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Icare Trahi
par Jean-Paul Auffray.
Éditions Viviane Hamy, 2011.
304 pages en 13 x21.
ISBN : 978-2-87858-392-2. Prix:22 €.
Il s’agit d’un roman. Il débute alors qu’Évariste
Galois, gravement blessé par balle en
duel, est emmené à l’hôpital dans la charrette
du père Joseph ; un retour en arrière retrace
alors les épisodes de sa courte vie, depuis sa
naissance, lors de laquelle le même Joseph l’avait surnommé Icare trahi, jusqu’à la fosse
commune du cimetière de Montparnasse. Le
personnage de Joseph et le surnom ont-ils
une réalité historique ? Je l’ignore.
La forme romancée, avec dialogues et pensées
intimes des personnages, nous donne à
voir une image forcément subjective du
héros ; ici il s’agit d’un jeune homme plutôt
antipathique, orgueilleux, persifleur, insolent,
conscient de son génie jusqu’à en être
imbu ; exalté, révolté, vindicatif, amer, frôlant
le délire de persécution, ainsi que le
dédoublement de personnalité. Il y a, forcément
aussi, une interprétation des faits : le
caractère abscons des écrits de Galois est ici
présenté comme une volonté de crypter ses
découvertes, « son secret », qui n’est rien
moins que le Système du Monde ; le
Testament mathématique n’aurait pas été
rédigé dans la fièvre nocturne précédant le
duel, mais avant que celui-ci ne soit prévu ;
par contre l’auteur s ’abstient de toute hypothèse
quant à l’identité de l’adversaire, et les
circonstances de ce duel (alors qu’on trouve
des précisions à ce sujet dans Wikipedia).
Ce roman, au style allègre, imagé, parfois
lyrique, a pour intérêt essentiel de nous donner
une profusion de renseignements historiques
sur l’époque, de descriptions des rues,
des écoles, des prisons, des quartiers encore
périphériques de Paris, des balbutiements du
progrès technique (télégraphe Chappe,
avant-projets de « chemin à ornières », c’està-
dire chemin de fer), et aussi des notions de
mythologie grecque ; de nous faire croiser
maints personnages historiques : Victor
Hugo, Alexandre Dumas, Lafayette, Blanqui,
Raspail, Adolphe Thiers, Benjamin Constant,
… Ceci sans étalage d’érudition, car habilement
intégré aux dialogues et à l’action. Son
défaut (pour nous, lecteurs du BV) est de
nous parler fort peu de mathématiques : rien
n’est dit sur les sujets de recherche de Galois,
sauf une esquisse dans l’épilogue ; tout juste
apprend-t-on que dès son plus jeune âge il
s’intéresse aux substitutions (il affirme même
à son jeune frère les avoir inventées !), aux
fractions continues, et qu’il fuit les calculs. Et
il est répété qu’il fait de l’analyse ; le
mot « algèbre » est quasiment absent.
Bien qu’écrit par un mathématicien, ce livre
est donc avant tout un portrait d’Évariste
Galois en énergumène agitateur politique, en
jeune homme déboussolé dans un monde
(social, mathématique, universitaire) qu’il
n’accepte pas tel qu’il est ; à ce titre, il n’est
pas sans résonance avec l’époque actuelle. À
lire pour se distraire en s’instruisant ; à offrir
pour montrer les aspects romanesques et
romantiques de l’histoire des mathématiques.