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Editorial du Bulletin 522 Et si on reparlait des maths modernes.
La fin de l’année 2016 a été ponctuée par les résultats de deux nouvelles
évaluations internationales : TIMSS et PISA. Ceux de la France restent bien peu
flatteurs pour son système scolaire.
C’est surtout TIMSS qui doit ici retenir notre attention. C’est la première fois que
notre pays participait à cette évaluation, en ce qui concerne l’enseignement primaire.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a raté son entrée.
Evidemment, la réforme du lycée qui permet à un élève de série L de ne plus faire
de maths à partir de la classe de première a de quoi inquiéter. Nous savons que la
grande majorité des futurs professeurs des écoles sont issus des filières universitaires
littéraires. Nombre de candidats aux prochains concours n’auront plus eu de contact
avec les mathématiques depuis la classe de seconde. On peut donc craindre que
quelle que soit leur bonne volonté, ces étudiants aient une approche problématique
des mathématiques.
Nous pouvons avoir des craintes pour l’avenir, d’autant que ce ne sont pas eux
qui ont enseigné ces dernières années. Les résultats des évaluations TIMSS
concernent leurs ainés. Ils sont d’ailleurs en droite ligne de ceux obtenus à d’autres
enquêtes franco-françaises il y a plusieurs années déjà et ne font que confirmer une
tendance de fond à l’œuvre depuis au moins vingt ans.
Alors risquons une hypothèse !
La formation des enseignants de tout niveau en mathématiques est un problème
ancien, peut-être plus profond encore en ce qui concerne le premier degré. Mais on
peut penser qu’il a été accentué à partir d’un certain moment.
Autour de 1970, pour répondre à une nouvelle massification de l’enseignement,
mais aussi à des objectifs sociologiques clairs : le manque d’ingénieurs et plus
généralement de scientifiques que les mutations technologiques en cours
demandaient, une grande réforme des mathématiques a eu lieu : la réforme dite des
« maths modernes ».
Ses ambitions étaient nobles, ses principes louables, sa mise en œuvre fut
douloureuse. Ses contenus très abstraits ont sans doute séduit tous ceux qui avaient
une véritable appétence pour les mathématiques et ont forgé des vocations
d’enseignants. L’abandon progressif de cette réforme par aménagements successifs
s’est poursuivi jusqu’à la fin des années 80. Nombre de professeurs de maths encore
en activité ont gardé cette passion « pour les vraies mathématiques » et regrettent les
changements qui ont suivi, perçus comme des renoncements.
A contrario, pour les plus fragiles, cette réforme fut sans doute une catastrophe,
les éloignant pour longtemps de tout plaisir de faire des maths, mettant en question
leur capacité à les comprendre « vraiment ». Durablement, s’est installé un clivage
entre les « matheux » et les littéraires.
Les « vraies maths », celles qui avaient entrainé des vocations, on les trouvait
dans le secondaire et évidemment le supérieur.
Depuis lors, bien peu de « scientifiques » ont eu envie de devenir enseignant au
primaire. Les renouvellements concomitants des enseignants du premier et du second
degré ont accentué vraisemblablement la coupure entre les différents acteurs, de plus
en plus éloignés dans leur approche des mathématiques.
L’élitisme ambiant bien mis en évidence lors de toutes les évaluations du système
scolaire français a compliqué un peu plus la situation. Chacun sait combien les
enseignants ont la crainte d’être jugés au travers des résultats de leurs anciens élèves
dans la classe supérieure et plus encore dans le niveau d’enseignement supérieur au
leur. Il y a souvent une véritable autocensure des professeurs quand ils doivent
pousser leurs élèves vers des filières sélectives. Il s’agit là d’une caractéristique
commune à l’ensemble de l’école, dont une des conséquences est d’anticiper les
exigences supposées des niveaux d’enseignement qui suivent. C’est pour cela que
certains vont même jusqu’à parler d’une véritable « secondarisation » de l’école
primaire.
Les mathématiques modernes sont loin maintenant, mais pas mal d’enseignants
en activité les ont côtoyées. Mais les nouvelles générations ne les ont pas connues.
Cette situation nous permettra-t-elle d’arriver à des échanges plus authentiques
entre les enseignants des divers niveaux, sans que les uns aient le sentiment qu’ils
vont être jugés par les autres ?
Cela ne se fera pas si l’on ne donne pas une culture commune à tous les futurs
enseignants, au travers d’une formation initiale qui favoriserait les rencontres entre
tous ceux qui auront à faire avec les mathématiques dans leur futur métier de
professeur.
Cela ne se fera pas avec un recrutement aussi tardif que le nôtre. Avec un
concours à bac + 4, dans des filières cloisonnées, les échanges ne peuvent avoir lieu.
Chacun reste avec son image biaisée des mathématiques, celle qui sera à l’œuvre
dans son niveau d’enseignement.
Il est vraiment temps de faire comme dans tant d’autres professions : un prérecrutement
à bac + 2. C’est une condition nécessaire pour que tous les enseignants, du primaire à l’université, aient le sentiment d’appartenir à une communauté de pairs.