Bulletin Vert no 461
novembre — décembre 2005

Courrier des lecteurs J’étais (presque) le seul matheux parmi 200 physiciens … et j’ai survécu

Frédéric Laroche

 

Une aventure ordinaire de l’été 2005.

Au mois de mars dernier, à l’occasion d’un surf sur Internet, je me suis retrouvé par hasard sur le site http://e2phy.in2p3.fr/ présentant des universités d’été de Physique organisées principalement à l’intention des enseignants du secondaire mais auxquelles participent également des chercheurs [1] ; je n’avais rien trouvé de ce genre en maths [2] et, comme la physique est ma seconde passion, j’ai foncé.

Je me suis alors inscrit directement sur Internet pour la somme dérisoire de 55 euros ; ultérieurement j’ai demandé une prise en charge administrative qui m’a été refusée, mais ce n’est pas grave, les frais sont couverts par l’organisation elle-même, sauf peut-être le transport, quoique ce dernier a été remboursé cette année.

Le 23 août au matin je quitte donc mon radieux soleil de Montpellier pour arriver sous la pluie en fin de matinée à l’école Supélec près de Paris où avait lieu e2$\varphi$ cette année. Là il faut mettre chapeau bas devant l’organisation : c’était impeccable ! L’accueil, le logement, la nourriture, les transports, tout était prêt, pas un problème en quatre jours, et des organisateurs d’une gentillesse à toute épreuve, incroyable. Aussi dès l’arrivée, pochette avec toute la doc, logement préparé, repas servi et à l4 heures conférence inaugurale par Édouard Brezin, président de l’Académie des Sciences. Vendredi 26 à l8 heures je reprends le train sans avoir perdu une miette des conférences, ateliers, visites, banquet, etc. (voir le programme sur le site ainsi que les comptes rendus).

Au début j’ai eu un peu peur : Bijan Saghai, président des écoles e2$\varphi$, en faisant le bilan de l’année précédente, a soulevé la question des mathématiques : les participants avaient trouvé qu’il y avait trop de maths, ou en tout cas trop d’équations. Il était donc sous-entendu que ce serait différent cette année, il n’en fut rien : faire de la physique moderne sans mathématiques n’est pas une gageure, c’est une impossibilité ! Malgré tout la réaction de mes camarades était claire…

Cette question m’a évidemment interpellé tout au long de ces journées, d’autant plus qu’un certain nombre de conférences ont fait appel à des questions de mathématiques importantes : lorsqu’Étienne Klein parle des rapports entre Physique et Philosophie, il n’échappe pas à la redoutable question de l’efficacité des mathématiques, lorsque Monique Signore parle de la Relativité Généralisée, la question centrale, même si elle est abordée de manière simple, est l’égalité entre la matière et la géométrie de l’espace-temps, lorsque Paul Manneville parle de chaos, la salle est tétanisée … et n’abordons même pas les questions de Physique Quantique avec ses probabilités et ses espaces de fonctions.

Bref, dans la plupart des conférences, même si les mathématiques ne sont pas explicitées, elles sont sous-jacentes et la connaissance de cet arrière-plan est une nécessité pour le physicien. De même que la connaissance des lois physiques fondamentales est une nécessité absolue pour le mathématicien : le support mental qu’elles apportent est un ingrédient indispensable de la réflexion mathématique et ceci depuis la plus haute antiquité. Les quelques collègues à qui j’ai dit que j’étais matheux ont tous eu les mêmes réactions : ils n’étaient pas particulièrement surpris que je comprenne ce qui se disait, ils ressentaient bien leur manque de connaissances mathématiques, mais finalement ce qui comptait c’est qu’il y avait des « théoriciens » pour mettre des maths derrière la réalité expérimentale.

Avant d’aller plus loin revenons sur la question de la « redoutable efficacité des mathématiques » : E. Klein dans sa conférence fait la distinction entre pythagoriciens (dont l’exemple le plus typique serait le Polytechnicien) qui pensent que le monde est Nombre, platoniciens (typiquement l’ingénieur sorti de Centrale ou Supélec) qui essaient d’adapter la réalité au monde des idées à travers les mathématiques et les aristotéliciens pour qui les mathématiques ne sont qu’un outil au même titre qu’un ampèremètre ou un compas. Il me semble que les choses sont nettement moins tranchées : si les mathématiques se sont développées initialement, c’est pour nous fournir une description du monde physique à travers la géométrie ; le raisonnement et les méthodes mises au point par Euclide sont les seuls admissibles pour qu’il y ait reproductibilité des résultats, soit l’expression de l’invariance globale de notre monde. On voit que, dès l’origine, mathématiques et physique sont indissolublement liées. Et les choses iront ainsi jusqu’à nos jours : même lorsqu’il y a des déviations dans ce programme, comme le Bourbakisme, la réalité finit toujours par reprendre ses droits.

Toute branche des mathématiques qui essaie de se développer indépendamment du réel ou au moins des applications au monde finit par mourir. De même toute branche de la physique qui essaie d’échapper aux mathématiques, comme l’alchimie, finit par s’évanouir. Les deux sont profondément liées, mieux même elles ne font qu’un et tous les essais pour les séparer ne peut qu’être voué à l’échec. Ces distinctions entre pythagoriciens, platoniciens et aristotéliciens sont factices et sans profondeur réelle. Alors comment est-on arrivé à cette situation où le mathématicien et le physicien ont tant de mal à se comprendre ? Simplement à cause de la quantité de connaissances à acquérir dans un domaine et dans l’autre : il y a nécessité de spécialisation à un moment ou un autre, mais cette spécialisation pose alors des problèmes insurmontables.

Il nous faut donc revenir en arrière : en tant que mathématiciens, nous devons accepter davantage le langage de la nature ainsi que le discours du physicien ; même s’il ne nous semble pas conforme, même s’il n’est pas empreint de la rigueur formelle nécessaire, nous devons écouter. De même le physicien doit accepter la phase de théorisation sans laquelle il ne peut y avoir de prévision ; si on ne met pas des maths quelque part, on ne pourra pas calculer et on ne pourra rien prévoir : même les biologistes ont besoin de mathématiques de haut niveau pour analyser ce qu’ils observent à l’heure actuelle.

Alors que je visitais, pour le dernier jour, le chantier du synchrotron Soleil je me prenais à rêver : des cours de maths où on commencerait par expliquer en quoi les notions introduites sont présentes dans la réalité, ou plutôt comment les maths peuvent nous permettre d’organiser notre vision du monde, des cours de physique où on ferait du calcul en plus de l’observation, des physiciens qui s’intéresseraient vraiment au travail des matheux, des matheux qui s’intéresseraient vraiment au travail des physiciens…

En tous cas j’y retourne l’année prochaine : ce sera à Nantes et on parlera d’incertitude(s). J’en rêve d’avance.

 

Notes

[1Ceci n’est pas le moindre intérêt de e2phy où des gens de tous niveaux se côtoient. Pouvoir
parler librement ainsi est quelque chose de très excitant.

[2Il y a bien l’Université d’été sur le Calcul à Saint-Flour, mais je crois que c’est tout. Il serait peut-être intéressant d’avoir quelque chose de plus ouvert où des chercheurs présenteraient un certain nombre de travaux récents…

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