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À table ! Au lycée ! … Au collège !
Cet article, terminé le jour de son anniversaire, est dédié à ma filleule Agnès trop tôt arrachée à notre affection peu après son succès au Capes de maths.
La revue MATHS-JEUNES de la S.B.P.M.ef a proposé dans son numéro 115 de janvier 2002 le problème suivant appuyé sur la figure 1 ci-jointe :
Déterminer les sets identiques pour qu’ainsi disposés sur une table circulaire ils la recouvrent au maximum.
En son numéro 117 d’avril 2007, MATHSJEUNES propose une solution algébrique :
avec $AB= {l \over 2}$ et AC = h, on détermine h puis l’aire des sets, en fonction de $l$.
En dérivant, on en déduit, à partir d’une équation bicarrée, $l$ puis h.
Cette solution se termine sans explication aucune par :
« On peut remarquer que $\widehat {COD}$=22°30’ »
CELA M’A DONNÉ ENVIE :
– de m’intéresser à ce problème de sets de table en le généralisant au cas de n sets (identiques), – d’y dégager un « motif-clé », – de m’y adresser d’emblée au point D, – de développer à la fois des outils lycée et des outils collège. |
I. UN PROBLÈME GÉNÉRAL
« Maths-jeunes » étudie le cas de 4 sets, mais on peut avoir le même type de configuration pour n naturel, n > 2, et même étendre au cas n = 2.
- SOPHIE suit, sur un logiciel, la variation du set pour n = 5 lorsque D parcourt $\overset{\frown}{VTC}$ ...
Configuration pour n= 2 :S’il y a n sets ($n \ge 2$), $\widehat {AOB}= {\pi \over n}$ (Posons $\widehat {AOB}= \alpha$ ).
- Dans chacune des figures 2. 3. 4, j’ai fait ressortir en vert un motif-clé. Il concerne un demi-set.
Voici la configuration de ce motif-clé quelle que soit la valeur de n avec $\widehat {VOT}= {\pi \over n}$ et, comme $n \ge 2$, $\widehat {VOT}$ est aigu ou droit :
Voici donc le problème de Maths-Jeunes généralisé :
Avec une table circulaire, n donné (et $\alpha={\pi \over n}$ ), D pouvant varier sur l’arc $\overset{\frown}{VT}$, comment le choisir pour que l’aire S du demi-set ABDC soit maximale ? |
1.1. MÉTHODE « LYCÉE » :
S = DC × DB.
Or, $\widehat {AOD}=\theta$ avec et une table de rayon R, DC = R sin $\theta$ tandis que, dans le triangle OBD, ${BD \over {sin(\alpha - \theta)}}={OD \over {sin(\widehat {OBD})}}={R \over sin \alpha}$, d’où $BD={R \over sin \alpha}{sin(\alpha - \theta)}$
Donc $S={R^2 \over sin \alpha}{sin \theta}{sin(\alpha - \theta)}$.
${R^2 \over sin \alpha}$ étant constant, le maximum de S est celui du produit des deux sinus.
Or $2{sin \theta}{sin(\alpha - \theta)}={cos (\theta -\alpha + \theta)}+{cos(\theta + \alpha - \theta)}$
donc $2{sin \theta}{sin(\alpha - \theta)}={cos (2 \theta -\alpha) }+{cos(\alpha )}$
Le maximum est donc atteint pour $2\theta = \alpha$, c’est-à-dire pour (OD) bissectrice de $\widehat {VOT}$ , soit D le milieu de l’arc $\overset{\frown}{VT}$ :
Étude de cette configuration :
- Le parallélisme de (OA) et (BD) entraîne l’égalité $\widehat O_1=\widehat D_1$ . Or $\widehat O_1=\widehat O_2$.
Le triangle BOD est donc isocèle de base OD :
$$ OB=BD$$
- Aire de ABDC :
Avec le triangle ODC, $DC=R sin{\alpha \over 2}$ .
Avec le triangle isocèle BOD, $BD={R \over {2 cos{\alpha \over 2}}} .$
n donné, le set le plus grand possible a donc une aire $S’=2DC \times BD=R^2 tan{\alpha \over 2}$. Soit$$S’=R^2 tan {\pi \over {2n}}$$
1.2. MÉTHODES « COLLÈGE » :
ÉTAPE 1 :
D intervient, avec DC et DB, de façon dissymétrique vis-à-vis des côtés de l’angle $\widehat {VOD}$. Comme D se déplace sur $\overset{\frown}{VT}$, remédions à cette dissymétrie.
a) Soit avec (DE) $\perp$ (OB), [DE] « remplaçant » [DB]…
DE = DB sin $\alpha$.
Donc $DB \times DC=DB \times DE \times {1 \over sin \alpha}$
et le maximum de DC × DB correspond à
celui de DC × DE.
b) Soit avec (DL) // (OB), [DL[ « remplaçant » [DC]…
DC = DL sin $\alpha$.
Donc $DC \times DB=DB \times DL \times sin \alpha$
et le maximum de DC × DB correspond
à celui de DB × DL.
Remarque pour a) et b) :
Il y a cohérence puisque $DB \times DL \times sin^2 \alpha = DC \times DE.$
ÉTAPE 2 :
Avec nos « symétries » quant aux deux bras de D, sommes-nous pour autant plus avancés ?
Nous le serions si D se déplaçait sur le segment [VT], base du triangle OVT.
En effet (Cf. Annexes), nous avons :
– avec le a), DE + DC = constante,
– avec le b), DB + DL = constante.
Et nous savons, Cf. Annexe, que quand deux nombres ont une somme constante leur produit est maximal quand ces nombres sont égaux (ou s’en approchent le plus possible).
Mais D n’est pas sur [VT] !
Pour contrer ma frustration et m’appuyer sur ce que je sais, j’associe au point D qui se situe sur l’arc $\overset{\frown}{VT}$ , le point D’ où (OD) coupe [VT].
Cf. les figures 9 et 10 ci-après :
Dans chacun de ces cas, le théorème de « Thalès-triangle » permet un « report » de D’ sur D : ${DC \over D’C’}={OD \over OD’}$, etc. D’où
$DC \times DE=D’C’ \times D’E’ \left( {OD \over OD’} \right) ^2$
et $DL \times DB=D’L’ \times D’B’ \left( {OD \over OD’} \right) ^2$.
Le maximum de D’C’ × D’E’ a lieu pour D’C’ = D’E’ soit D’ milieu du segment [VT], c’est-à-dire (OD’) $\perp$ (VT), donc OD’ minimum, ce qui déclenche aussi un maximum pour $\left( {OD \over OD’} \right) ^2$ .
DC × DE est donc alors, du fait de la conjugaison de deux maxima, lui-même maximum.
Idem pour DL × DB.
Donc, par l’une quelconque des deux voies a) et b), on retrouve le fait que l’aire du set est maximale pour (OD) bissectrice de $\widehat {VOT}$, soit D milieu de l’arc $\overset{\frown}{VT}$ : c’était le résultat de la « méthode lycée ».
Comme précédemment on déduira, de (OD) bissectrice, l’égalité OB = BD.
I.3. UNE AUTRE MÉTHODE ENCORE :
Le rectangle ABDC et le parallélogramme OBDL ont des aires égales.
Celle de OBDL est le double de celle du triangle BOD.
Or, quand D varie sur l’arc de cercle $\overset{\frown}{VT}$,
le triangle OBD a son côté OD constant, ainsi que son angle $\widehat {OBD}(= \pi -\alpha)$. Il s’ensuit que, si on maintenait [OD] fixe, B se déplacerait sur un arc de cercle $\overset{\frown}{OD}$ (appelé « arc capable… ») avec un maximum de l’aire de OBD pour BOD
isocèle de base [OD], donc quand le parallélogramme OBDL est un losange, donc (OD) bissectrice de $\widehat {VOT}$ . Etc.
REMARQUE SUR LES VOIES DES 1.2 ET 1.3 :
Ces voies ont l’avantage de mettre en jeu des méthodes générales, ici fécondes grâce à des propriétés, démontrées dans les Annexes, d’usage relativement fréquent (y compris en probabilités ou statistiques…). Il s’agit de « beaux » parcours…
II. PROPRIÉTÉS DES SETS MAXIMAUX
Nous avons vu que, pour n donné, il lui correspond un set maximal d’aire $R^2 tan {\pi \over 2n}$ En cette partie II, nous ne ferons intervenir, pour n donné, que les sets maximaux correspondants.
PREMIER PROBLÈME :
Existe-t-il une valeur de n (au moins une) et, si oui, laquelle (ou lesquelles) telle(s) que le set maximal soit un carré ?
MÉTHODE 1 :
BD = BB’
équivaut à OB = BB’, donc à OBB’ équilatéral, soit $\alpha={\pi \over 6}$. Or .$\alpha={\pi \over n}$
Le set maximal est donc carré pour le cas de six sets, et seulement dans ce cas.
MÉTHODE 2 :
DE = BD sin $\alpha$ (Cf. figure 7)
Le set est maximal si et seulement si DE = DC, soit DC = BD sin $\alpha$.
Il est carré si et seulement si $DC={1 \over 2} DB$, donc $sin \alpha={1 \over 2}$. D’où $\alpha= {\pi \over 6}$. Etc.
MÉTHODE 3 :
Le set est maximal si et seulement si
$$2R sin {\alpha \over 2}={R \over 2 cos(\alpha /2)}$$
i.e. $2 sin {\alpha \over 2} cos {\alpha \over 2}={1 \over 2}, sin \alpha = {1 \over 2}$
$\alpha={\pi \over 6}$ (le cas $\alpha={5\pi \over 6}, \alpha$ obtus, étant exclu).
CONCLUSION :
Il existe donc un et un seul cas, celui de six sets, où les sets maximaux sont des carrés.
MAIS DAMIEN S’ÉTONNE :
- La figure 3, où n = 3, ne propose-t-elle pas un set carré ?
- Tu oublies, rétorque SOPHIE, que la conclusion précédente porte sur des sets maximaux. Celui de la figure 3 n’est pas « maximal ».
- Tu as raison.
Mais, Sophie, peut-on toujours, pour n donné, trouver un set carré, maximal ou pas ?
- Bien sûr ! Vois l’ANNEXE 3 !
DEUXIÈME PROBLÈME :
Soit $\Sigma$ la somme des aires des n sets identiques d’une même configuration lorsque ces sets ont l’aire maximale.
$$\Sigma = n R^2 tan {\pi \over 2n}$$ |
ÉTUDE DE LA SUITE AINSI OBTENUE
En voici les premiers termes, à partir de n = 2 :
$2 R^2 ; 1,732 R^2 ; 1,657 R^2 ; 1,625 R^2 ; 1,607 R^2 ; 1,597 R^2 ; 1, 591 R^2 ; $...
_ Que constate-t-on ? (…, diminution des différences, …)
Illustrer par un graphique…
Que prévoir pour la suite des valeurs de $\Sigma$ ?
AU COLLÈGE
On s’en tiendra là, sauf à éliminer les valeurs peu réalistes (ainsi n = 90 qui donne $1,570 956 R^2$ ou n = 180, qui donne $1,570 08… R^2$) qui, cependant, suggèrent bien une « limite » de la suite, égale à la moitié de l’aire de la table...
AU LYCÉE
1. La suite est-elle bien décroissante ?
Associons à notre suite la fonction qui, dans $\mathbb R$, associe à x la valeur y telle que
$$y=xtan {\pi \over 2x} $$ |
et étudions, par sa dérivée, la variation de cette fonction.
$y’=tan{\pi \over 2x}+x \left( 1 + tan^2 {\pi \over 2x}\right)\left(-{\pi \over x^2}\right)$,
soit, en posant $tan{\pi \over 2x}=t$,
$y’=t \left( 1 - {\pi \over x} \times {{1+t^2} \over 2t\right)=t\left(1-{{\pi /x} \over sin(\pi /x)}\right)$,
Or $sin {\pi \over x} < {\pi \over x}$.
D’où ${{\pi /x} \over sin(\pi /x)} > 1$
La dérivée est donc négative.
Donc une fonction et une suite décroissantes…
Plus il y a de sets (c’est-à-dire de convives), moins la table est protégée par eux !
2. Valeur limite ?
Quand $n \longrightarrow + \infty$, ${\pi \over 2n}$ tend vers zéro et $tan{\pi \over 2n}$ se comporte, en valeurs supérieures, comme ${\pi \over 2n}$. D’où la limite de la suite : $ n R^2 \timers tan {\pi \over 2n}$, c’est-à-dire $ {{\pi R^2} \over 2}$, donc la moitié de l’aire de la table.
Variante proposée par Louis-Marie BONNEVAL :
1’. La suite est-elle bien décroissante ?
Posons pour tout x de $\left] 0,{\pi \over 2}\right[$ : $f(x)={tan(x) \over x}$,
de sorte que $\Sigma _n = {\pi R^2 \over 2}f\left( {\pi \over 2n} \right)$.
Alors $f’(x)={{ x \over cos^2(x)}-tan(x) \over x^2}={x-sin(x)cos(x) \over x^2 cos^2(x)}={ 2x-sin(2x) \over 2x^2 cos^2(x)} >0$
Donc f est croissante sur $\left] 0,{\pi \over 2}\right[$, ce qui implique la décroissance de la suite ($\Sigma _n$).
2’. Valeur limite ?
$\lim_{n \to +\infty} {\pi \over 2n}=0$ et $\lim_{x \to 0} f(x)=1$ donc $\lim_{n \to +\infty} \Sigma _n={\pi R^2 \over 2}$.
TROISIÈME PROBLÈME :
Quand n augmente, que devient le polygone central délimité par les sets (à partir de n = 3) ?
Reportons-nous à la figure 6 et au résultat $OB={R \over 2cos(\alpha /2)}$
$$OB={R \over 2cos(\pi /2n)}.$$
Quand n augmente, ${\pi \over 2n}$ diminue et ${\pi \over 2n}$ , étant inférieur à ${\pi \over 2}$ , $cos {\pi \over 2n}$ augmente, donc OB diminue.
Mais quand $n \longrightarrow + \infty, {\pi \over 2n} \longrightarrow 0, cos {\pi \over 2n}\longrightarrow 1 \ et \ OB \longrightarrow {R \over 2}$.
Le polygone intérieur délimité par les sets aurait donc alors ses sommets sur le cercle (O, R/2) et tendrait à se confondre avec lui, d’aire ${\pi R^2 \over 4}$ .
Remarque : Il existe entre les sets et le pourtour de la table, hors du polygone, (cf. figures 1, 2, 3, 5 et 6) une partie de la table non couverte. Quand $n \longrightarrow + \infty$, quelle est son aire ? (Les limites des autres aires : sets, et polygone central, permettent de répondre … ${\pi R^2 \over 4}$)
CONCLUSION DE CETTE MINI-ÉTUDE SUR LES SETS DE TABLE
Merci à eux pour nos promenades mathématiques élémentaires collège ou lycées ! Et merci à MATHS-JEUNES !
en remerciant Louis-Marie Bonneval
et Christiane Zehren
pour leurs critiques constructives
ANNEXE 1
Un triangle isocèle OVT de base [VT], D’ variable sur [VF], … : Cf. figure 13.
La somme D’C’ + D’E’ est constante.
Parmi les nombreuses démonstrations possibles :
2 aire OD’V = D’C’ × OV,
2 aire OD’T = D’E’ × OT.
D’où 2 aire OVT = (D’C’ + D’E’) × OV.
D’C’ + D’E’ est donc constante, égale à la hauteur issue de V ou de T.
Remarque : Cela a une application classique au triangle équilatéral, avec la somme des distances aux côtés d’un point intérieur au triangle.
ANNEXE 1’
Triangle isocèle OVT, … (Cf. figure 14), avec D’ variable sur [VT].
Alors D’B’+ D’L’ = B’T + B’O = OT.
D’où D’B’ + D’L’ constante,...
Extension aussi au triangle équilatéral.
ANNEXE 2
THÉORÈME : Quand deux nombres ont leur somme constante, leur produit est maximum quand ces nombres sont égaux (ou s’en approchent le plus possible).
En voici une démonstration :
Soit $x + y = 2m$, constante.
$x = m - a$ implique $y = m + a$.
D’où $xy = m^2 − a^2$. Etc.
Remarque : La démonstration faite au §1.1 a fait apparaître un théorème voisin :
Quand deux angles ont leur somme constante (et inférieure à p) le produit de leurs sinus est maximum quand ces angles sont égaux.
ANNEXE 3
PROBLÈME : Pour n donné, peut-on obtenir un set carré (pas nécessairement maximal) ?
Référons-nous au § II. Premier problème - Méthode 2.
Pour que le set soit carré, il faut et il suffit que ${DB \over DC}=2$, soit ${DE \over DC}=2 sin \alpha$.
Il suffit de construire $\alpha$ en conséquence :
Soit, par exemple, un point d :
– à une distance arbitraire k de (OV),
– à la distance k × 2 sin $\alpha$ de (OT).
d est défini par l’intersection de deux parallèles respectives à (OV) et (OT).
La droite (Od) est la droite (OD), D et d se correspondant par homothétie.
<redacteur|auteur=500>