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Editorial du Bulletin 436 Montaigne au secours, la confusion règne !

Comment l’humanité a-t-elle pu autant progresser ? La question se pose en
observant les mêmes erreurs se reproduire, par exemple lorsqu’un élève renouvelle
la maladresse ou l’erreur sur laquelle on vient pourtant d’attirer son attention. Le mal
est si répandu qu’un proverbe espagnol affirme : « l’homme est le seul animal à buter
deux fois sur la même pierre
 ». Les difficultés à tirer les leçons de nos erreurs sont
bien réelles, pour les individus comme pour les collectivités. Pourtant les sociétés
évoluent, il en est donc de même des individus qui la composent.

Notre histoire a
connu des progrès considérables dans bien des domaines, humains, scientifiques,
technologiques… Nous sommes donc en droit d’être optimiste sur l’avenir. Mais,
cette évolution n’est pas aussi « monotone » qu’il y parait, ce n’est qu’une tendance
globale, l’éloignement nous fait perdre de vue les variations « passagères ».

Dans
quel type de phase sommes-nous actuellement ? Il semble que depuis quelques
années, dans bien des domaines et en particulier dans celui de l’éducation, nous
soyons plutôt dans une période de régression. En effet, la confusion gagne du terrain
dans les esprits, à l’école comme dans la société. Alerter la société est le rôle des
intellectuels et des politiques, limitons-nous ici au petit monde de l’enseignement,
entre autre celui des mathématiques.

Que signifie une règle pour un enfant ou un adolescent d’aujourd’hui ? Est-ce un
impératif, une contrainte ou une simple recommandation ? Accepter qu’il vienne
irrégulièrement en classe, qu’il y arrive fréquemment en retard, qu’il ne fasse pas son
travail ne l’aidera pas à acquérir la notion d’obligation. À l’école, le constat de la
transgression d’une règle n’entraînant que rarement une sanction, comment l’élève
intégrera-t-il la notion d’interdiction ? Pourquoi respecterait-il plus tard les feux
rouges ? Comment apprendra-t-il à distinguer l’obligatoire, le possible et l’interdit si
sa famille ne s’y emploie pas ? Quant aux règles que l’on édicte sans se soucier de
les faire respecter, elles ont un effet dévastateur puisqu’elles signifient qu’il n’est pas
nécessaire de les respecter ! Fixer des règles ne suffit pas, il faut aussi en montrer le
bien fondé et surtout les appliquer.

Tolérer qu’un adolescent ne respecte pas autrui, quel qu’il soit, le conforte dans
l’idée que le droit (y compris celui de tout faire) est pour lui seul, que les devoirs ne
concernent que les autres. Cessons donc de ne lui dire que ses droits en évitant
d’évoquer ses devoirs.

Le rôle de l’école est-il clair aujourd’hui ? S’agit-il d’instruire, d’éduquer, de
socialiser, de délivrer des diplômes, de former ? Ces différentes missions et peut-être
d’autres sont probablement celles de l’école. Mais les choix que la société fait pour
elle sont-ils clairs ? Sont-ils hiérarchisées ? Les priorités « officielles » ne sont-elles
pas trop souvent démenties par la réalité ? Comment convaincre, dans un
établissement scolaire, que l’essentiel est l’enseignement, la formation alors que les
contraintes administratives l’emportent habituellement sur les contraintes
pédagogiques ? Comment croire à cette priorité alors qu’on réduit les heures de classe
et qu’on les utilise trop souvent pour traiter des problèmes sociaux, de mal être, de
comportements, d’orientation ? Comment faire comprendre aux élèves la nécessité de
travailler alors qu’il est devenu si facile de passer en classe supérieure ou d’avoir le
bac ? Certains finissent même par croire qu’il suffit de faire acte de présence pour
l’obtenir.

Ainsi, le système éducatif qui devrait avoir pour mission de développer les
capacités de discernement, participe à la confusion des esprits des jeunes qui lui sont
confiés. Les élèves les plus fragiles en pâtissent le plus. D’autres, qui ne manquent
pas de perspicacité, profitent de ce flou pour développer des stratégies pas toujours
très honorables.

Cette jungle de confusions rend difficile et ingrate la tâche de ces jeunes. D’un
côté on s’efforce de développer chez eux des valeurs qui contribuent à la formation
de l’individu (le sens de l’effort, la rigueur, le souci du mot juste, la persévérance, la
qualité du travail…) alors que d’un autre tout incite aux penchants naturels de
l’homme : la facilité (pourquoi « se prendre la tête » à chercher un problème alors
que la réponse est sur Internet), la superficialité, l’à-peu-près (« je me comprends »),
l’illusion (c’est l’image que l’on donne de soi qui compte…) et de plus la
consommation.

Les enseignants ne sont pas épargnés, tout particulièrement ceux de
mathématiques. On s’efforce de les convaincre qu’ils peuvent enseigner autant de
concepts et former aussi bien qu’avant en moins de temps, que la durée nécessaire à
la compréhension et à la maîtrise des concepts par leurs élèves est aussi compressible
que les réductions de paragraphes dans les manuels, qu’il faut moins de temps à cette
génération pour s’approprier les concepts qu’à leurs parents. On confond les temps
d’apprentissage et les temps de « mise en culture » pour justifier le développement
d’activités annexes censées compenser le déficit des apprentissages !

Le système éducatif met périodiquement en chantier de nouveaux dispositifs
comme les modules, l’aide individualisée, les travaux croisés, les TPE… En
confondant leurs objectifs et la réelle difficulté de les mettre pleinement en œuvre,
leur prévisible échec est alors inévitablement attribué à la mauvaise volonté des
enseignants…

Lorsque l’APMEP proteste, dénonce, revendique, on l’accuse aussitôt de
corporatisme. Non seulement il n’y a rien d’anormal à défendre les légitimes intérêts
de la profession mais pourquoi feindre d’ignorer que notre principal souci est la
formation des élèves que nous souhaitons la meilleure possible pour le plus grand
nombre.

Les confusions, inconscientes ou voulues, deviennent si nombreuses qu’il devient
de plus en plus difficile d’exercer notre métier.
L’enseignement des mathématiques
est au bord de la crise. Faut-il se résigner ? Se révolter ? Il faut au moins résister, tenir
bon. Même si nous devons ramer à contre-courant, même si c’est de plus en plus
difficile, nous avons le devoir de former « des têtes bien faites » capables de plus de
discernement que leurs aînés.

Notre discipline s’y prête plutôt bien. Par exemple,
nous sommes probablement les mieux placés pour faire comprendre massivement
que l’exemple n’a pas toujours valeur de preuve. Mais nous devons aussi nous
mobiliser pour ensemble dénoncer, combattre, demander sans relâche que les choix
éducatifs soient clairs, qu’il faut plus de cohérence et de rigueur dans le système
éducatif, qu’il faut lutter contre la confusion sous toute ses formes car elle constitue une atteinte à la raison et trop souvent une atteinte à la liberté.

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