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La formation des maîtres vue par un professeur de mathématiques

Ce texte a été présenté par Catherine Combelles au nom de l’APMEP à un colloque organisé par l’Académie des sciences sur la formation des enseignants en science.

Je passe ma vie à enseigner les mathématiques, et je voudrais que cela soit bien
fait.

Un ressort important de cette qualité est la formation des enseignants qui doit
reposer sur trois piliers : la formation disciplinaire initiale, la formation
professionnelle initiale, et la formation continue.
Enseigner est un métier difficile, impossible, en un sens : un enseignant n’est
jamais content de son travail parce qu’il poursuit des objectifs multiples. Il faut
motiver les élèves en les intéressant, mais il est aussi indispensable d’assurer des
apprentissages techniques qui réclament des répétitions un peu arides. Il faut
absolument assurer l’essentiel, mais aussi apporter de la culture générale et ouvrir des
horizons. Il faut satisfaire la curiosité des plus rapides, mais veiller aussi à faire
progresser les plus lents et les moins motivés. Il faut offrir le meilleur des
apprentissages disciplinaires, mais aussi cultiver les compétences transversales, en
particulier l’expression orale et écrite, c’est-à-dire porter attention à la lecture sous
toutes ses formes, à l’orthographe, à la qualité de l’expression écrite, à la clarté de
l’expression orale, à une utilisation intelligente d’Internet et des outils modernes de
calcul.

Il faut aussi, et de plus en plus, passer du temps à calmer des adolescents
turbulents, à faire régner un peu d’ordre et d’écoute, à obtenir attention et
concentration. Il faut porter attention à chacun, même à celui qui se cache au dernier
rang et qui voudrait se faire oublier ! Il faut tenir compte des malheurs de celui-ci qui
supporte mal la séparation de ses parents, de la fatigue de celui-là qui jeûne pendant
le Ramadan, de l’épuisement de cet autre qui danse trois heures tous les soirs à l’école
de danse. On parvient rarement à réaliser ce qu’on avait prévu, on est souvent déçu à
la fin d’un cours, et le lendemain, on recommence… C’est un métier de Sisyphe que
le métier d’enseignant.

C’est pourtant un métier riche, passionnant, toujours changeant, qui demande
chaque jour d’avoir l’esprit en éveil, de s’adapter, de réinventer, de faire son miel de
chaque opportunité : tel sujet, qu’on découvre au hasard du chemin, se révèle soudain
fructueux car il permet une activité riche, diversifiée qui rassemble plusieurs objectifs
à la fois. Et il faut, toujours, observer, écouter, anticiper, comprendre : il ne faut pas
laisser échapper une intervention pertinente et on est parfois émerveillé par la qualité
des questions qui sont posées ; oui, on peut imaginer Sisyphe heureux !

Ce métier s’apprend : il réclame une formation initiale disciplinaire
solide, qui permettra d’apprendre, tout au long de sa vie : nouveaux domaines,
nouveaux problèmes, nouvelles applications. Depuis mes années d’étude, j’ai fait
connaissance avec l’algorithmique et l’informatique, avec la statistique, avec la
théorie des graphes. J’ai complété mes connaissances en géométrie, en probabilité, en
analyse numérique, j’ai appris des éléments d’histoire des mathématiques, j’ai
découvert des applications des mathématiques que mes études très bourbakistes ne
m’avaient jamais dévoilées : mathématiques appliquées à l’étude des mirages, des arcsen-
ciel, des marées, à la qualité des tests de dépistages, loi de Hardy-Weinberg en
génétique par exemple. La vision étriquée du métier qui est apparue dans certains
exposés lors du Colloque organisé par l’Académie est tout à fait fausse et je ne suis
en rien un exemple isolé. N’importe quel professeur doit suivre l’évolution des
programmes, encadrer ou animer des projets interdisciplinaires, s’adapter à l’évolution
d’une discipline qui n’a rien d’immuable : il suffit de feuilleter de nouveaux manuels
pour en avoir une idée. Les professeurs de mathématiques apprennent, bien sûr, et
c’est un des charmes de ce métier.

Mais la formation disciplinaire n’est en rien suffisante. Il est indispensable de
fournir, à travers une formation initiale professionnelle, des outils de base pour
traiter les questions de profession. Pour ma part, je n’ai pas eu droit à une quelconque
formation professionnelle initiale avant de pénétrer dans une classe, et c’est un
manque que je ressens encore. Je me souviens avec effarement de mes premiers cours.
C’était des leçons d’oral de concours : des leçons de bonne tenue mathématique sans
doute, mais préparées pour des mathématiciens, et pas pour des élèves ! Or
l’enseignement s’adresse à des élèves, et c’est une toute autre affaire ! On m’avait
appris beaucoup de mathématiques, mais on ne m’avait jamais parlé d’élève.

François Dubet, sociologue spécialiste des questions d’enseignement, a
courageusement fait l’expérience de l’enseignement dans une classe de cinquième pour
mieux connaître la réalité du collège : je l’ai entendu décrire son étonnement devant
la difficulté du métier. Fort de sa vaste culture, il pensait passionner sans difficulté
ses jeunes élèves. Mais la magie du verbe n’opérait pas, et il ne savait que faire : il
constatait que là où ses collègues parvenaient à enseigner, lui n’y parvenait pas. La
culture personnelle et la bonne volonté ne suffisent pas à faire un bon enseignant !

J’ai mis des années à apprendre sur le tas ce métier : la formation offerte en IUFM
épargne aujourd’hui à nos jeunes enseignants bien des efforts et bien des déconvenues,
et je suis toujours admirative devant la qualité de la réflexion des stagiaires PLC2 que
je reçois parfois dans mes classes, à Marseille.

La formation professionnelle apportée à l’IUFM est une chance pour notre
métier : elle peut contribuer à réussir une véritable professionnalisation de
l’enseignement. Cette professionnalisation est en marche mais n’est pas encore
aboutie : aux problèmes incessants qui se posent aux enseignants, il faut que les
réponses apportées ne relèvent pas de l’opinion personnelle, de la débrouillardise
individuelle comme c’est trop souvent le cas. Il faut des réponses éprouvées,
partagées, collectives, construites et autant que possible appuyées sur les résultats des
recherches dans ce domaine. C’est la formation professionnelle initiale qui peut aider
à construire cela, et sûrement pas seulement le compagnonnage par des professeurs
du terrain : ils sont bien souvent autodidactes sur les questions professionnelles et ils
ne savent pas forcément faire système de leur savoir-faire, le généraliser. Car il est
difficile de parler métier sans langage adapté, et l’un des apports de la didactique est
d’apporter un langage commun pour le faire. Les mots de la didactique permettent de
parler d’enseignement : « tâche de l’élève », « moments de l’étude », « travail de la
technique », « raison d’être d’une notion », « contrat didactique », etc. Cette panoplie
de mots structure la réflexion et leur compréhension apporte à l’enseignant une
charpente solide pour organiser les apprentissages de façon à les rendre efficaces. La
formation initiale théorique n’est pas suffisante, mais elle est une aide puissante pour
construire un enseignement cohérent et à l’épreuve de la diversité des contextes.

Un élément important de cette professionnalisation, bien que tout à fait contraire
à la vision traditionnelle du métier, doit devenir le travail collectif. Ce métier autrefois
solitaire commence à se pratiquer en équipe, et les professeurs du collège Didier
Daurat du Bourget en ont fait une démonstration magistrale pendant le colloque des 4
et 5 octobre. Ils nous ont clairement montré qu’un travail collectif est forcément de
meilleure qualité qu’un travail individuel, et la formation professionnelle en IUFM
doit insister sur cette dimension du métier, car elle a du mal à émerger, pour des
questions d’organisation, de tradition et de culture du corps professoral.

Outre la formation disciplinaire initiale, formation professionnelle initiale, le
troisième volet de la formation des enseignants doit être la formation continue :
l’APMEP demande qu’elle devienne une obligation pour les enseignants ; nous
espérons que dans ce cas, elle sera vraiment organisée par l’institution ! Actuellement,
les moyens en sont si limités que le sujet est quasiment passé sous silence. Peu ou
pas d’information, aucune campagne de sensibilisation, si ce n’est une modeste
affichette, bien cachée parmi d’autres, en salle des professeurs. C’est quasiment sous
le manteau que la formation continue existe, et le professeur qui se hasarde à demander
plusieurs stages dans une même année est la plupart du temps regardé comme un
rigolo qui cherche à éviter quelques heures de cours ! Quand les professeurs
s’inscrivent à un stage, ils en ignorent tout à fait les dates, et beaucoup d’enseignants
y renoncent par peur de pénaliser telle ou telle classe : les horaires de mathématiques
sont déjà très exigus, abandonner deux heures de cours en section scientifique est
toujours un crève-cœur ! Alors, on se plaint en haut lieu du « manque d’assiduité »
des professeurs !

La formation continue des enseignants doit être massivement développée et
organisée de façon à ne pas réduire le nombre d’heures d’enseignement des élèves, ce
qui est tout à fait possible à réaliser pour peu que la volonté politique soit au rendez-vous
 ; elle doit être confiée à des formateurs compétents, légitimés par un travail de
préparation collectif dans un cadre universitaire, comme le pratiquent actuellement les
IREM.

Formation disciplinaire initiale, formation professionnelle initiale, et formation
continue : toute évolution du système doit prendre en compte ces trois aspects sans
négliger aucun des trois termes. C’est un bon équilibre entre ces trois types de formation qui assurera une formation de qualité pour les enseignants. Cela ne se fera
pas sans volonté politique d’une organisation cohérente : prévision pluriannuelle d’un
recrutement suffisant qui évite le recours à des vacataires non formés et sous-payés,
dispositif de pré-recrutement pour une motivation des jeunes et une formation
professionnelle plus longue, comme le réclame le collectif Action-sciences,
accompagnement des nouveaux enseignants avec une entrée progressive dans le métier
pour faciliter leur insertion professionnelle et compléter leur formation initiale,
organisation d’une formation continue généralisée, et dans ce cadre, soutien et
développement du réseau des IREM et création de formations de formateurs.

Les
mesures sont connues et prônées par beaucoup. Il reste à les mettre en œuvre, et les
universités semblent déterminées à s’atteler à cette tâche : c’est une bonne nouvelle !

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