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La démarche de découverte expérimentale dans les sujets du baccalauréat intégrant l’outil informatique

Jean-Jacques Dahan [1]

Ayant travaillé depuis très longtemps de manière active pour promouvoir une pratique des mathématiques qui soit plus expérimentale en utilisant au maximum les potentialités des technologies nouvelles (calculatrices, logiciels de calcul formel et surtout de géométrie dynamique), aussi bien dans mes classes qu’en formation initiale ou continue des enseignants, je pense que l’introduction de l’épreuve pratique est une révolution en soi. Elle devrait, entre autres, permettre de changer le comportement des professeurs et surtout de beaucoup de parents qui ont été un frein à une évolution des pratiques dans le sens d’un enseignement plus expérimental.

Le but de cette présentation est de montrer qu’il y a des moyens de comprendre les nouvelles pratiques à venir et surtout les anticiper. On enseigne mieux ce que l’on connaît que ce que l’on découvre. Les points qui y sont abordés devraient permettre aux enseignants d’éviter une approche trop erratique d’une nouvelle façon d’enseigner qui ne leur a pas été enseignée. Ils pourront comprendre en quoi consiste une démarche expérimentale scientifique médiée ou pas par des instruments technologiques.

Cette présentation se veut donc un dossier informatif sur les points cruciaux qui permettent de comprendre une nouvelle pratique des mathématiques alliant expérimental et technologies. Elle éclaire les côtés expérimentaux et heuristiques de la démarche de découverte, plus particulièrement en géométrie quand l’outil technologique utilisé est un logiciel de géométrie dynamique (le logiciel utilisé étant Cabri aussi bien dans la version 2D que 3D).

1. Figures. Appréhensions figurales (avec leurs valeurs heuristiques)

1.1. Définition

Une figure est une spécification, un ensemble de propriétés géométriques qui la caractérisent : elle peut être modélisée par une infinité de dessins synthétisant la même spécification, ces dessins étant ce que l’on appelle des représentants de la figure.

En environnement papier crayon, on accède à une figure donnée par l’intermédiaire d’un de ses représentants, un dessin synthétisant cette spécification sur une feuille donnée. Il est possible d’utiliser d’autres dessins, d’autres représentants (qu’on nomme en pratique, « cas de figure ») pour accéder à la même figure, soit en modifiant le dessin initial soit en le refaisant sur une autre feuille

En géométrie dynamique, on accède à une figure donnée par l’intermédiaire d’un dessin pixellisé sur l’écran d’un ordinateur. La différence fondamentale avec l’environnement papier crayon est que l’on peut générer autant d’autres représentants de cette figure que l’on veut par manipulation directe, c’est-à-dire par déplacement direct d’objets du dessin pixellisé initial avec la souris ou en modifiant des paramètres de la figure (distances, angles, coordonnées).

1.2. Les appréhensions figurales

Une figure étant donnée, en général par l’un de ses représentants, lui-même issu de sa spécification (pour résumer les hypothèses d’un problème à résoudre), Duval a mis en évidence quatre appréhensions possibles de cette figure par le chercheur en vue de progresser vers la solution :
 L’appréhension perceptive qui consiste en un traitement automatique de l’image par le cerveau : on peut l’illustrer par les illusions d’optique ou paradoxes d’ordre visuel qui montrent bien cette automaticité du traitement.
 L’appréhension séquentielle qui consiste en la recherche des constructions qui ont permis de générer la figure.
 L’appréhension discursive qui consiste à lire la figure comme un réservoir d’hypothèses auquel on cherche à appliquer des théorèmes connus pour en déduire des conclusions que l’on ne cherche pas à obtenir même de manière perceptive.
 L’appréhension opératoire qui consiste en un traitement de la figure qui fait imaginer soit une décomposition de cette figure en sous figures, soit une déformation continue du représentant donné entre différents cas de figure.

Duval a établi, du moins en environnement papier crayon, que les appréhensions séquentielle et discursive avaient une très faible valeur heuristique alors que les appréhensions perceptive et opératoire en avaient une très forte.

Le premier point doit être surprenant et paradoxal pour un enseignant français si on pense au rôle important qu’on affecte aux exercices utilisant les programmes de constructions dans l’apprentissage au collège et au rôle fondamental qu’on affecte à la démonstration dans tout le curriculum du collège, du lycée mais aussi de l’université.
On apprend à découvrir des programmes de construction, à rédiger des démonstrations mais on n’apprend pas à découvrir ou du moins on n’apprend pas à se mettre dans une situation favorable à la découverte.

Concernant le second point, l’heuristicité de l’appréhension perceptive est moins surprenante En effet, cette appréhension est un accouplement d’une image reçue par le cerveau et de son traitement automatique, son interprétation dépendant des connaissances du sujet et de son réservoir d’images immédiatement disponibles. C’est donc un travail analogique sous-jacent, lui fortement heuristique, qui serait à l’origine de l’heuristicité de cette appréhension.

Concernant toujours le second point, on peut comprendre même naïvement qu’un logiciel de géométrie dynamique favorise les initiatives permettant une appréhension opératoire ; en effet, la possibilité de déformation continue est la première manipulation naturelle à laquelle un utilisateur se livre quand il veut interagir avec la figure à l’aide de sa souris et cette manipulation est fortement corrélée aux différents types d’appréhensions opératoires. Il y a évidemment bien d’autres techniques d’utilisation d’un tel logiciel qui ne font que renforcer l’appréhension opératoire d’une figure dans un tel environnement (possibilité d’activer des traces, obliger des points à passer d’un objet à un autre par redéfinition, obtention automatique de lieux, …).

L’exemple suivant montre deux appréhensions possibles d’une même figure :


La figure de droite est celle construite pour découvrir la composée de deux symétries centrales (la composée des symétries centrales par rapport à $C_1$ et $C_2$). M est un point libre, M’ son symétrique par rapport à $C_1$ et M’’ le symétrique de M’ par rapport à $C_2$.

Une appréhension discursive de cette « figure » consiste à reconnaître une configuration connue (celle du théorème des milieux) et ainsi pouvoir mener un discours déductif du genre :
Les hypothèses du théorème des milieux étant remplies, je peux appliquer ce théorème pour en déduire que M’’ est le transformé de M par une translation.
On peut constater que cette appréhension nécessite de sélectionner les bonnes données, le bon théorème associé à une conclusion pertinente que l’on peut ainsi atteindre : c’est cette complexité des paramètres à maîtriser qui rend cette approche peu heuristique et cela d’autant plus que le niveau de connaissance et de savoir faire est bas. D’un point de vue anglo-saxon, on parlerait d’approche procédurale.

Une appréhension opératoire, ici possible grâce à la dynamicité de la figure, peut être, par exemple, la suivante :
On peut constater que si on tire de manière aléatoire sur le point M, le positionnement relatif de M’’ par rapport à M génère instantanément la conjecture « la transformation est une translation ».
Cette appréhension nécessite cette fois une connaissance plus expérimentale des transformations non liée spécifiquement à des propriétés mathématiques à prouver mais plutôt à reconnaître. On peut comprendre qu’un plus large spectre d’élèves pourra générer une telle conjecture. D’un point de vue anglo-saxon, on parlerait cette fois d’une approche plus conceptuelle.

2. La terminologie des sciences expérimentales

Une exploration consiste en la recherche d’indices qui permettent d’avancer vers la connaissance d’un phénomène. Une investigation est une exploration systématique avec des procédures connues dans des champs bien repérés. Exploration et investigation s’appuient sur des figures dont la manipulation va générer des données à interpréter pour avancer vers la découverte. C’est la notion d’expérimentation qui apparaît dans un sens qui est celui des sciences expérimentales.

Définition : Une expérience est une procédure dont l’exécution génère des faits observables et dont la fonction est une fonction de génération ou de validation d’hypothèses.
Notons qu’une expérience est un programme à réaliser et que son exécution est ce qu’on nommera « expérimentation ». C’est l’expérimentation qui est la pourvoyeuse de données (par l’intermédiaire des faits observables).
Les expérimentations réalisées sur des figures sont donc des procédures qui génèrent des données dont l’interprétation peut mener soit à la génération d’une conjecture soit à la validation ou l’invalidation d’une conjecture. Les premières sont qualifiées de génératives et les secondes de validatives. Les mots « validation » et son pendant « invalidation » sont définis ci-dessous.

3. Techniques de validation

Dans ce paragraphe, il est fait référence aux niveaux de géométrie G1 et G2 mis en évidence par Bernard Parzysz et à leurs extensions G1 informatique et G2 informatique que j’ai exhibées dans mon travail de thèse sur la démarche expérimentale.

3 . 1 . Valider, invalider : des procédures clés d’une démarche expérimentale

Invalider une propriété, c’est contredire une des conditions nécessaires qu’elle implique, ce qui conduit à la considérer comme fausse et donc à la rejeter.
Valider une propriété c’est constater qu’une des conditions nécessaires qu’elle implique est vérifiée, ce qui conduit à ne pas la considérer comme fausse et donc à l’accepter.

3 . 2 . Techniques de validation en environnement informatique

3 . 2 . 1 . Techniques de validation reposant sur le perceptif : les propriétés apparaissent sur l’écran ; des superpositions sont constatées visuellement, des propriétés de parallélisme ou perpendicularité sont constatées visuellement, une courbe (ou un lieu) est reconnue comme étant un cercle, une parabole, … visuellement. Cela situe l’activité de validation à un niveau nommé G1 Informatique.
Ce niveau perceptif est différent du niveau équivalent en papier crayon (niveau G1) car l’environnement informatique permet d’ouvrir une fenêtre sur un champ de découverte plus vaste.

3.2.2. Techniques de validation reposant sur un déductif laissé à la charge du logiciel. Cela veut dire que cette fois une propriété n’est plus perçue par le chercheur, elle est « donnée » par le logiciel au chercheur qui a préalablement « posé » la question. Cette propriété est une conséquence « calculée » par le logiciel des spécifications de la figure construite. Une courbe étant construite, si en approchant le curseur de cette courbe on obtient le message « cette parabole », cela veut dire que le logiciel a déduit des données fournies par la construction que la courbe était nécessairement une parabole. De même si on teste avec l’oracle de Cabri le parallélisme de deux droites et que la réponse obtenue est «  les objets sont parallèles », cela veut dire que le logiciel a déduit des données fournies par la construction que les deux droites en question étaient nécessairement parallèles. Cela situe l’activité de validation à un niveau nommé G2 Informatique.
Ce niveau déductif est la encore très différent de son équivalent en papier crayon (niveau G2) : il apporte toute la précision du calcul informatique ainsi que les mathématiques embarquées et génère une confiance dans les validations jusqu’à des limites sans équivalent en papier crayon.

4. Décomposition formelle d’une démarche de découverte expérimentalement médiée par Cabri Géomètre

  • Les résultats de mon travail de recherche (réalisé dans le cadre du laboratoire IMAG de l’Université Joseph Fourier de Grenoble) ont mis en évidence, grâce à l’analyse de démarches de résolutions de problèmes de boîtes noires en particulier, que la démarche expérimentale de découverte est (serait) un enchaînement d’expérimentations où l’expérimentation serait entendue dans un sens englobant sa préparation, sa mise en oeuvre, son interprétation. Ce serait donc un enchaînement de maillons quaternaires du type [M.P.E.I.]
  • Il a aussi été mis en évidence que cet enchaînement de micro étapes peut être découpé en blocs qui constituent les macro étapes. Deux types de macro étapes ont été mises en évidence pour décrire une démarche de découverte expérimentale médiée par Cabri, les macro étapes pré conjecture (constituant la phase de conjecture) et les macro étapes post conjecture (constituant la phase de validation et de doute).

    Elles sont décrites succinctement ci-dessous :
     La recherche erratique est composée d’une succession d’explorations sans interprétation ou avec des interprétations indépendantes qui donnent l’impression au chercheur de ne pas progresser.
     La recherche ordonnée apparaît quand le chercheur concentre ses explorations autour d’un thème précis et arrive à générer des données qu’il peut au moins classer à défaut de les interpréter de manière inductive.
     L’accélération de la recherche est une étape qui se développe quand le chercheur a l’impression de sentir ou tenir la solution et qui consiste en des tentatives rapides et brouillonnes de validation.
     La conjecture  : c’est le moment où le chercheur pense avoir trouvé. Il considère à ce moment que la plausibilité du résultat qu’il a découvert est forte.
    Remarque : Très souvent dans le cursus français, nos élèves, s’ils ont parcouru ces étapes, pensent que leur tâche est accomplie. Les enseignants, hélas, pensent aussi que le rôle d’une démarche expérimentale se confine à la génération d’une conjecture. La méthode expérimentale scientifique englobe néanmoins les étapes post conjecture suivantes.
     L’analyse synthèse expérimentale est une phase d’expérimentation validative où la validation se fait de manière perceptive sur l’écran de l’ordinateur.
    Cette macro étape est à mettre en liaison avec les techniques de validation de G1 Informatique.
     L’analyse théorique et synthèse quasi théorique est aussi une phase d’expérimentation validative où la validation se fait grâce aux outils technologiques, ici les outils de vérification du logiciel. Cette macro étape est à mettre en liaison avec les techniques de validation de G2 Informatique.
     L’analyse critique est une phase où une expérimentation validative est à nouveau menée, plutôt à un niveau perceptif pour essayer de conforter la conjecture « prouvée expérimentalement ». Elle peut aussi mener finalement à une invalidation d’une conjecture préalablement prouvée expérimentalement.
    Cette dernière étape est une étape fondamentale de la démarche scientifique en sciences expérimentales. Elle doit aussi l’être en mathématiques dans le cadre d’une démarche expérimentale et en particulier lorsque l’expérimentation est menée à travers la modélisation des objets géométriques de la géométrie euclidienne fournie par le micromonde Cabri.
    On pourra trouver à l’adresse

    http://www.univ-irem.fr/commissions/geometrie/PP3.pdf

    le texte de la conférence que j’ai donnée au cours du colloque inter-Irem de géométrie qui s’est tenu à Liège en 2003 « Trois exemples pour illustrer la démarche expérimentale en mathématiques avec Cabri » dans laquelle on pourra découvrir la description d’une démarche de résolution de boîte noire qui est le type de problème qui permet de bien mettre en évidence les différentes étapes décrites ci-dessus (du moins les étapes pré conjecture).

5. Analyse de deux sujets d’épreuve pratique

La banque de sujets proposés en 2006/2007 pour l’épreuve pratique du baccalauréat constitue une réserve objective d’informations sur les intentions de l’institution à la fois sur le contenu de cette épreuve mais aussi et surtout sur l’orientation que les professeurs devront donner à leur enseignement. L’analyse qui suit des sujets n° 02 et n° 12 de cette banque sont emblématiques de l’analyse de l’ensemble de ces sujets car elle résume la conception implicite de la démarche expérimentale médiée technologiquement qui est suggérée.

5.1. Sujet 02 et son analyse succincte

5.1.1. Énoncé :

sujet 02

5.1.2. Analyse succincte de ce sujet

Le sujet commence par la partie montage et une proposition d’expérimentation qui consiste à construire la somme de trois vecteurs : ce montage ne devrait pas poser de problème technique car les constructions suivent la même logique qu’en environnement papier crayon.
Aucune place dans le sujet n’est laissée au doute puisque l’examinateur est chargé de valider la construction.
Le sujet veut forcer une appréhension perceptive puisque le candidat doit, immédiatement après avoir observé quelques positions de M, conjecturer la nature de la transformation faisant passer de M à M’ : on ne comprend pas en quoi l’expérimentation proposée mènera à la conjecture attendue car l’appréhension figurale qui est sollicitée est en réalité une appréhension séquentielle qui n’est pas heuristique.
Une expérimentation faisant appel à une appréhension opératoire de la figure montre comment on peut aller plus sûrement vers un invariant qui peut mener à la conjecture attendue : on active la trace du vecteur MM’ et après avoir tiré le point M, on constate que toutes ses traces semblent concourir en un point particulier. La focalisation de l’expérimentateur sur ce point peut éventuellement lui permettre de conjecturer que la transformation est une homothétie de centre ce point et de rapport 3.

Le sujet revient immédiatement dans le monde de la déduction en demandant la preuve déductive de la conjecture faite.
Il n’y a pas, ne serait-ce qu’un embryon de preuve expérimentale utilisant les outils de l’environnement logiciel. Voici une proposition d’expérimentation validative qui me semble tout autant formatrice d’un esprit logique que l’aptitude à dérouler une procédure qui a fait l’objet d’un entraînement préalable dans un contexte rationaliste :
mettre en évidence le point I intersection de deux droites (MM’) particulières et tester l’appartenance de ce point I à toutes les autres droites (MM’) auxquels on peut avoir accès sur la page Cabri (la réponse du test sera positive) et évaluer le rapport IM’/IM qui sera toujours affiché à 3 même si on augmente au maximum la précision de l’affichage.

Dernière remarque concernant le paragraphe « Production demandée » : ce paragraphe contient trois alinéas, l’un concerne la réalisation de la figure et les deux autres la production de démonstrations. Cette présentation peut laisser croire que l’évaluation se fera majoritairement sur la production classique de démonstrations sans tenir compte des initiatives que le candidat aura pu prendre pendant la partie expérimentale de l’épreuve. Cela viendrait contredire l’esprit qui prévaut à l’introduction de cette épreuve et qui a été affirmé haut et fort par M. le Doyen de l’inspection générale au cours de notre congrès de Besançon : promouvoir des mathématiques plus attrayantes qui soient plus proches des vraies mathématiques que ne le sont celles d’hier.

5.2. Sujet 12 et son analyse succincte

5.2.1. Énoncé :

sujet 12

5.2.2. Analyse succincte de ce sujet

Le sujet commence par le montage qui est une construction qui doit modéliser une situation réelle : cela est la première difficulté car l’énoncé propose une appréhension discursive de la figure pour trouver la construction logicielle à partir des propriétés mathématiques de la figure fournie en environnement papier crayon.
Notons que le doute est encore absent de cette activité puisque le candidat doit faire appel trois fois à l’examinateur pour valider constructions ou conjectures.
Les deux expérimentations proposées consistent à afficher deux lieux et à reconnaître perceptivement un quart de cercle et un segment : on a encore affaire à des expérimentations génératives. La bonne conjecture est la conclusion obligatoire de toute expérimentation proposée puisque l’énoncé enchaîne sur les preuves déductives des résultats conjecturés.

Pour cet exemple encore, il était possible pour chaque conjecture amenée par une appréhension perceptive de la figure générée par l’expérimentation de la valider de manière expérimentale. Dans le cas du lieu conjecturé comme étant un quart de cercle, il était possible de tracer un cercle passant par trois points du lieu et vérifier avec l’oracle de Cabri l’appartenance des autres points du lieu à ce cercle ; on pouvait aussi demander l’équation du lieu et reconnaître une équation de cercle. L’énoncé force donc les candidats à revenir aussi vite que possible dans G2 (environnement de la déduction) au lieu de rester dans G2 Informatique (environnement de la preuve expérimentale ou de la validation informatique). Là encore on comprend mal cette option prise qui ne justifie pas l’utilisation de l’outil informatique dont l’utilisation doit générer plus d’expérimental pour rendre la matière plus attrayante et plus conforme à la vraie pratique de la recherche dans tous les domaines et en particulier en sciences.

Remarques sur le paragraphe « Production demandée » : mêmes remarques que pour le sujet précédent avec en plus le fait que la démonstration attendue faisait appel à une formule de trigonométrie peu connue et que cette démonstration n’était pas aisée du tout surtout dans les conditions de temps de l’épreuve.

5.3. Bilan de ces analyses

Le bilan qui suit concerne plus particulièrement les sujets de géométrie qui sont ceux sur lesquels je me suis focalisé. Néanmoins une grande partie des conclusions qui suivent restent valables pour l’ensemble des autres sujets.

Concernant la partie pré conjecture
On note une première phase de construction qui doit mettre l’élève de facto dans la macro étape d’accélération de la recherche avec expérimentation générative suivie immédiatement de la conjecture (le professeur vient éventuellement fournir la bonne figure pour que l’élève puisse expérimenter et arriver à la conjecture).
On constate qu’il n’y a pas et qu’il ne peut y avoir de recherche erratique car le sujet n’est pas ouvert et que temps imparti à cette épreuve est trop court.
On constate aussi qu’il n’y a pas de recherche ordonnée et qu’il est difficile qu’une telle étape apparaisse : en effet, une telle recherche nécessite des techniques d’investigation qui sont, dans une certaine mesure, propres à chaque logiciel.

Concernant la partie post conjecture
On constate qu’il n’y a pas d’expérimentation validative donc pas de démarche expérimentale post conjecture
L’absence de preuve expérimentale (absence totale d’incitation à travailler dans G2 Informatique) est flagrante dans l’ensemble des sujets de géométrie. À aucun moment l’élève n’est incité à faire des vérifications avec son logiciel. Au contraire, pratiquement tous les sujets basculent dans G2 après la production de la conjecture, c’est-à-dire dans le monde rationaliste du déductif pour faire produire une démonstration !

Notons de plus que deux paramètres cruciaux manquent :
 Toutes les recherches faites en particulier autour des narrations de recherche (IREM de Montpellier) et les problèmes longs (IREM de Lyon) ont montré l’importance cruciale du paramètre temps dans des activités de vraie recherche aussi bien en amont qu’en aval de la conjecture (avec la preuve expérimentale et la preuve déductive). Or le temps accordé aux élèves pour cette épreuve pratique est amputé de moitié par un travail déductif qui, à mon avis, pour cette raison au moins, n’a pas sa place dans une telle épreuve.
 Les mêmes recherches de l’IREM de Lyon et, par exemple, les expérimentations de recherches collaboratives réalisées en Australie ont confirmé l’importance du travail de groupe dans un vrai travail de recherche. Or le format des sujets exclut tout travail de groupe et ne l’envisage même d’aucune façon.

6. Conclusion

L’expérimentation à grande échelle d’une épreuve pratique en mathématiques au baccalauréat, avant une vraisemblable intégration définitive, nécessitait que le corps enseignant s’interroge sur les connaissances et les compétences des enseignants qui vont préparer leurs élèves à une telle épreuve. En effet, l’ancrage rationaliste imposé depuis très longtemps par l’institution a généré et génère une pratique et un enseignement de cette discipline largement centrés sur la démonstration (au moins en première et en terminale à cause d’une évaluation finale qui a peu évolué malgré les suggestions de l’APMEP sur l’introduction de problèmes à prises d’initiative).

Nous avons montré une théorisation de l’activité expérimentale qui, nous l’espérons, va participer à une meilleure information du professeur pour une compréhension plus objective de ce qu’il aura à enseigner. Cela d’autant plus que les intentions de l’institution dans l’introduction d’une épreuve pratique au baccalauréat vont dans le sens d’une nouvelle pratique plus expérimentale, « que l’usage plus affirmé des technologies nouvelles doit favoriser ».

Nous avons aussi montré comment cette théorisation pouvait être un bon outil d’analyse des sujets proposés par l’inspection générale. Elle permet d’y repérer leurs réelles intentions didactiques mais aussi leurs faiblesses avec, surtout, l’absence d’une partie consacrée à la « preuve expérimentale » après la mise en évidence de la conjecture.

Nous pensons cette lacune regrettable et espérons que, dans le futur, les sujets proposés intégrerons une telle partie. Cela évitera que les professeurs trop empreints de la conception purement rationaliste qui a prévalu jusqu’à présent dans l’enseignement des mathématiques, ne se trouve confortés dans l’idée que la démonstration reste le point essentiel sur lequel l’évaluation de l’activité expérimentale sera jugée.

Cinquante ans après la publication des travaux de Pólya, il est plus que temps que les mathématiques redeviennent la science expérimentale qu’elle a toujours été en laissant sa vraie place à la preuve expérimentale (au « raisonnement plausible »). Cela est possible et largement favorisé par l’utilisation des outils technologiques sans renier le rôle important et crucial de la démonstration (qui est une spécificité francofrançaise !). Pour ceux d’entre nous qui auraient le désir de retrouver les vraies mathématiques, celles de la vraie recherche, je conseille la lecture du passionnant « Preuves et réfutations » de Imre Lakatos.

Bibliographie

[1] BALACHEFF N., 1982, Preuve et démonstration en Mathématiques au Collège, Recherches en didactique des mathématiques, 3, (3), 261-303.
[2] BOURY V., 1993, La distinction entre figure et dessin en géométrie : étude d’une boîte noire sous Cabri-Géomètre, DEA Sciences cognitives, INP Grenoble.
[3] CAPPONI B., 1993, Utilisation du logiciel Cabri-Géomètre en classe in Actes de l’Université d’été « Apprentissage et enseignement de la géométrie avec ordinateur : utilisation du logiciel Cabri-Géomètre en classe », Grenoble.
[4] CAPPONI B., CLAROU P., LABORDE C., 2001, Géométrie avec Cabri. Scénarios pour le lycée, Collection Objectif Multimédia, CDDP de l’Académie de Grenoble.
[5] CHEVALLARD Y., 1998, La notion d’organisation praxéologique, in Actes de l’Université d’été de La Rochelle, Analyse des pratiques enseignantes et didactique des mathématiques, IREM de Clermont-Ferrand.
[6] DAHAN J.J., 2005, La démarche de découverte expérimentalement médiée par Cabri-géomètre en mathématiques. Un essai de formalisation à partir de l’analyse de démarches de résolutions de problème de boîtes noires, thèse de doctorat, Université Joseph Fourier, Grenoble.
http://www-iam.imag.fr/ThesesIAM/ThesejjDahan.pdf
[7] DUVAL R., 1994, Les différents fonctionnements d’une figure dans une démarche géométrique, Repères IREM n° 17, 121-138.
[8] LAKATOS I., 1984, Preuves et réfutations. Essai sur la logique de la découverte en mathématiques, Hermann, Paris.
[9] OLIVERO F., 2002, The proving process within a dynamic geometry environment, thèse de Ph. D., Bristol University, UK.
[10] PARZYSZ B., 2001, Articulation entre perception et déduction dans une démarche géométrique en PE1, in Colloque de la COPIRELEM, Tours 2001, Presses de l’université d’Orléans, IREM d’Orléans.
[11] PARZYSZ B., 2003, Articulation et déduction dans une démarche géométrique en PE1, in Concertum. Dix ans de formation des professeurs des écoles en mathématiques. Tome 2 (Démarches et savoirs à enseigner) chap. 1 (Espace et géométrie), 107-125. Éd. ARPEME.

<redacteur|auteur=500>

Notes

[1Responsable du groupe Géométrie dynamique de l’IREM de Toulouse.

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