Bulletin Vert n°490
bulletin spécial « Centenaire de l’APMEP »

Le Conseil National des Programmes

par Didier Dacunha-Castelle

 

Le centenaire de l’APMEP m’a rappelé mes débuts dans le métier. Je regardais alors avec ahurissement le débat sur les maths modernes, sans comprendre qui étaient les protagonistes à l’exception de quelques figures célèbres et respectées. J’ai découvert à cette occasion l’APMEP et j’ai été séduit par son esprit d’ouverture, quoiqu’elle participât à la confusion générale. Mais ce fut un grand et vrai débat. Me retrouvant 25 ans plus tard, un peu par hasard, Président du CNP, il me semblait naturel de considérer les associations disciplinaires comme des interlocuteurs essentiels pour réfléchir sur les programmes. L’année précédente, pour rédiger le rapport sur l’état de l’enseignement des maths en France que m’avaient demandé la commission présidée par Pierre Bourdieu et Lionel Jospin alors ministre, j’avais discuté avec bien des membres de l’APMEP. Si l’enfermement de beaucoup d’associations me déçut, l’APMEP fut un partenaire constructif.

Une anecdote : le gouvernement précédent avait pour projet ferme de chapeauter la section C par une filière d’élite maths-éco, le but étant de donner au pays des cadres « compétents » et ouverts sur l’entreprise, un peu comme la technologie avait été créée pour « rapprocher les élèves du collège de l’entreprise » (sic). L’appui de l’APMEP fut utile pour obtenir l’enterrement définitif de cette idée. Le CNP travailla sous l’impulsion de Sylviane Gasquet, militante remarquable de l’APMEP, et d’Edmond Malinvaud, directeur de l’INSEE, à refonder l’ex-section B en section ES, avec renforcement de l’horaire de mathématiques, et avec de nouveaux programmes préparés par le Groupe de Travail Disciplinaire ; ce GTD était présidé par Bernard Malgrange, un des grands mathématiciens français, et par Sylviane Gasquet. Ce qui était alors impossible pour la section S fut fait pour la ES : une introduction du travail sur l’information chiffrée en collaboration avec les sciences sociales. Le travail en S de collaboration avec les physiciens et les biologistes échoua sur le moment mais commença à porter ses fruits 10 ans plus tard.

Le projet du CNP pour les programmes rejoignait celui de l’APMEP. Les programmes doivent être confectionnés par un organisme ouvert sur tous les ordres d’enseignement du Primaire à l’Université, avec une claire volonté de ne pas faire de corporatisme disciplinaire. Il faut du temps et donc des organes de réflexion permanents ; le temps politique est court et inconciliable avec les nécessités de l’École. Réfléchir sur des programmes de mathématiques est une tâche compliquée. Il faut suivre l’évolution des sciences et techniques, mais aussi celle de la société, en sachant ce que l’on cherche à apporter aux élèves. Ceci ne peut être fait par des groupes créés ponctuellement dans l’urgence, sans vision générale et travaillant dans la précipitation.

La charte des programmes du CNP exigeait un intervalle de 14 mois entre la proposition de programme et sa mise en place, ces 14 mois incluant une année d’expérimentation. La lutte du CNP avec le Ministère pour obtenir ces périodes d’expérimentation, et pour faire de l’IGEN un organe d’évaluation qui n’évalue pas sa propre production, se termina par un semi-échec malgré de nombreux soutiens dont celui de l’APMEP et malgré des essais réussis.

Les programmes étaient rédigés par des GTD constitués d’enseignants du Primaire, du Secondaire, d’inspecteurs, et présidés par un universitaire reconnu. Ces groupes travaillaient en concertation avec les Associations, les autres GTD et le CNP.

Le CNP fit aussi, et là avec un certain succès, une règle des documents d’accompagnement.

Enfin, il essaya de donner des règles à propos des manuels. Tout programme devait être communiqué aux éditeurs 6 mois avant sa publication, les membres du GTD et du CNP ne devaient pas être auteurs de manuels privés tout comme les personnes appelées à évaluer les manuels pour l’institution.

D’autres sujets, un peu type « serpent de mer », préoccupèrent le CNP à propos des maths, comme l’usage des calculatrices et la place de l’informatique à tous les niveaux, avec une règle absolue et générale : résister à toute tentative de créer toute nouvelle discipline sans absolue nécessité. Ce qui s’est dit alors me parait juste encore aujourd’hui. Cela avait des conséquences au collège : le CNP souhaitait augmenter sensiblement l’horaire des mathématiques, de manière à confier peu à peu, par expérimentations successives, à leurs enseignants l’apprentissage d’un usage raisonné de l’ordinateur, avec des applications allant au delà des maths ; et aussi pour combler le fossé entre les horaires de mathématiques du CM2 et du collège (qui étaient en gros dans un rapport du simple au double). Pour cela il fallait regrouper et resserrer en un seul bloc, avec chaque année un seul professeur, les heures de sciences et de technologie parcellisées et donc souvent gaspillées, en expérimentant d’abord avec des professeurs volontaires. Ce fut un refus assez large ; et pourtant je pense que l’organisation actuelle reste un facteur, certes secondaire mais réel, de la désaffection que l’on connaît hélas pour les sciences et surtout pour la physique. L’APMEP ne prit pas parti et resta aux abris, mais certains de ses membres participèrent activement à un débat, qui était sans doute prématuré. Une autre conséquence fut l’initiative du CNP de rapprocher les associations de disciplines du secondaire et du supérieur ; cela se pérennisera dans les années 1995 pour les mathématiques.

Cet épisode de quatre ans est un essai fugace de réalisation d’un mouvement général, sans cesse contrarié mais irrépressible : créer des organismes de proposition jouissant d’une indépendance maximale vis-à-vis des administrations centrales, dont le travail devra s’appuyer sur le secteur associatif, et dont l’expérimentation et la décentralisation seront une tâche plénière. C’est un petit coin de démocratie à construire pour demain… bien dans l’esprit des textes fondateurs de l’APMEP.

Il ne reste pas grand-chose aujourd’hui de l’esprit d’ouverture du CNP. Il fut liquidé par deux hommes avec qui j’ai eu à travailler avant qu’ils ne soient ministres après 2003 et qui n’avaient qu’un point en commun : une détestation des mathématiques, fondée sur une ignorance sidérante et revendiquée du calcul élémentaire. « Ah », disaient-il en substance, « ces élèves de CM2 qui ne savent pas compter à cause de la méchante méthode globale… ».

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