement ».
Odette Bassis réinsiste sur ses choix pédagogiques.
Je citerai notamment :
– « Des progressions à inverser : du complexe au simplifié » : […] il est plus profi-
table d’aborder directement les mesures par
des encadrements […], et la division d’abord
avec un reste […]. La recherche du simple
pour aider les élèves, surtout ceux en difficulté, est une impasse tant sur le plan des
contenus […] que sur le plan d’un rapport
minoré, faussé, à l’humain qui est dans l’élève, bien plus capable qu’on ne le croit d’entendre une parole vraie […].
– « Des notions à aborder dans un champ
contextuel ».
Cf. G. Vergnaud avec, pour un concept, un triplet d’ensembles : celui des situations où il
prend sens, celui des invariants qui lui permettent d’agir, celui de ses représentations et
procédures de traitement.
Cf. Bachelard : « présenter un concept dans
son isolement n’est pas penser », « penser ne
commence que … dans la jonction de
concepts ».
2. « Faire que les élèves deviennent concepteurs de leurs savoirs ». Je relève notamment :
– mobiliser pour motiver, par des situations
insolites, ouvertes, …
– les paradoxes de la démarche d’« auto-
socio-construction » du savoir, à propos de
l’enseignant-formateur, des situations-problèmes, des « processus enclenchés » (acte-
pensée ; moi-les autres ; liberté/contrainte).
Odette Bassis veut « hausser la pédagogie au
rang de praxis, c’est-à-dire d’une pratique où
les moyens sont ajustés aux fins qu’ils poursuivent » lesquelles sont le développement de
l’imagination, de l’esprit critique, de l’autonomie, […], « tâche qui n’est pas sans lien
avec la formation à la démocratie et à la
citoyenneté ».
MES IMPRESSIONS
1. C’est avec quelque appréhension que j’ai
retrouvé en cet ouvrage des outils naguère
trop systématisés (bases de numération) ou
introduits trop tôt (langage ensembliste,
classes d’équivalence), qui, alors loin d’aider, masquent ou compliquent inutilement.
Heureusement Odette Bassis maîtrise fort
bien la dévolution aux élèves d’activités en
rapport. Souhaitons que tout adepte le fasse
avec autant de doigté, cependant que l’on
peut espérer aussi d’autres voies d’accès
relevant de la même conception générale
d’une formation.
2. Nous rejoignons là un intérêt essentiel du
livre, quelles que soient les notions mathé-
matiques utilisées. Il met excellemment l’accent sur tout ce qui peut inciter l’élève à se
prendre en mains le plus possible, à se
construire en acquérant des savoirs mathématiques solidement pensés et des méthodes
générales d’investigation, de questionnement
et de recherche.
P.S. La bibliographie ignore le quotidien de l’enseignement des décimaux développé pourtant avec maîtrise dans la brochure APMEP-Copirelem n° 61 : « Aides pédagogiques… Nombres décimaux », 184 pages pour 6,10 € … malheureusement en cours d’épuisement…