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Évariste Galois. La fabrication d’une icône mathématique.
par Caroline Ehrhardt.
Éditions EHSS. 2011.
304 pages 16 x 24.
ISBN : 978-2-7132-2317-4. 28,50 €.
Outre une préface du sociologue Éric Brian,
cet ouvrage comprend : une introduction,
neuf chapitres, une conclusion, un glossaire
des termes mathématiques, une copieuse
bibliographie (27 pages), un index.
Il a pour thème principal mais non unique la
mémoire, ou plutôt les mémoires collectives
d’Évariste Galois qui se sont construites,
transmises et transformées, de sa mort jusqu’à
nos jours. Galois est présenté à l’intersection
de trois espaces sociaux : à la fois
étudiant, mathématicien et militant républicain.
De plus, sa courte existence atypique en
fait un héros romanesque et romantique.
L’Introduction relève le contraste entre la
paucité (comprendre : rareté, faible abondance)
des écrits de Galois et la prolifération des
écrits sur lui ; on y trouve une biographie
résumée en quatre pages qui évoque ses origines
(famille de notables), ses études (intérêt
exclusif pour les mathématiques), ses
échecs à Polytechnique, le refus de ses mémoires par l’Académie, son entrée à l’École
préparatoire (nom de l’École Normale
Supérieure à l’époque), son séjour en prison,
sa mort en duel à 21 ans.
Les six premiers chapitres dessinent des portraits
sous plusieurs angles de ce personnage
hors du commun, et le situent dans son
contexte historique :
Le chapitre 1 : L’analyse de l’analyse
donne un aperçu de ses travaux mathématiques,
marqués par la concision, l’abstraction,
l’évitement des calculs, la créativité,
mais néanmoins ancrés dans le passé, portés
par une connaissance approfondie des acquis
antérieurs. Galois y apparaît conscient de sa
valeur et assoiffé de reconnaissance.
Le chapitre 2 : La théorie des équations,
une tradition savante au début du XIXème
siècle développe l’état des recherches en
algèbre avant Galois : travaux de Cauchy,
Legendre, Lagrange, Gauss, Abel, Lacroix,
…
Le chapitre 3 : Galois lycéen : la fureur
des mathématiques nous apporte de précieux
renseignements sur le système éducatif,
et en particulier l’enseignement des
sciences, dans les années 1800 – 1830. Des
copies de Galois sont reproduites.
Les chapitres 4 : Les mathématiques
transcendantes :de l’enseignement supérieur
aux pratiques savantes , et 5 :
Devenir mathématicien en 1830 expliquent
comment l’échec à Polytechnique est pour
Galois un handicap institutionnel et social ;
sa démarche, synthétique plutôt qu’analytique,
préférant les démonstrations existentielles
au constructivisme, est hétérodoxe ; il
a de vastes savoirs, mais trop peu de savœoir-faire
standardisés pour être admis dans le
milieu mathématicien. Il est néanmoins pris
au sérieux : publication de quelques articles,
contacts avec Cauchy, Poisson, avis positif
de Sophie Germain, …
Le chapitre 6 : Galois républicain, entre
histoire et mémoire est consacré à l’engagement
politique du personnage, pas toujours
facile à distinguer de sa propension à la
rébellion et l’insolence ; il publie des textes
virulents contre le système scolaire ; un geste
provocant le conduit en prison, séjour qu’il
occupe à poursuivre ses recherches mathématiques.
Après sa mort il fera figure de martyr
visionnaire.
Les chapitres 7 à 9 s’étendent sur les différentes
mémoires de Galois qui se sont succédées
depuis lors : d’abord Une mémoire de
mathématiciens, activée par la publication
de ses œuvres en 1846 par Liouville, maintenue
dans la durée par les interprétations, prolongements
et extensions de nombreux chercheurs
: Lejeune-Dirichlet, Dedekind, Jordan,
Cayley, … qui aboutissent à travers les
manuels d’enseignement à une certaine
homogénéisation de la théorie de Galois ;
ensuite Trois remaniements mémoriels inscrits
dans une autre célébration : à la fin
du XIXème siècle Galois est reconnu pour sa
théorie des équations, mais pas encore
comme fondateur de la théorie des groupes,
jusqu’à un discours de Lie et la réédition de
ses œuvres commentées par Picard ; tandis
que paraît une biographie qui insiste plus sur
son engagement politique que sur ses travaux
mathématiques. Enfin est relatée la marche
Vers une mémoire sociale de Galois, soit sa
reconnaissance comme figure historique,
comme fondateur en mathématiques, comme
philosophe des mathématiques, associé à des
valeurs civiques, sociales et politiques, et
aussi sujet de romans, films, pièces de
théâtre, bandes dessinées.
Cette œuvre magistrale et passionnante, de
lecture aisée malgré son érudition, doit trouver
une place de choix dans la bibliothèque
de quiconque s’intéresse peu ou prou à l’histoire
des mathématiques.