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L’épreuve pratique en Terminale S : AVANT, PENDANT, ET APRÈS ?

Jacques Lubczanski [1]

AVANT L’ÉPREUVE PRATIQUE

Jusque là, je n’avais pas souvent fait travailler mes élèves de TS devant un écran
d’ordinateur. Quand je dis « pas souvent », c’est pour ne pas dire « presque jamais ».
Pourtant je passe des heures devant mon écran d’ordinateur à préparer mes énoncés
et mes polycopiés.

Mais emmener les élèves en salle informatique, c’est compliqué : il faut réserver la
salle à l’avance, aller chercher la clé à l’autre bout du lycée, être là un quart d’heure
avant la séance pour vérifier que tous les postes marchent. Et aussi préparer la manip
informatique à la maison pour être sûr d’arriver à dépanner les élèves en cas de
besoin. De toute façon, il n’y en pas au Bac : ce n’est pas la peine que je me donne
tout ce mal, il n’y a pas de quoi culpabiliser…

En novembre 2006, notre IPR à demandé aux profs de TS de mon Lycée si nous
serions d’accord pour expérimenter la passation d’une épreuve pratique de maths au
Bac S. Nous avons accepté, sur l’idée que nos élèves avaient déjà pratiqué les
logiciels de la salle info en Seconde et en Première : il n’y aurait donc pas besoin de
beaucoup de préparation.

Le lendemain, je fais passer un questionnaire à mes élèves pour faire le point.
Première réponse : ils ont tous accès à un ordinateur chez eux. C’est une bonne
surprise pour moi. Le Lycée n’est ni en ZEP, ni en centre ville : il faut croire que
l’ordinateur fait maintenant partie de l’équipement des foyers où vit un adolescent.

Deuxième réponse : la moitié de mes élèves ne sait pas ce que c’est qu’un tableur, et
encore moins s’il y en a un d’installé sur leur ordinateur ! Je me dis qu’ils sont
comme Monsieur Jourdain avec la prose : ils ont fait du tableur mais ils ne
connaissent pas le mot « tableur ». D’ailleurs l’histoire des cases, des lignes et des
colonnes que j’évoque alors leur dit vaguement quelque chose.

Je profite du cours sur la méthode d’Euler pour leur montrer en projection vidéo
« magistrale » le tableur en action. Question des élèves : « Monsieur, c’est quoi le
dollar que vous avez mis dans la formule ? ». Je réprime une soudaine bouffée de
ressentiment envers mes collègues des années précédentes, qui ont dû aller aussi
« souvent » que moi en salle info. J’explique les dollars à des élèves intéressés mais
pas convaincus.

L’état des lieux n’est pas fameux, mais nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous
mêmes : ça nous arrangeait de faire l’impasse là-dessus, malgré les instructions et les
programmes officiels. Après réflexion, avec mes deux autres collègues de TS, nous
décidons non pas de préparer nos élèves à cette épreuve pratique, mais de prendre le
problème à bras le corps, et d’intégrer le travail devant écran à la pratique
quotidienne du cours de maths.

Première étape : tous les élèves installent chez eux Geogebra et OpenOffice, s’ils
n’ont pas déjà Office. Ce sont des logiciels gratuits et performants. Ceux qui le
peuvent téléchargent ces logiciels. Nous prêtons aux autres des CD d’installation. Ça
prend deux semaines, mais on y arrive.
Deuxième étape : nous réservons la salle info pour nos TS pendant l’heure
dédoublée une fois tous les quinze jours.
Troisième étape : nous construisons, quand cela s’y prête, des activités où il y a une
partie pratique devant écran. Par exemple, il y a eu un travail sur la transformation
$z\rightarrow z^{2}$ dans le plan complexe, commençant par un exercice à la maison (établir les
formules cartésiennes), se poursuivant par un TP d’une heure en salle info avec
Geogebra (expérimenter et observer des images de points et de droites ...) et se
terminant par un devoir à la maison (démontrer les propriétés conjecturées).

La partie devant écran donne lieu à un compte rendu noté. La notion de compte rendu
est nouvelle en maths pour les élèves, et aussi pour les profs ! Au niveau rédaction,
c’est à mi-chemin entre le contrôle et le devoir à la maison. Apprendre à des élèves
à écrire « j’ai observé que », « j’ai supposé que » au lieu des affirmations non
justifiées dont ils sont coutumiers est très instructif.

Les exercices et les devoirs à la maison contiendront eux aussi une partie pratique.
La production des élèves est alors une impression papier de la feuille de tableur ou
de la figure, assortie de son protocole de construction. Contrairement à mes craintes,
il y a eu très peu de copiage d’un élève à l’autre. Mais des mots de parents d’un
nouveau type « Veuillez excuser Laura de ne pas avoir fait son travail, la cartouche
d’encre était vide »…

PENDANT L’ÉPREUVE PRATIQUE

Arriva alors le jour J de la passation de l’épreuve pratique, à titre expérimental.
Surprise : il ne s’est rien passé ! Ce fut un non-événement : les élèves ont trouvé
naturel d’être évalués sur un travail devenu ordinaire pour eux. Ils sont venus, ils ont
fait ce qu’ils ont pu, et ils sont repartis à la fin de l’heure. Cela ne veut pas dire qu’ils
ont tous su faire ce qui était demandé, loin de là : ça a été un contrôle normal.

Par contre, pour nous, cette passation a été un révélateur impitoyable de ce que les
élèves ont compris de travers ou pas compris du tout : faire apparaître la liste des
valeurs d’une suite suppose qu’on ait compris qu’une suite est une relation entre n et
u(n) ou entre u(n) et u(n + 1) ; construire un point d’abscisse donnée sur une courbe
suppose qu’on ait compris que celle-ci est l’ensemble des points (x ; f (x)). Face à des
élèves qui n’y arrivent pas devant écran, ce n’est pas le logiciel qu’il faut accuser en premier…

La plupart des logiciels disponibles ne sont pas ou peu adaptés à la façon dont on
enseigne tous les jours. Par exemple, le tableur a été inventé pour la comptabilité, pas
pour les maths. Organiser un calcul mathématique sur un tableur est une vraie
compétence qu’il faut faire acquérir petit à petit aux élèves. À cet égard l’apparition
du logiciel GeoGebra est la bonne nouvelle pour nous autres profs de maths : il est
tout à fait adapté à nos programmes ; sa prise en main est facile et rapide, il est gratuit
et multi-plateforme.

Enfin, la passation de l’épreuve pratique a impliqué aussi les profs de Première S,
pour que nos 90 élèves puissent tous passer en quatre heures. Ça a été l’occasion de
travailler ensemble, d’échanger et de discuter avec plus d’entrain et de vigueur que
d’habitude, ce dont tout le monde s’est félicité.

APRÈS L’ÉPREUVE PRATIQUE

Le bilan que nous avons fait de ce travail a été positif : après l’expérimentation, nous
avons continué à intégrer des parties pratiques aux travaux des élèves. Pour ma part,
je me suis impliqué pour défendre cette épreuve pratique, moins pour elle-même que
pour faire avancer à travers elle la notion de travail pratique en maths au Lycée.

Suite aux réactions des nombreux collègues avec lesquels j’ai échangé sur cette
épreuve, j’ai repéré deux idées fausses largement partagées par les profs de maths, et
qui les gênent par rapport à l’épreuve pratique :
 « Quand on utilise un logiciel, on ne fait pas de maths ».
 « La conjecture, c’est une devinette avant de passer aux choses sérieuses ».

Ces deux points de vue sont naturels pour une bonne partie d’entre nous : c’est le
résultat de notre formation et de notre pratique « classique ». Nous n’avons pas
l’habitude de penser qu’avant de chercher à démontrer une propriété, il faut d’abord
se convaincre qu’elle est vraie, ni que le travail d’observation et de conjecture peut
être un moment fort de formation mathématique.

Un exemple : sur une suite récurrente (simple, double, …) il n’y a pas la conjecture
à trouver et puis hop on passe à la démonstration, mais une série de questions à se
poser après avoir « recopié vers le bas », et fait apparaître un « nuage de points » :
 Ça a l’air de converger ou pas ? De façon monotone ? Quelle est la valeur apparente
de la limite ?
 À quelle vitesse ça converge ? Qu’est-ce qui a l’air de rester vrai d’un terme au
suivant ?
 Les points $(n ; u_n)$ ou $(x_n ; y_n$) semblent-ils être sur une courbe identifiable ?
 Comment les réponses aux questions précédentes dépendent-elles du premier terme
$u_0$ (ou des premiers termes $u_0$ et$v_0$ …) ?

Cela veut dire que pour être capable de répondre, et de construire une conjecture qui
sera faite de l’ensemble de ces réponses, il faut prendre l’initiative de mettre en
place de nouveaux calculs :
 faire varier $u_0$, pas seulement en essayant deux valeurs, mais au moins une
douzaine !
 faire apparaître la distance de $u_n$ à la limite supposée (et le rapport de deux
distances successives),
 faire apparaître un invariant d’un rang au suivant, ou bien la courbe où pourrait se
trouver les points du « nuage »...

Autrement dit il y a une véritable méthodologie du travail pratique, en plusieurs
phases distinctes :
 1– La question posée, et les éventuels calculs préliminaires.
 2– La mise en place expérimentale : construction géométrique, tracé de courbe ou
calcul répétitif.
 3– La recherche d’une conjecture en faisant varier quelque chose : un point, une ou
plusieurs valeurs, …
 4– La mise à l’épreuve de la conjecture : quelle nouvelle construction, quel nouveau
calcul va me permettre de renforcer, d’enrichir ma conjecture ?
 5– Le retour à la théorie pour avancer sur la validation de la conjecture.

Pour moi, le moment mathématique du travail pratique, ce sont les étapes 3 et 4.
C’est à ce moment là qu’on développe une attitude scientifique de réflexion à partir
de ce qu’on observe et de ce qu’on sait. Ce sont des étapes où il n’y pas besoin de
grosses compétences informatiques : c’est l’outil, et on s’en sert comme tel.

Je parle ici plus du travail pratique qu’on peut mettre en place dans nos cours que de
l’épreuve pratique. Pour celle-ci, les énoncés devraient permettre de développer ce
travail d’observation et de conjecture, c’est-à-dire les étapes 2, 3 et 4 ci-dessus, alors
que l’étape 1 devrait être très rapide, et l’étape 5 se réduire à l’énoncé d’une
démarche démonstrative qui ne pourra pas être mise en oeuvre dans le cadre de cette
épreuve orale en temps limité.

Reste une question préoccupante. L’horaire actuel des TS est trop juste pour finir
confortablement le programme avec un élève moyen : dans ces conditions, est-il
possible d’y ajouter ce travail pratique ? Il y a deux mois, j’aurais répondu « non »
sans hésiter. Aujourd’hui, je commence à engranger les bénéfices d’un travail devant
écran régulier, à petites doses, et totalement intégré au cours de maths : ça me permet
d’aller nettement plus vite sur certains points, et ça me laisse plus de temps pour
expliquer les notions délicates. Donc à présent, je réponds « oui », à condition que
les profs de Seconde et de Première s’y mettent aussi…

Notes

[1Lycée Léon Blum, Créteil. jacques.lubczanski@ac-creteil.fr

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