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Editorial du Bulletin 514 Un effet boomerang bien probable
La nouvelle est officielle, elle est parue au BO : au baccalauréat 2018, les
calculatrices devront être équipées d’une diode. Allumée, elle garantira que la
machine fonctionne en mode « examen », c’est-à-dire sans possibilité pour
l’utilisateur d’accéder à ses données et programmes.
On pourrait seulement y voir tout le bénéfice potentiel d’une telle mesure pour les
fabricants de calculatrices : elle signifie, ni plus ni moins, un renouvellement de la
quasi-totalité du parc en lycée.
Mais à y regarder de plus près, tout n’est pas si simple. Pour un très grand nombre
d’élèves de Terminale, c’est essentiellement en tant qu’antisèches que les
calculatrices sont utilisées. La plupart en ignore le fonctionnement. Les capacités
actuelles des machines permettent de stocker une grande partie du cours de l’année.
Quelques calculs numériques complètent le tableau. Voilà à quoi servent les
calculatrices… Même le calcul formel ne fait plus recette, soupçonné de donner des
résultats que les profs n’acceptent pas (allez savoir pourquoi !).
Si l’accès aux données « personnelles » (le plus souvent récupérées sur Internet)
n’est plus possible, une calculette « quatre opérations » peut presque faire l’affaire
(celles-là n’ont pas de mémoire, et seront évidemment autorisées). Je ne serai pas
surpris que le bac 2018 soit celui de la raréfaction des calculatrices. Et je ne suis pas
si sûr que les fabricants de ces machines soient aussi bénéficiaires qu’il n’y paraît à
première vue.
Évidemment, il était difficile de continuer ainsi : de nombreux enseignants de
maths, mais aussi de physique, ou de toutes les disciplines dans lesquelles
l’utilisation d’une calculatrice est autorisée, de nombreux parents, dénoncent depuis
longtemps ce détournement connu et accepté des calculatrices. Dans de nombreux
pays, des mesures similaires à celles du BO sont en cours. Il n’y a pas beaucoup
d’autres parades, sinon l’interdiction pure et simple comme c’est le cas dans les
concours des écoles de management.
Une autre réponse pourrait être que tous les documents (et pourquoi pas l’accès
à Internet) soient autorisés lors des examens. Cette « égalisation » des conditions
conduirait-elle à une égalité devant l’épreuve ? Cela n’est vraiment pas évident.
L’utilisation raisonnée de ressources est un art difficile dont je crains fort qu’il ne soit
pas réellement indépendant du capital social et culturel. À moins que les élèves en
fassent l’apprentissage à l’école ! Mais cela demande alors un bouleversement en
profondeur des méthodes d’enseignement et des contenus enseignés.
Allons encore un peu plus loin. Le mode « examen » pour les calculatrices
autorisées au baccalauréat risque bien d’être le point de départ de nombreux
changements assez radicaux. Nous vivions jusqu’à présent sur un compromis tacite : on demandait à l’élève d’acheter une calculatrice pour faire des maths en classe et il
l’acceptait d’autant plus facilement qu’il pourrait dans un avenir proche utiliser sa
machine pour stocker tout ce dont il aurait besoin pour ses DS ou ses examens.
L’apprentissage de fonctionnalités avancées de l’outil n’étant pas un objectif du
programme et n’étant pas évalué en examen, il n’est aujourd’hui que bien peu pris en
charge dans les classes.
Mais demain, à quoi pourra bien servir une calculatrice que
l’on ne connaît que très superficiellement ? À quoi sert d’apprendre à mieux la
connaître si cette connaissance n’est pas valorisée ? Sans une réelle prise en charge
en classe des savoir-faire que cela suppose, sans une évaluation effective de ces
nouvelles compétences, la calculatrice risque bien de disparaître totalement des
examens et rapidement du cours de maths lui-même. Il sera difficile de motiver les
familles à acheter un objet « qui ne sert à rien ». Si le prof l’exige vraiment, les vieux
modèles suffiront et le Bon Coin restera un bon moyen pour s’en procurer.
Il serait regrettable de voir les calculatrices disparaître peu ou prou des classes.
Elles sont encore un instrument commode, efficace pour expérimenter des
mathématiques et donc pour en faire, et, pour l’heure, il est un peu illusoire de penser
à leur remplacement rapide par des tablettes (dont l’utilisation pédagogique suppose
aussi d’autres façons de travailler…).
Je ne suis pas bien sûr que le législateur ait mesuré toutes les conséquences
possibles du changement du statut des calculatrices aux examens.
C’est sûrement à
des associations comme la nôtre d’en prévoir les effets et d’y répondre.