Bulletin Vert n°495
septembre — octobre 2011

Coup de gueule

Cyrille Kirch [1]

 

Enseignante depuis 17 ans, j’ai été formée par une équipe de professeurs de lycée et collège à l’IUFM ; ces professeurs bénéficiaient d’une décharge de leurs cours dans leur établissement.

Ma première année de préparation au concours était axée sur la maîtrise de ma matière mais aussi sur la didactique des mathématiques. Alors que certains professeurs de l’université me préparaient aux épreuves écrites, d’autres me préparaient déjà à l’oral tout en me faisant réfléchir sur les programmes et sur les différentes manières de les aborder. J’ai appris, à ce moment-là, à prendre le recul nécessaire pour enseigner plus tard ; c’est ce recul qui me permet d’analyser a posteriori mes cours, de remettre en cause mes pratiques, d’appréhender les évolutions des programmes, d’en comprendre les enjeux, bref d’essayer d’agir en professionnelle.

Ma seconde année (en tant que stagiaire) m’a paru, je m’en souviens encore, très riche et dense. J’avais alors 6 (à 8) heures de cours par semaine, soit une ou deux classes, avec une formation disciplinaire et générale (4 jours par mois) pour apprendre à gérer tous les petits soucis administratifs et matériels mais surtout pour apprendre à construire de réelles séquences de cours et envisager les différents moyens de les mettre en œuvre. Nombre de stagiaires parmi nous se plaignaient alors d’être confrontés aux problèmes du terrain bien avant d’avoir pu les aborder en formation.

J’avais une classe à gérer et la possibilité de rencontrer tous mes collègues stagiaires, mes formateurs de l’IUFM et mes tuteurs dans mon établissement. J’ai alors pris goût au travail en commun et à la didactique des mathématiques. C’est sûrement cette année-là que j’ai le plus appris pour mon nouveau métier.

« Apprendre sur le tas » … oui… mais être soutenue aidait énormément, et ce par différentes personnes —tuteurs, collègues de l’établissement d’accueil, formateurs de l’IUFM et autres stagiaires — avec qui je pouvais partager mes soucis, mes angoisses, mais aussi mes joies.

La formation des futurs professeurs a aujourd’hui, presque 20 ans après, beaucoup changé. Depuis la rentrée 2010, les étudiants doivent, en deux ans, préparer leur concours écrit, leur passage à l’oral si admissibilité, visiter un établissement et gérer seuls plusieurs classes pendant un stage de 15 jours, sans oublier de passer et d’obtenir un master d’enseignement. Forts de cette expérience, ils devront l’année suivante prendre en charge pratiquement un temps complet en lycée/collège, soit 16h !

Comment imaginer qu’un étudiant de 23/24 ans puisse ainsi, tout d’un coup, gérer seul plusieurs classes alors qu’il était lui-même apprenant quelques mois auparavant ? Il est vrai qu’enseigner les mathématiques peut être « très simple » : cours magistral, série d’exercices techniques et de recherche pour finir sur une évaluation.

Pourtant les textes officiels (de seconde) disent bien que « L’objectif de ce programme est de former les élèves à la démarche scientifique sous toutes ses formes pour les rendre capables de :

  • modéliser et s’engager dans une activité de recherche ;
  • conduire un raisonnement, une démonstration ;
  • pratiquer une activité expérimentale ou algorithmique ;
  • faire une analyse critique d’un résultat, d’une démarche ;
  • pratiquer une lecture active de l’information (critique, traitement), en privilégiant les changements de registre (graphique, numérique, algébrique, géométrique) ;
  • utiliser les outils logiciels (ordinateur ou calculatrice) adaptés à la résolutiond’un problème ;
  • communiquer à l’écrit et à l’oral.

Dans la mesure du possible, les problèmes posés s’inspirent de situations liées à la vie courante ou à d’autres disciplines. Ils doivent pouvoir s’exprimer de façon simple et concise et laisser dans leur résolution une place à l’autonomie et à l’initiative des élèves. »

17 ans après ma première année, tout cela me paraît encore très difficile et nécessite de nombreuses heures de réflexion et de recherche pour tenter d’approcher tout ce qui m’est demandé. Ma formation mathématique me permet au moins d’avoir un peu de recul et une vue d’ensemble primordiale ; toutefois parmi ces objectifs figurent des capacités qui ne sont pas enseignées stricto sensu à l’université, par exemple « modéliser » ou « changer de registre » ou encore « utiliser des logiciels au niveau lycée ».

Et voila maintenant, alors que la formation continue des enseignants est réduite à une peau de chagrin, que nous allons être rejoints dans nos classes, grâce (ou à cause) du dispositif de reconversion, par des professeurs de physique appliquée et d’autres matières dites « proches des mathématiques ». En effet, une vingtaine de professeurs de lycées techniques vont, dans l’Académie, dès l’année prochaine, devoir enseigner les mathématiques. Certes ces collègues ont eu un apprentissage pédagogique, savent « ce qu’est un élève », connaissent la difficulté d’enseigner. Mais qu’en est-il de leur formation « purement mathématique » ? Cela fait, pour certains, plusieurs années, voire dizaines d’années, qu’ils n’ont pas fait de maths, qu’ils ne font « qu’utiliser » les complexes, un peu d’algèbre ou autres graphes fonctionnels.

Notre matière trop longtemps considérée comme une matière sélective devient tout à coup une matière bouche-trou. Certes le propos est volontairement exagéré, mais la question fondamentale est : Les mathématiques vont-elles devenir une matière utilitaire ? Faudra-t-il apprendre aux adolescents à compter, à dériver, sans plus jamais se poser de questions comme : « où ça vit ? à quoi ça sert ? à quelle question répond cette technique ou cette notion ? »

Alors même que les stagiaires parlent de plus en plus de leurs difficultés cette année, que les programmes sont en pleine évolution, la formation continue des enseignants disparaît peu à peu…

En 17 ans, je ne fais déjà presque plus le même métier (en tout cas, plus dans les mêmes conditions), et ces nouveaux enseignants de mathématiques vont à leur tour vivre une révolution. Ne devraient-ils pas avoir plus de 2 jours de formation mathématique ? de formation didactique ?

Et les élèves ? Ne méritent-ils pas des enseignants sûrs de leurs capacités, sereins, avec le recul suffisant pour imaginer le moyen d’introduire une nouvelle notion ?

 

Notes

[1Lycée Aliénor d’Aquitaine, Poitiers ; IREM de Poitiers
cyrille.kirch@wanadoo.fr

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