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Pavages semi-réguliers du plan

par Mathias Front et Pierre Legrand

Les pavages du plan sont une source quasi inépuisable de travaux en classe. En dehors des pavages réguliers bien connus que l’obtient à partir d’un carré, d’un triangle équilatéral ou d’un hexagone régulier, il en existe une très grande variété.

Cet article porte sur la catégorie la plus connue, les pavages dits semi-réguliers ou archimédiens. Il ne s’agit pas ici de fournir clés en main un thème d’activités, qui serait d’ailleurs trop vaste, mais d’apporter au lecteur des éléments lui permettant d’élaborer ses propres sujets.

Définition

Un pavage semi-régulier du plan est un recouvrement du plan par des polygones réguliers satisfaisant aux conditions suivantes :

– si deux polygones du recouvrement ont un point commun unique, il est sommet de l’un et de l’autre (un tel point sera dit un noeud du pavage) ;

– si deux polygones du recouvrement ont plus d’un point commun, leur intersection est un côté de l’un et de l’autre ;

– la configuration locale en chaque noeud est la même à une symétrie près : si par exemple, en tournant autour du noeud N dans le sens direct, on trouve successivement un m-gone, un n-gone, un p-gone et un q-gone, on trouvera aussi successivement un m-gone, un n-gone, un p-gone et un q-gone en tournant autour de tout autre noeud soit dans le sens direct soit dans le sens rétrograde.

De tels pavages, appelés aussi archimédiens bien qu’à notre connaissance on n’en trouve pas trace dans les oeuvres d’Archimède, semblent avoir été utilisés dès l’Antiquité. Mais la première étude systématique est due à Kepler, dans le livre II de son Harmonie du Monde (1619). Signalons au passage que, dans le cinquième et dernier livre, il établit la fameuse troisième loi du mouvement des planètes, qui relie leur période à la mesure du grand axe de leur orbite … et que dans le quatrième, il traite d’astrologie.

Un peu de vocabulaire

Le type d’un noeud est la liste des nombres de côtés des polygones l’ayant pour sommet, énumérés
en tournant autour de ce noeud dans le sens direct ou dans le sens rétrograde. Ainsi le noeud N dont nous parlions précédemment est de type (m,n,p,q), mais il est aussi de type (n,p,q,m) ou (q,p,n,m) ; en revanche, si m, n, p, q sont distincts, il n’est pas de type (m,n,q,p).
L’ordre d’un noeud est le nombre de polygones du pavage l’ayant pour sommet. Ainsi le noeud N décrit ci-dessus est d’ordre 4.

A est d’ordre 4 et de type (6,4,3,4)

Pour un pavage semi-régulier donné, tous les noeuds ont même ordre et même type, qui sont dits ordre et type du pavage. En outre, les côtés des polygones le composant ont tous même longueur.

Remarques initiales

Relation entre l’ordre et le type

Si $n_i$ est le nombre de côtés du polygone régulier $P_i$, ses angles valent $\alpha_i=\left(1-{2 \over n_i} \right) \pi$. Autour d’un noeud de type $(n_1,n_2,n_3 ...,n_k) \text{, on a} \displaystyle { \sum_{i=1}^{i=k}} {\alpha_i}=2\pi$. On en
tire aussitôt :

$$\displaystyle { \sum_{i=1}^{i=k}} {1 \over n_i}={k \over 2}-1 \ \ \ \ \ \ \ \ (R) $$

Valeurs de l’ordre possibles a priori

On ne peut assembler autour d’un noeud moins de 3 et plus de 6 polygones réguliers. Le premier résultat est évident. Le second découle, avec les notations du paragraphe précédent, de ce que la plus petite valeur possible de $\alpha_i$ est ${\pi \over 3}$, donc que $ \displaystyle { \sum_{i=1}^{i=k}} {\alpha_i} \ge k {\pi \over 3}$

Un pavage d’ordre 6 suppose que tous les $\alpha_i$ valent ${\pi \over 3}$ ; c’est le classique pavage régulier par triangles équilatéraux. Nous écarterons désormais ce cas.

Il nous faut donc commencer par chercher à assembler autour d’un point 3, 4 ou 5 polygones réguliers … étant entendu qu’un tel assemblage ne pourra pas forcément être prolongé en un pavage semi-régulier du plan tout entier.

Pavages d’ordre 3

Avec les notations précédentes, la relation (R) nous donne ${1 \over n_1}+{1 \over n_2}+{1 \over n_3}={1 \over 2}$ . Il faudra donc décomposer en somme de trois fractions de numérateur ${1 \over 2}$, mais une telle décomposition ne fournit pas toujours un pavage, comme le montrent les deux remarques ci-après, qui permettront de limiter le travail.

Lemme 1

Dans un pavage semi-régulier d’ordre 3, de type (x, y , z) , si z est impair, alors x = y .

Supposons d’abord x, y, z tous distincts et observons ce qui se passe quand on décrit dans le sens direct le pourtour d’un z-gone en partant d’un point D (figure ci-contre). Le premier côté longe un x-gone, le second un y-gone, le troisième un x-gone, etc. Quand on arrive au dernier, on obtient, puisque le nombre z de côtés est impair, un x-gone alors que ce devrait être un y-gone compte tenu du type de D.

Supposons maintenant que l’on ait x = z et z $\ne$ y. Le même travail permet de conclure à une contradiction : si l’on décrit dans le sens direct le pourtour d’un z-gone en partant d’un point D, les côtés de ce z-gone longent alternativement un z-gone et un y-gone, ce qui exigerait que le nombre de côtés du z-gone décrit soit pair.

Lemme 2

Dans un pavage semi-régulier d’ordre 3, de type (x, y , z), si z est impair, alors z = 3.

Nous savons par le lemme 1 que x = y. On a donc ${2 \over y}+{1 \over z}={1 \over 2}$ , d’où l’on tire y (z − 2) = 4z. Comme z est impair, z − 2 est impair ; mais il divise 4z, donc il divise z et par suite aussi z − (z − 2) = 2, donc il vaut 1.

Étude du cas z = 3

Des calculs que nous venons de faire on déduit aussitôt que y = 12 et donc que le pavage, s’il existe, est du type (12, 12, 3). La figure ci-contre montre qu’un tel pavage existe ; il est unique à une similitude directe près, car une fois choisi un dodécagone de base et l’un des côtés sur lequel on bâtit un triangle équilatéral, la totalité de la construction est déterminée.

Cas où x, y , z sont tous pairs

On peut toujours supposer $x \le y \le z$. De ${1 \over x }+{1 \over y}+{1 \over z}={1 \over 2}$ , on tire ${3 \over x } \ge {1 \over 2}$, donc $x \le 6, \text{ donc } x=6 \text{ ou } x=4$.

Le premier cas impose x = y = z = 6 et correspond au classique pavage du plan par des hexagones réguliers. Le second cas donne ${1 \over y}+{1 \over z}={1 \over 4}$ ; cela exige que y et z soient strictement supérieurs à 4, donc au moins égaux à 6. Mais, puisque $y \le z$, on a ${2 \over y} \ge {1 \over 4}$ , donc y vaut 6 ou 8. Finalement, on aboutit à (4,6,12) et (4,8,8).

Les figures ci-dessus montrent que de tels pavages existent. Pour la même raison que précédemment, ils sont uniques à une similitude directe près : dans le premier cas, une fois choisi un dodécagone de base et l’un des côtés contre lequel on posera un carré, la totalité de la construction est déterminée ; dans le second cas, une fois placé un carré de base, la construction s’ensuit.

Pavages d’ordre 4

Soit un pavage d’ordre 4 et de type (x,y,z,t). On classe ces quatre nombres dans l’ordre croissant : $n_1,\ n_2,\ n_3,\ n_4$. La relation (R) établie au début s’écrit ici ${1 \over n_1}+{1 \over n_2}+{1 \over n_3}+{1 \over n_4}=1$. On en tire ${4 \over n_1} \ge 1$ , ce qui permet d’affirmer que $n_1$ vaut 3 ou 4.

Si $n_1 = 4$, les quatre fractions sont au plus égales à ${1 \over 4}$ ; leur somme ne peut valoir 1 que si chaque $n_i$ vaut 4. Le type est donc (4,4,4,4) : c’est le pavage régulier par des carrés.

Nous supposons désormais $n_1 = 3$. On a alors ${1 \over n_2}+{1 \over n_3}+{1 \over n_4}={2 \over 3}$ , les $n_i$ étant toujours supposés rangés par ordre croissant, ce qui assure l’inégalité ${3 \over n_2} \ge {2 \over 3}$ ; donc $n_2$ vaut 3 ou 4.

Si $n_2 = 3$, on a ${1 \over n_3}+{1 \over n_4}={1 \over 3}$ , donc $n_3 > 3$. De plus ${2 \over n_3} \ge {1 \over 3}$ donne $n_3 \le 6$. On a donc à essayer pour $n_3$ les valeurs 4, 5 et 6. On trouve immédiatement $n_3 = 4, n_4 = 12 \text{ et } n_3 = 6, n_4 = 6$.

Si $n_2 = 4$, on a ${1 \over n_3}+{1 \over n_4}={2 \over 3}-{1 \over 4}={5 \over 12}$, d’où l’on tire ${2 \over n_3} \ge {5 \over 12}$ , soit $n_3} \le {24 \over 5}$ , donc $ n_3 \le 4$, ce qui prouve puisque $ n_3 \ge n_2$, que $n_3 = 4$. Il vient alors $n_4 = 6$.

Nous avons, comme listes de valeurs a priori possibles, classées dans l’ordre croissant, (3,3,4,12), (3,3,6,6) et (3,4,4,6). Il nous faut donc examiner la liste de types suivante :

(3,3,4,12), (3,4,3,12), (3,3,6,6) (3,6,3,6), (3,4,4,6) et (3,4,6,4) (L)

Tout autre type a priori envisageable se ramène à l’un de ces six. Ainsi, par exemple (4,3,3,12) définit par symétrie le même type que (12,3,3,4), qui par permutation circulaire se ramène à (3,3,4,12).

Un lemme va nous permettre de montrer que quatre de ces six types ne permettent pas de définir un pavage semi-régulier.

Lemme 3

Il n’existe pas de pavage semi-régulier de type (3,x,y,z) avec $x \ne z$.

La démonstration est voisine de celle du lemme 1. Observons ce qui se passe aux sommets d’un triangle équilatéral ABC du pavage en partant du point A.

Premier cas : x et z différents de 3

Supposons, ce qui n’est pas restrictif, que le côté AB du triangle ABC longe un x-gone. Alors, compte tenu du type du noeud B (et que y soit ou non égal à 3), le côté BC longe un z-gone. Puis, compte tenu du type du noeud C, le côté CA longe un x-gone. On voit alors que le noeud A est du type (3,x,y,x) et donc que x = z.

Second cas : x = 3 ou z = 3

Supposons par exemple x = 3. Dans la liste (L) ci-dessus aucun des types a priori possibles ne présente trois fois le nombre 3. Il nous faut donc étudier la possibilité du type (3,3,y,z), avec y et z différents de 3.

Pour un noeud de ce type, la juxtaposition des deux « 3 » signifie que ce point est sommet de deux triangles équilatéraux ayant un côté commun. Il y a donc dans le pavage un triangle équilatéral ABC tel que le côté AB longe un autre triangle équilatéral. Étant donné le type du noeud C, l’un des deux côtés BC et AC, mettons BC, est longé par le triangle ABC et un autre triangle équilatéral. Mais alors le noeud B est de type (3,3,3,…), ce qui est exclu.

Pavages exclus par le lemme 3

Voyons la liste (L) des cas a priori possibles :

(3,3,4,12), (3,4,3,12), (3,3,6,6), (3,6,3,6), (3,4,4,6), (3,4,6,4).

Les types (3,4,3,12), (3,4,4,6), (3,3,4,12) et (3,3,6,6) sont exclus par le lemme 3 comme étant du type (3,x,y,z) avec $x \ne z$.

Restent à étudier les deux cas (3,4,6,4) et (3,6,3,6).

Les figures ci-après montrent que de tels pavages existent. Ils sont uniques à une similitude directe près pour la même raison que dans les cas précédents : une fois choisi un hexagone de base, la totalité de la construction est déterminée.

Pavages d’ordre 5

Soit un pavage d’ordre 5 et de type (x,y,z,t,u). On classe ces cinq nombres dans l’ordre croissant : $n_1, \ n_2,\ n_3, \ n_4,\ n_5$. La relation (R) établie au début s’écrit ici ${1 \over n_1}+{1 \over n_2}+{1 \over n_3}+{1 \over n_4}+{1 \over n_5}={3 \over 2}$ . Les trois premiers $n_i$ sont égaux à 3, car s’il n’en était pas ainsi on aurait ${1 \over n_1}+{1 \over n_2}+{1 \over n_3}+{1 \over n_4}+{1 \over n_5} \le ={1 \over 3}+{1 \over 3}+{1 \over 4}+{1 \over 4}+{1 \over 4}$ ; or le second membre vaut ${17 \over 12}$ , inférieur à ${3 \over 2}$ . Il reste donc à discuter ${1 \over n_4}+{1 \over n_5}={1 \over 2}$, avec $n_4$ et $n_5$ au moins égaux à 3. On voit aussitôt que les seules solutions sont (3,6) et (4,4).

Les types a priori possibles sont donc (3,3,3,3,6), (3,3,3,4,4) et (3,3,4,3,4). Les figures ci-dessous montrent que de tels pavages existent.

Le pavage (3,3,3,4,4) est manifestement unique à une similitude directe près. Il en est de même pour le pavage (3,3,4,3,4), mais la démonstration est un peu plus laborieuse ; on peut cependant faire constater aux élèves que, si l’on choisit comme point de départ deux triangles équilatéraux accolés, on a carte forcée pour l’ensemble de la construction.

En revanche, à partir d’un hexagone régulier donné, on peut construire deux pavages (3,3,3,3,6) se correspondant par symétrie, mais non superposables par déplacement. Si on construit autour de l’hexagone sa couronne de 18 triangles équilatéraux, on voit en effet que l’on a deux façons de placer les hexagones suivants.

Nous laissons au lecteur le soin de vérifier que les deux solutions sont superposables par symétrie, mais non par déplacement. Pour le type (3,3,3,3,6) et lui seul, l’unicité est donc à une similitude directe ou inverse près.

Appendice : Quelques suggestions de travail avec des élèves

1) Leur faire découvrir les translations, symétries et rotations laissant invariant un pavage donné, ou plutôt (il est délicat de justifier qu’on les a toutes), des translations, des symétries et des rotations le laissant invariant.

C’est souvent simple, mais cela ne saute pas toujours aux yeux. Ainsi, dans le cas du dernier pavage présenté, (3,3,4,3,4), que nous avions volontairement mis dans une « mauvaise » position, il faut, pour bien voir les choses, le tourner de ±\pi \over 4, comme nous l’avons fait pour obtenir la figure ci-contre.

2) Leur faire trouver un « assemblage de base [1] », c’est-à-dire une pièce constituée d’un groupement de polygones contigus du pavage et telle qu’avec un lot de pièces déduites de celle-ci par translation on puisse reconstituer entièrement le pavage. On voit par exemple aussitôt que, dans le cas du pavage (4,8,8), une solution est constituée d’un octogone et d’un carré ayant un côté commun.

Le travail est possible dans tous les cas, mais le lecteur pourra se convaincre que trouver une solution dans les cas (3,4,6,4), (4,6,12) ou (3,3,3,3,6) est nettement moins évident. Le pavage (3,3,4,3,4) a une propriété intéressante : l’assemblage des six morceaux marqués en gris dans la figure ci-dessus permet par des translations de reconstituer l’ensemble, mais à partir du bloc de trois morceaux marqués en gris foncé (ou de celui marqué en gris clair) on peut aussi reconstruire le pavage complet, à condition de ne pas se limiter aux translations et d’admettre de faire tourner les pièces.

Bibliographie

1. Sur le site anglais de Wikipedia (wikipedia.org), taper « tiling by regular polygons » ; pas de démonstration, mais de belles figures en couleur.

2. Taper sur Google recherche avancée  : « Art islamique et mathématiques » et « Pochon ». Article clair, bien illustré, qui joint aux pavages semi-réguliers d’autres pavages par des polygones réguliers.

3. E. FOURREY : Curiosités géométriques, Vuibert, réédité 2001, 3e partie, ch. 2, § 3.

4. G. SIMON : Kepler astronome astrologue, Gallimard 1979 [ne parle pas de pavages, mais constitue une plongée passionnante dans l’univers mental d’un génie qui croyait au pouvoir des astres ; introuvable en librairie, à voir en bibliothèque].

5. G. MARTIN : Transformation Geometry. An introduction To Symmetry, Springer 1987 [le chapitre 12 traite de façon claire et détaillée les pavages de tout genre].

<redacteur|auteur=500>

Notes

[1terme non canonique

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