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Le paradoxe de Fermi.
par Jean-Pierre
Boudine ; postface de Jean-Marc Lévy-
Leblond.
Denoël, 2015.
192 pages en 14 x 20,5. Prix : 18€
ISBN:978-2-207-12375-1
Ce livre est un roman-catastrophe, ou plutôt
d’après la catastrophe ; mais contrairement à
de nombreux livres et films du XXème
siècle, il ne s’est pas agi « d’un embrasement,
d’une grande guerre thermonucléaire
», pas plus que d’une pollution subite et
majeure, ni de la chute d’une météorite : une
« simple » crise économique et boursière, qui
a fait disparaître l’argent, et conséquemment
les sources d’énergie, les moyens de production,
de déplacement et de communication.
Crise commencée en 2022 ; sept ans plus
tard, le narrateur survit dans une haute vallée
alpine, dans la solitude, la précarité et mille
dangers.
Le « paradoxe de Fermi », c’est la contradiction
apparente entre la forte probabilité
d’existence d’une vie extra-terrestre (probabilité
accrue depuis la découverte de centaines
d’exoplanètes dont certaines peuvent
offrir des conditions similaires aux milieux
terrestres), et l’absence de toute détection
d’éventuelles civilisations. Le narrateur, au
cours d’une discussion avec d’autres survivants,
arrive à la conclusion que la fin de la
civilisation à laquelle ils assistent dévoile
l’explication de ce paradoxe : toute civilisation
à haut développement technologique est
vouée à disparaître en quelques siècles au
maximum, ce qui rend quasi-nulle la probabilité
d’existence simultanée de deux d’entre
elles.
Pourquoi parler de ce livre ici ? D’abord
parce que c’est un bon livre, fort bien écrit et
passionnant ; ensuite parce que son auteur est
agrégé de mathématiques aux implications
nombreuses (MATh.en.JEANS, Science &
Vie Junior, Tangente, Quadrature,
Kangourou, ...) ; mais surtout parce que le
narrateur, qui dans l’« ancien monde » était
un chercheur de haut niveau, jette sur ces
événements un regard proprement scientifique
; les probabilités, la dynamique des
populations et ses modèles proie-prédateur
interviennent à maintes reprises ; la théorie
des graphes, le chaos, les fractales, le principe
du rasoir d’Ockham sont cités ; le traité de
Bourbaki est classé dans les quelques œuvres
à sauver impérativement, avec la Divine
Comédie, la Neuvième de Beethoven, l’origine des Espèces de Darwin.
Et la référence
à Fermi est en elle-même un hommage
aux scientifiques.
Dans sa postface, J.M. Lévy-Leblond montre
que la solution au paradoxe envisagée par
Boudine n’est pas la seule, mais que les
autres ne sont guère plus réjouissantes.
Ce
beau livre pessimiste observe et extrapole
notre époque d’une façon cruelle mais objective
et raisonnée. Écrit il y a plusieurs années
(version révisée d’une première édition chez
Aléas, 2002), il reste pleinement d’actualité ;
tout au plus, dans une version 2015, verrait-on
sans doute, dans les mécanismes de l’effondrement,
plus de place attribuée aux
extrémismes religieux…