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À propos d’une équation différentielle : va et vient entre expérimentation et théorie. Histoire d’une recherche collaborative.

Introduction : histoire de l’article (Marc Roux)

Cet article veut être une narration de recherche, il veut montrer que la solution simple et élégante d’un problème, souvent, n’est pas le résultat d’un « jaillissement », mais d’un parcours tortueux, avec ses impasses et ses raccourcis trouvés a posteriori, et que les échanges y jouent un grand rôle.

Dans un atelier lors des journées nationales de Besançon, Roger Cuppens nous a montré comment appliquer la méthode d’Euler à l’aide du logiciel Cabri II Plus, en utilisant de façon répétée une « macro ».

La méthode d’Euler consiste à appliquer de façon itérée l’approximation $f (x + h) = f (x) + h f ’(x)$, pour h « petit ». Elle est bien connue dans les lycées depuis qu’on l’utilise, en terminale S, pour introduire la fonction exponentielle en tant que solution de l’équation différentielle $y’ = y$.
À peine rentré de Besançon, j’appris que mon logiciel préféré, Geogebra, était désormais disponible sous une version comprenant des « outils définis par l’utilisateur », autrement dit des macros. Je me mis aussitôt à chercher à adapter à Geogebra les principes de Roger, ce qui s’avéra facile ; et je me dis qu’on pouvait appliquer la méthode à toutes sortes d’équations différentielles, aussi « tordues »
soient-elles, et étudier, comme pour la fonction exp, les propriétés des fonctions obtenues, avant même de se préoccuper de leur existence ; et je choisis :

$$y’ = ln(y) \ \ \ \ \ \ (E)$$


Je dois avouer qu’alors je pensais qu’on ne pouvait pas la résoudre de façon exacte (et c’est même pour ça que je l’avais choisie) ; plus tard Louis-Marie Bonneval a rafra$\in$chi mes souvenirs concernant les équations à variables séparables, en fournissant la partie 4 de cet article, et a complété certaines de mes démonstrations (partie 2) ;
enfin Pierre Legrand nous a suggéré une simplification des parties 2 et 3, et a ajouté des compléments qui figurent en partie 6.

Les parties 1 et 2 relatent nos recherches. Les « questions » qui y figurent trouveront une réponse dans la partie 4, et/ou dans les remarques de P. Legrand.

Notons dès maintenant que l’équation (E) a une solution évidente :
y = 1 = Cte
(car alors y’ = 0 = ln(1)).

Partie 1 : expérimentation et conjectures

Sous GeoGebra j’ai créé un curseur h (valeurs de 0 à 1), un point libre A (ce sont ses coordonnées a, b qui détermineront la condition initiale b = f (a)), un nombre y’ = log(y(A)), un point B de coordonnées (x(A) + h, y(A) + h × y’) [1] (en fait il suffit de taper B = A + (h,h * y’) mais je déconseille cette notation dans le secondaire…).

Puis j’ai créé un Outil, que j’ai appelé EulerDroite, avec comme objets initiaux h et A, objets finaux y’ et B. Pour pouvoir obtenir sur la même figure des points à gauche de A, j’ai créé C = A + (−h,−h * y’), et l’outil EulerGauche [2] : objets initiaux h et A, objets finaux y’ et C. J’ai appliqué EulerDroite à A, puis au point obtenu, ainsi de suite une quinzaine de fois ; j’ai fait de même avec EulerGauche, j’ai caché les noms des points, et ajouté la droite y = 1 représentant la solution particulière ; voici ce qu’on obtient (fig. 1) :

J’ai aussitôt émis plusieurs conjectures, que des essais de variations de la position de A, et des valeurs de h, ont semblé confirmer :
Si f est une solution de (E), il y a trois cas possibles :
Premier cas : f est définie sur $\mathbb R$ par f(x) = 1.
Deuxième cas : f est définie, croissante et convexe [3] sur $\mathbb R$ ; pour tout x de $\mathbb R$, f (x) > 1.
Troisième cas : f est définie, décroissante et concave sur un intervalle ]−$\infty$,M[, et sur cet intervalle f (x) < 1.

Dans la suite j’essaierai de démontrer ces conjectures, et nous verrons au passage d’autres propriétés de la fonction.

Partie 2 : recherche théorique

f désigne donc désormais une fonction réelle (à l’existence hypothétique, pour l’instant), définie et dérivable sur un domaine $D_f$ le plus grand possible, telle que pour tout x de $D_f$, on ait f ’(x) = ln(f (x)). On se donne de plus une condition initiale f (a) = b.

Remarques :

1) f est strictement positive sur $D_f$ ; en effet, sinon ln(f (x)) n’existe pas. Nous admettrons que cette condition est la seule limitation de $D_f$, et nous rechercherons donc, en accord avec les résultats expérimentaux de la partie 1, une solution f telle que :

  • si b > l, alors $D_f$ = $\mathbb R$ ;
  • si 0 < b < 1, alors $D_f$ est de la forme ]−$\infty$,M[.

2) f est deux fois dérivable sur $D_f$ et $f’’(x)={f’(x) \over f(x)}={ln(f(x) \over f(x)}$

3) Quel que soit n > l, $f^{(n)}$ existe et est de la forme $f^{(n)} = ln(f(x)).k_n(x)$, avec $k_n$ fonction de classe $C^\infty$.
En effet cette propriété est vraie à l’ordre 1 ; si elle est vraie à l’ordre n, alors

$$f^{(n+1)} = {f’(x) \over f(x)}.k_n(x)+ln(f(x)).k_n(x)=ln(f(x))\left( {k_n(x) \over f(x)}+k’_n(x) \right) = ln(f(x)).k_{n+1}(x)$$

4) On déduit de la remarque 3 que $f(x)=1 \iff \forall n \ge 1, f^{(n)}(x)=0$

5) $ f(x) \ge 1 \iff f’(x) \ge 0 \iff f’’(x) \ge 0 \ ; \ f(x) \le 1 \iff f’(x) \le 0 \iff f’’(x) \le 0 \ $

Proposition 1. Si b > 1, alors

  1. pour tout x de [a,+$\infty$[, f (x) > 1.
  2. f est croissante et convexe sur [a,+$\infty$[.
  3. $\lim_{x \to \infty} f(x)=+\infty \ et \ \lim_{x \to \infty} f’(x)=+\infty$.

Démonstration :

1) Soit I l’ensemble des valeurs de x dans [a,+$\infty$[ telles que f (x) $\le$ 1.
Si I n’est pas vide, comme il est minoré par a, il admet une borne inférieure m.
Nécessairement m > a. En effet f est continue en a, donc il existe un intervalle ouvert de centre a sur lequel f (x) > 1.
Sur l’intervalle ]m,+$\infty$[. f est majorée par 1, donc par continuité f (m) $\le$ 1.
Pour tout x de l’intervalle [a,m[, f (x) > 1 (sinon il existerait un élément c de [a,m[ tel que f (c) $\le$ 1 ; c serait un élément de I strictement inférieur à m, donc m ne serait
pas un minorant de I ; donc sur cet intervalle f’ est strictement positive, donc f est strictement croissante ; donc f (m) $\ge$ f (a) donc f (m) > 1.
Il y a contradiction, donc I est vide, d’où le résultat.

2) Conséquence de la remarque 5.

3) f étant convexe, sa courbe est au-dessus de toutes ses tangentes, en particulier de
sa tangente en A(a,b). Autrement dit, f est minorée par une fonction affine strictement croissante. Donc $\lim_{x \to \infty} f(x)=+\infty$. La deuxième limite s’en déduit puisque f’(x) = ln(f (x)).

Proposition 2. Si 0 < b < 1, alors il existe un réel M supérieur à a tel que pour tout x de [a,M[, 0 < f (x) < 1, et $\lim_{x \to M} f(x)=0$. f est décroissante et concave sur [a,M[.

Démonstration :

Appelons J le plus grand intervalle contenant a et inclus dans [a,+$\infty$[ sur lequel f soit définie.
Soit I 1’ensemble des valeurs de x dans J telles que f (x) $\ge$ 1.
Si I n’est pas vide, comme il est minoré par a, il admet une borne inférieure m.
Nécessairement m > a. En effet f est continue en a, donc il existe un intervalle ouvert de centre a sur lequel f (x) < 1.
m appartient à J, car J est un intervalle et a < m $\le$ xx est un élément de J.
Sur l’intervalle ]m,+$\infty$[. f est minorée par 1, donc par continuité f (m) $\ge$ 1.
Pour tout x de l’intervalle [a,m[, f (x) < 1 (sinon il existerait un élément c de [a,m[ tel que f (c) $\ge$ 1 ; c serait un élément de I strictement inférieur à m, donc m ne serait pas un minorant de I ; donc sur cet intervalle f est strictement négative, donc f est strictement décroissante ; donc f (m) $\le$ f (a) donc f (m) < 1.
Il y a contradiction, donc I est vide.
Donc pour tout x de J, 0 < f (x) < 1.
D’après la remarque 5, f est décroissante et concave sur J.
f étant concave, sa courbe est au-dessous de toutes ses tangentes, en particulier de sa tangente en A(a,b). Autrement dit, f est majorée par une fonction affine strictement décroissante. Cette fonction s’annule en une valeur c. La fonction f ne peut être définie au-delà de c puisqu’elle ne peut être négative. J est donc majoré. Soit M sa borne supérieure : J = [a,M[ ou J = [a,M].
Mais, si l’on admet toujours que le seul obstacle possible à l’existence de f (x) est qu’il devienne négatif ou nul, alors $\lim_{x \to M} f(x)=0$, en effet, sinon, par continuité on aurait $\lim_{x \to M} f(x)>0$ ,et il existerait alors $x_1$ > M tel que f ($x_1$) > 0, ce qui contredirait le fait que J est le plus grand possible.
On remarque qu’alors $\lim_{x \to M} f’(x)=\lim_{y \to 0} ln(y)=-\infty$ , donc M $\notin$ J, et la courbe de f prolongée par le point de coordonnées (M,0) a une tangente verticale en ce point.

Question 1 : déterminer (ou à défaut encadrer le plus précisément possible) le réel M, en fonction de a et b.

Proposition 3. Si f (a) > 1, alors pour tout x de ]−$\infty$,a[, f (x) > 1.
En effet, s’il existait c < a tel que f (c) < l, alors d’après Prop.2 on aurait f (a) < 1.

Proposition 4. Si f (a) < 1, alors pour tout x de ]−$\infty$,a[, f (x) < 1.
En effet, s’il existait c < a tel que f (c) > 1, alors d’après Prop.2 on aurait f (a) > 1.

Ces propriétés laissent ouvertes la possibilité que f (x) soit égal à 1 sur un intervalle ]−$\infty$,c] (fermé comme image réciproque du fermé 1) avec f (x) > 1 ou f (x) < 1 pour x > c.
On peut donc imaginer une solution de (E) qui serait constante de valeur 1 sur un intervalle ]−$\infty$,c], avec f (x) > 1 (ou f (x) < 1) si x > c : il existe des fonctions de ce type tout en étant indéfiniment dérivables ; par exemple [4] : f nulle sur ]−$\infty$,0], $f(x)=e^{-{1 \over x}}$ pour x > 0.

Question 2  : peut-on trouver une solution de (E) vérifiant cette condition ?

Proposition 6 : Dans tous les cas, $\lim_{x \to -\infty} f(x)=1$ .

Démonstration : Dans le cas f (x) = 1, la conclusion est immédiate.
Dans le cas f (x) > 1, f est croissante et minorée par 1, donc elle admet une limite finie $\ell$ en −$\infty$ ; donc $\lim_{x \to -\infty} f’(x)=ln(\ell)$ ; si $\ell$ > 1, ceci contredit le fait que f est
minorée ; donc $\ell$ = 1.
Dans le cas f (x) < 1 : même démonstration.

Question 3 : La solution vérifiant la condition initiale f (a) = b est-elle unique ?

Construction approchée de f : Sous l’hypothèse que f existe, on peut déterminer (par récurrence) ses dérivées successives ; on peut donc en construire un développement limité au voisinage de a, d’ordre quelconque. En effet : f ’(a) = ln(f (a)).
Posons $a_1$ = ln(f (a)) = ln(b).
$f’’(x)={ ln(f(x)) \over f(x)}$ donc $f’’(a)={ ln(f(a)) \over f(a)}.$
Posons $a_2 ={1 \over 2 !} { ln(f(a)) \over f(a)} = {1 \over 2 !} { ln(b) \over b}$.
$f’’’(x)={ln(f(x))(1-ln(f(x))) \over (f(x))^2}$
donc $f’’’(a)={ln(f(a))(1-ln(f(a))) \over (f(a))^2}={ln(b)(1-ln(b)) \over b^2}$.
On pose $a_3 ={1 \over 3 !}{ln(b)(1-ln(b)) \over b^2}$
De même $a_n$ étant supposé défini sous la forme $a_n={1 \over n !} K_n(b)$, on obtiendra $K_{n+1}(b)$ en « dérivant » formellement $K_n(b)$ dans lequel b est considéré comme une fonction dont la dérivée est ln(b) ; on posera alors $a_{n+1}={1 \over (n+1) !} K_{n+1}(b)$ ; et, pour tout p entier positif, $f(x)=b+\sum_{n=1}^p a_n(x-a)^n+o(x-a)^n$.

Partie 3 : Première vérification expérimentale

Ces développements limités nous fourniront des approximations locales de f au voisinage de a ; par exemple, à l’ordre 3, on obtient :

$$f_3(x)=b+ln(b) \cdot (x-a)+ { ln(b) \over 2b}\cdot (x-a)^2+{ln(b)(1-ln(b)) \over 6b^2} \cdot (x-a)^3$$


On vérifie que la représentation graphique correspond assez bien (localement) au tracé obtenu par la méthode d’Euler (fig. 3) :

Voici le tracé sur la même figure des représentations graphiques de $f_2, \ f_3, \ f_4$ ; on remarque qu’elles s’écartent nettement l’une de l’autre, et des points obtenus par la méthode d’Euler, quand on s’éloigne de A (fig. 4)

J’en étais là dans mes réflexions quand L.M. Bonneval répondit à mes interrogations.

Partie 4 : résolution exacte de l’équation différentielle

La fonction constante y = 1 est solution. Écartons cette solution triviale.

Sur tout intervalle où y $ne$ 1, l’equation peut s’écrire ${dx \over dy}={1 \over ln(y)}$.
Les fonctions cherchées ont donc pour réciproques les primitives de la fonction ${1 \over ln}$ .
La fonction ${1 \over ln}$ étant définie et continue sur ]0,1[ et sur ]1,+$\infty$[, on est conduit à distinguer ces deux intervalles.

1) Cherchons les solutions pour lesquelles y > 1 :


$x=\int_{2}^y {du \over ln(u)}+c=Li(y)+c$.
Li est la fonction logarithme intégral [5], définie sur ]1,+$\infty$[.
Cette fonction Li a une dérivée strictement positive sur ]1,+$\infty$[ et vérifie $\lim_{x \to 1+} Li(x)=-\infty$ et $\lim_{x \to +\infty} Li(x)=+\infty$.
Donc c’est une bijection de ]1,+$\infty$[ vers ]−$\infty$,+$\infty$[.
Sa courbe a l’allure ci-contre.
Par conséquent elle a une fonction réciproque $Li^{-1}$ définie et dérivable sur ]−$\infty$,+$\infty$[.
Les solutions de l’équation différentielle sont donc de la forme y = $Li^{-1}(x - c)$.

On retrouve la première forme de courbe trouvée dans la partie 1 et étudiée dans la partie 2.
De l’égalité $b = Li^{-1}(a- c)$ on déduit c = a − Li(b).
Et $Li^{-1}$ étant strictement monotone et ne prenant jamais la valeur 1 on en déduit les réponses aux questions ouvertes 2 et 3 : le cas « f constante sur ]−$\infty$,c], non constante
ailleurs » est impossible ; la solution est unique (pour une condition initiale donnée).

2) Cherchons les solutions pour lesquelles 0 < y < 1 :


$x=\int_{{1 \over 2}}^y {du \over ln(u)}+c=\Phi(y)+c$
Cette fonction $\Phi$ est définie sur ]0,1[. Elle a une dérivée strictement négative sur ]0,1[ et vérifie $\lim_{x \to 0+}\Phi(x)=\alpha\simeq 0,12$ et $\lim_{x \to 1-}\Phi(x)=-\infty$ .
Donc c’est une bijection de ]0,1[ vers $]-\infty,\alpha[$.Sa courbe a l’allure ci-contre.
Par conséquent elle a une fonction réciproque $\Phi^{-1}$ définie et dérivable sur$]-\infty,\alpha[$.
Les solutions de l’équation différentielle sont donc de la forme $y = \Phi^{-1}(x-c)$.
On retrouve la deuxième forme de courbe trouvée dans la partie 1 et étudiée dans la partie 2.
De l’égalité $b = \Phi^{-1}(a-c)$ on déduit c = a$\Phi(b)$.
Par suite le nombre M de la proposition 2 est donné par :

$$M=c+\alpha=a-\int_{1 \over 2}^b{du \over log(u)}+\int_{1 \over 2}^0{du \over log(u)}=a+\int_{0}^b{du \over log(u)}$$


Ceci répond à la question 1.

Remarque (de L.-M. Bonneval). La méthode de résolution montre la puissance de la notation de Leibniz ${dy \over dx}$. Bien sûr la notation de Lagrange f ’(x) a permis une clarification logique et des avancées théoriques. Mais elle serait ici beaucoup plus
difficile à manier (pour résoudre l’équation f ’ = ln o f , faisons le changement d’inconnue $g = f^{-1}$…). Les physiciens ne s’y trompent pas, qui restent fidèles à Leibniz. En revanche je comprends mal la survivance de la notation y’, qui n’a que des inconvénients.

Partie 5 : vérification expérimentale de la concordance des deux
méthodes

J’ai voulu tracer, sur la même figure que les approximations de la partie 2, la représentation de la solution exacte. J’ai buté sur un petit problème, GeoGebra ne connaissant ni les fonctions définies par une intégrale, ni les fonctions réciproques ; je l’ai contourné en remarquant que $y = Li^{-1}(x-c)$ équivaut à $x=a+\int_b^y{du \over log(u)}$.

J’ai donc créé successivement, dans ma figure GeoGebra :
– la fonction g, $g(x)={1 \over ln-x)}$ ;
– le point C mobile sur un segment [JK] porté par l’axe (Ox) (et non par l’axe lui même parce que dans ce cas le logiciel a des soucis avec les infinis, pour tracer le lieu) ;
– le nombre $I=\int_b^{x(C)}g(x)dx$ (syntaxe : I = intégrale(g, y(A), x(C))). Un point P de
coordonnées (x(C),x(A) + I) serait sur la représentation de h, h(x) = Li(x) + c ;
– le point M symétrique de P par rapport à la première bissectrice :
M = (I + x(A),x(C)) ;
– le lieu de M pour C parcourant [JK].
Ce lieu est la représentation de f (plus exactement, d’une restriction de f ), solution de (E) pour la condition initiale b = f (a). Sur la figure GeoGebra, qui figurera sur le
site de l’APMEP, on pourra vérifier que, quelle que soit la position de A (qui pilote les conditions initiales) cette courbe est (localement) proche des points obtenus par la méthode d’Euler, ainsi que des représentations des trois développements limités.
Voici deux aspects de cette figure, selon qu’on prend b supérieur à 1 :

ou inférieur à 1 :

Partie 6 : les simplifications et mises au point de Pierre Legrand

1. Unicité de la solution passant par un point (a, b)

Soit deux solutions f et g définies sur un segment S contenant a ; si elles sont égales en a. elles sont égales en tout point de S.

Les deux fonctions f et g, continues et strictement positives sur S, y ont chacune un minorant strictement positif ; soit $\mu$ le plus petit des deux. En appliquant l’inégalité des accroissements finis à la fonction ln, il vient, pour tout x de S :

$$|f’(x)-g’(x)|=|\ln f(x) - \ln g(x)| \le |f(x)-g(x)|{1 \over \mu}.$$

Posons $\delta = f- g$ : à partir de $| \delta’| \le {1 \over \mu} | \delta|$ et de $\delta (a) = 0$, il est aisé de prouver que $\delta$ est nulle en tout point de S. Pour ne pas être gêné par les valeurs absolues, on travaille sur $\varphi=\delta^2$. On a $\varphi’=2 \delta\delta’$ donc $|\varphi’| \le ={2 \over \mu}|\varphi|$. Si l’on pose $\lambda={2 \over \mu}$, on constate qu’en tout point de S : $\varphi’ - \lambda \varphi \le 0$ et $\varphi’ - \lambda \varphi \ge 0$.

Ainsi la fonction $x \mapsto \varphi(x) e^{-\lambda x}$ est décroissante dans S ; étant nulle en a, elle est nulle à droite de a. De même, la fonction $x \mapsto \varphi(x) e^{\lambda x}$ est croissante dans S ; étant nulle en a, elle est nulle à gauche de a. La fonction $\varphi$ est donc nulle en tout point de S.

Conséquences
Puisque la constante 1 est solution, toute solution prenant une fois la valeur 1 la prend en tout point. Les solutions non constantes sont donc ou toujours > 1 ou toujours < 1.
Les questions 2 et 3 de la partie 2 sont ainsi résolues, sans résolution explicite de l’équation.

2. Existence des solutions

On admet provisoirement l’existence d’une solution f définie dans un intervalle J et ne prenant pas constamment la valeur 1. On sait qu’elle ne prend jamais la valeur 1 (ni la valeur 0), qu’elle est strictement monotone, dérivable, et que sa dérivée est continue et ne s’annule pas.
Il en résulte qu’on peut lui appliquer le théorème des fonctions réciproques : pour toute solution f valable dans l’intervalle J, y = f (x), x $\in$ J équivaut à $x = \varphi(y)$, y $\in$ f (J), la fonction f étant strictement monotone, dérivable et solution de ${dx \over dy}={1 \over ln(y)}$. Cette équation (E’) est une simple recherche de primitive ; on sait que, dans chacun des intervalles ]0,1[ et ]1,+$\infty$[, elle a une solution, unique à une constante additive près, et que toute solution dans un intervalle plus petit en est une restriction.

Si $\varphi$ est une solution de (E’), il est aisé alors de montrer qu’inversement sa fonction réciproque est solution de (E).

À partir de là, de l’existence et l’unicité de la solution de ${dx \over dy}={1 \over ln(y)}$ passant par le point (b,a), avec b $\ne$ 1, résultent l’existence et l’unicité de la solution « maximale » de (E) passant par le point (a,b) , toute autre solution en étant une restriction.

Dernière remarque : si f est solution de (E), toute fonction du type $x \mapsto f (x -\lambda)$ est aussi solution, car si $g(x) = f (x -\lambda)$, alors $g’(x) = ln( f (x -\lambda)) = ln(g(x))$ ; et réciproquement, si f et g sont deux solutions « du même genre » (c’est-à-dire toutes deux croissantes, appliquant $\mathbb R$ sur ]1,+$\infty$[, ou toutes deux décroissantes, appliquant $\mathbb R$ sur ]0,1[), il existe, a étant fixé, k tel que $g(a) = f (a + k)$ ; l’unicité de la solution g vérifiant cette condition initiale entraîne que pour tout x, $g(x) = f(x + k)$.

Voici pour finir les représentations de onze des solutions de (E), dans un même repère :

Conclusion

Une expérimentation, au départ anodine, sur un logiciel, nous a conduits à des conjectures, qui ont ensuite été démontrées, par des voies différentes, par des individus différents, avec une marche progressive vers la simplicité. Le logiciel nous a encore
permis de vérifier la pertinence de nos conclusions, la cohérence de l’étude approchée avec la résolution exacte. D’une situation comparable à des questions traitées en terminale, on est passé à des questions nécessitant des connaissances de niveau plus élevé (développements limités, fonction réciproque). L’expérimentation peut donc aussi être une motivation à l’introduction d’outils mathématiques nouveaux. Et les échanges, la collaboration, sont un outil essentiel pour la clarification des connaissances.

<redacteur|auteur=500>

Notes

[1Dans la syntaxe de GeoGebra, l’abscisse et l’ordonnée de A sont appelées respectivement x (A) et y(A) ; on a donc x(A) = a et y(A) = b.

[2En fait un seul outil suffit, si on le fait fonctionner d’abord en cliquant sur h, puis en cliquant sur h’ = −h (remarque due à Michel Fréchet).

[3Rappelons qu’une fonction est dite convexe sur un intervalle si sa représentation graphique a sa concavité tournée vers le haut, ce qui équivaut, pour f dérivable, à f ’ croissante, soit, si f est deux fois dérivable, à f ’’ positive. Dans le cas contraire (f ’’ < 0), f est dite concave.

[4Cité dans J.M. Arnaudiès et H. Fraysse, Cours de mathématiques (Dunod), tome 3, page 196.

[5Cette fonction a été introduite par Gauss pour étudier la répartition des nombres premiers.

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