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Le dossier Pythagore. Du chamanisme à la mécanique quantique.
par Pierre
Brémaud.
Éditions Ellipses, 2010.
336 pages en 16 x 24. Prix : 24€.
ISBN : 978-2-7298-6088-2.
Cet ouvrage comprend : une introduction,
dix chapitres, un appendice, une abondante
bibliographie (9 pages), 3 cartes géographiques,
8 pages d’illustration en couleurs,
un index.
Dans l’introduction, intitulée Damnatio
memoriæ, l’auteur nous présente Pythagore
comme un géant de l’histoire de la pensée, à
la charnière entre Grèce archaïque et Grèce
classique, entre superstition et rationalité ; et
le pythagorisme comme un puissant mouvement
philosophique qui, pendant onze
siècles, vivifiera les domaines aussi bien religieux
que scientifique, politique et artistique,
et dont l’influence perdurera jusqu’à nos
jours malgré des oppositions allant jusqu’au
négationnisme.
Les chapitres 1, La biographie légendaire, et
2, Pythagore en Italie, retracent, d’après des
sources parfois contradictoires (Aristote en
particulier), la vie de Pythagore, ainsi que
son contexte historique : naissance à Samos,
rencontre avec Thalès, séjour en Égypte,
contacts avec la science mésopotamienne ;
installation en Italie, à Crotone, formation de
la secte dont il est le chamane.
Les chapitres 3, Pythagore et Orphée, 4,
Athènes, Rome et la Palestine, et 5, Face aux
chrétiens, sont une histoire et une description
du pythagorisme, de ses principes (ascèse,
oniromancie, examen de conscience, croyance
en la métempsychose, participation des
femmes), ses origines (l’orphisme, duquel il
hérite les akousmata, étonnants préceptes
énigmatiques, tels le tabou des fèves), ses
influences avérées ou possibles (Bouddha,
contemporain de Pythagore). Il influencera
lui-même fortement Platon, Cicéron, ovide,
…
D’abord en concurrence avec le christianisme
naissant, il est combattu et occulté par
celui-ci (martyre d’Hypathie), mais reste
vivant chez les bâtisseurs de cathédrales et
plus tard chez les Francs-maçons, et resurgit
à la Renaissance.
La deuxième moitié de l’ouvrage est consacrée
aux théories scientifiques et philosophiques
de Pythagore et des pythagoriciens :
- Le chapitre 6, La quinte et la tétrade, est
centré sur la musique (construction de la
gamme pythagoricienne, et ses avatars ultérieurs
jusqu’à la gamme tempérée), mais
évoque aussi les nombres figurés, les triplets
pythagoriciens, les nombres parfaits. - Le chapitre 7, Tout est nombre, veut montrer
que ce principe pythagoricien central
rejoint la physique moderne, quantique en
particulier, qui cherche « un système d’énoncés
purement mathématiques résumant tout
ce qui est connaissable ». L’auteur considère
les dérives numérologiques non comme un
obstacle, mais comme un premier pas vers le
rationalisme ; l’aspect sectaire est néanmoins
illustré par l’excommunication, et peut-être
de l’assassinat, d’Hippase de Métaponte,
coupable d’avoir divulgué le secret de l’irrationalité
de $\sqrt{2}$. - – D’après le chapitre 8, Le fameux théorème,
Pythagore fut sans doute le premier à insister
sur l’importance des démonstrations ; il
effectua celle de la somme des angles d’un
triangle (« première démonstration déductive enregistrée ») ; mais quant au théorème de
l’hypoténuse, connu, au moins sur des
exemples, 20 siècles plus tôt (papyrus de
Rhind) et malgré Vitruve qui, cinq siècles
après, en attribue la paternité à Pythagore,
l’auteur dit seulement qu’« il ne serait pas
étonnant que les pythagoriciens en aient
conçu une preuve » (sans doute pas celle
d’Euclide, mais peut-être celle du puzzle). - -Le chapitre 9, L’astronomie pythagoricienne,
associe Pythagore à l’héliocentrisme :
Copernic le reconnait comme inspirateur ;
Kepler et Newton sont rangés parmi les
pythagoriciens, en dépit, chez ces derniers,
des associations, voire identifications, entre
âmes et astres, entre dieux et planètes. - Le dernier chapitre, Le nombre d’or, résume
la théorie de la divine proportion, de la
suite de Fibonacci, du pentagramme et du
dodécaèdre, et évoque leurs liens historiques
avec esthétique, art, et symbolique religieuse,
depuis Pythagore et même avant lui ; la
démonstration du fait que les polyèdres réguliers
ne sont que cinq « était certainement à la
portée des pythagoriciens » ; mais ceux-ci
« ne connaissaient que la pyramide, le cube
et le dodécaèdre ». - L’Appendice contient d’une part les
Paroles d’or, texte sacré des pythagoriciens,
d’autre part plusieurs démonstrations concernant
les triplets pythagoriciens, les nombres
parfaits, l’irrationalité des racines, le théorème
de l’hypoténuse, le pentagramme.
Cet ouvrage est foisonnant, érudit, bourré de
références et de noms propres ; il est passionnant
car passionné, parfois quelque peu
partial de par le désir de l’auteur de ranger
dans le camp pythagoricien nombre de personnalités,
d’Eudoxe et Platon à Le
Corbusier et Dali en passant par Cicéron,
Galien, Kepler et Newton. Même si on y
détecte quelques obscurités quant à la chronologie
et quelques rares erreurs mathématiques,
tout un chacun, connaissant les
mathématiques ou non, peut en le lisant se
laisser transporter à travers les siècles, les
pays et les écoles de pensée, et y gagner un
élargissement certain de sa culture.