JN 2019 — Dijon

Le discours d’ouverture
de Madame Anne Burban
Inspectrice Générale de Mathématiques

 

Lors de l’ouverture des Journées nationales de l’APMEP, Madame Anne Burban, Inspectrice générale de Mathématiques, a prononcé le discours que vous pouvez lire ci-dessous.

Ce texte peut vous être utile en tant que discours officiel de l’inspection générale pour la négociation avec votre chef d’établissement pour défendre la place des professeurs de mathématiques dans l’enseignement scientifique de la voie générale.

 

Madame la Présidente de la Régionale de l’APMEP,
Monsieur l’IA-IPR de mathématiques,
Madame la présidente de l’ADIREM,
Monsieur le président de l’APMEP,
Mesdames et Messieurs les inspecteurs,
Mesdames et Messieurs les congressistes,
Chers collègues,

 

C’est pour moi un honneur que de représenter aujourd’hui le groupe de mathématiques de l’inspection générale pour l’ouverture des journées nationales de l’APMEP et un plaisir de retrouver ses membres.

Johan Yebbou, doyen du groupe des mathématiques et Laurent Chéno, référent pour l’enseignement de l’informatique, seront parmi vous lundi et répondront notamment aux questions d’actualité.

Le choix de Dijon pour les journées nationales 2019 de l’APMEP s’accorde parfaitement avec le thème retenu, celui des saveurs. J’emploierai pour ma part le terme « saveur », non pas dans sa singularité générique, mais sous sa forme plurielle. Ce pluriel permet de rendre compte de la diversité des saveurs auxquelles Aristote attribuait déjà des qualificatifs aussi variés qu’âpre, aigre, amer, doux, onctueux, sucré, astringent. Pour s’en tenir aux spécialités bourguignonnes, force est de reconnaître que la saveur persillée des escargots ou celle, piquante, de la moutarde se distinguent de l’onctuosité de la crème de cassis ou encore de la saveur anisée du pain d’épices. Nous savons également que l’impression que nous percevons des saveurs, qu’elles s’appliquent à la gastronomie ou aux mathématiques est fortement dépendante de l’histoire et de la culture de chacun. Selon son contexte d’introduction, théorique et général ou au contraire concret et appliqué, une même notion mathématique, aura pour les uns une saveur aigre et amère pouvant aller jusqu’à provoquer un rejet généralisé de la discipline et pour d’autres une saveur douce et sucrée qui les incitera à en demander une ration supplémentaire.

Cette différence de perception est à l’origine des difficultés, pour les professeurs, de captiver un public hétérogène dont le niveau, l’investissement et les attentes peuvent être extrêmement divers. Je ne vous dirai pas que la solution réside dans la différenciation pédagogique, car je suis parfaitement consciente qu’il est beaucoup plus simple pour moi de le dire ici que pour vous de le faire dans vos classes.

Concernant le cycle terminal du lycée, le choix politique s’est porté sur un enseignement de spécialité complété par deux options facultatives en terminale et une intégration des mathématiques aux autres sciences (PC, SVT et informatique) dans le cadre d’un enseignement scientifique du tronc commun.

Si je comprends et respecte la position de l’APMEP par rapport à cet enseignement, à nouveau exprimée par son président dans une interview récente au café pédagogique, je ne peux cependant pas m’empêcher d’avoir des craintes sur l’impact négatif des propos qui ont pu être tenus, l’an dernier sur l’absence de mathématiques dans l’ES, et aujourd’hui sur une présence, mais qui serait difficilement visible. Ces propos ont été entendus d’une part par des proviseurs qui hésitent, voire refusent, d’attribuer une partie des heures d’ES à des professeurs dont la discipline serait absente. Ces propos ont aussi été entendus par les enseignants de sciences expérimentales dont l’intervention, parfois exclusive, se trouve légitimée par l’absence prétendue de « vraies » mathématiques. Et ils ont enfin été entendus par les professeurs de mathématiques eux-mêmes qui n’ont pas été encouragés à s’investir dans cet enseignement pluridisciplinaire. Je vais donc m’employer, dans la suite de mon discours, à faire apparaître devant vous ces mathématiques cachées, comme si les points des programmes qui leur sont dédiés avaient été écrits à l’encre sympathique.

Déjà, les mathématiques figurant dans le programme de première couvrent largement les trois piliers disciplinaires dont Lautréamont fait les louanges dans ses célèbres chants de Maldoror. Je le cite : « Arithmétique, algèbre, géométrie ! Trinité grandiose, triangle lumineux, celui qui ne vous a pas connues est un insensé ».

Eh bien, un élève ayant suivi pendant deux ans l’enseignement scientifique ne devrait pas être « insensé », dans l’acception où il ne saurait pas donner un sens mathématique à des phénomènes naturels et humains.

  • Oui, il y a de l’arithmétique dans le programme d’ES de première, à travers notamment le thème sur le son et la musique, et particulièrement la construction des gammes musicales. Celle-ci permet, dans un contexte aux saveurs inhabituelles, de manipuler des fractions, des puissances, des inégalités, des nombres rationnels et irrationnels, et même d’entendre les sons associés à ces nombres par le biais de leurs fréquences.
  • Oui, il y a de la géométrie dans le programme d’ES de première, à travers notamment la géométrie des cristaux ou les mesures de la Terre, avec une saveur particulière apportée par des considérations historiques : dans le cadre de la mesure du méridien attribuée à Eratosthène, le déplacement des chameaux le long du Nil pour mesurer, en stades, la distance entre Syène et Alexandrie. Ou encore l’épopée scientifique, mais aussi combien romanesque, de Delambre et Méchain entre Dunkerque et Barcelone dans le contexte de la Révolution française pour mesurer des angles au cercle répétiteur, appliquer la loi des sinus et la méthode de triangulation pour aboutir à la distance entre ces deux villes situées sur un même méridien triangulation. Ces incursions historiques peuvent également être complétées tant par une réflexion sur la notion de modèle mathématique (modèle de la Terre plate d’Anaxagore, modèle sphérique déjà connu d’Eratosthène, modèle exponentiel de la décroissance radioactive ou de la croissance d’une population selon l’hypothèse de Malthus) que par la prise de conscience de la place et du rôle social des mathématiques (unification des unités de mesures).
  • Oui, il y a de l’algèbre dans le programme de mathématiques d’enseignement scientifique :
    Celui de première prévoit des calculs littéraux de volume, compacité, masse volumique en lien avec la cristallographie, mais surtout dans le programme de terminale où un travail sur les formules reliant intensité, tension, puissance et énergie permet de faire comprendre en quoi l’emploi des lignes à haute tension limite les pertes par effet Joule.

Mais les programmes d’ES dépassent les trois piliers mathématiques dont Lautréamont fait l’éloge puisqu’ils abordent aussi :

  • les graphes (modélisation d’un réseau de transport électrique) ;
  • les statistiques et les probabilités (inférence bayésienne utilisée en IA aussi bien pour la détection de spams que pour les diagnostics médicaux, fréquences conditionnelles pour le théorème de stabilité de Hardy-Weinberg, intervalles de confiance pour estimer l’effectif d’une population par la méthode de capture-marquage-recapture) ;
  • les problèmes d’optimisation sous contraintes avec une étude de la répartition du courant dans un réseau électrique extrêmement simple pour limiter les pertes par effet Joules ;
  • des activités d’algorithmique et de programmation (simulations au Tableur ou en Python, représentations géométriques avec GGB ;
  • des problèmes d’évolution à travers l’étude de modèles démographiques (modèle linéaire, modèle exponentiel, comparaison des deux modèles).

J’espère que ces exemples, non exhaustifs, permettent de donner à voir des mathématiques dont il est vrai qu’elles sont présentées d’une manière inhabituelle (programme « rédigé » et non présenté comme une succession de contenus et de capacités) et n’entrent pas dans le cadre de la formation initiale de beaucoup de professeurs de mathématiques. Pour les aider, sept ressources mathématiques de l’ES ont déjà été publiées sur le site Eduscol pour le programme de première et six sont actuellement en cours d’écriture pour le programme de terminale. Merci de les consulter, de les faire connaître et d’inciter les professeurs de mathématiques à s’en emparer car seule leur expertise mathématique et didactique permettra à la fois de révéler les saveurs mathématiques de ces thèmes et d’assurer une formation mathématique de base pour les lycéens non scientifiques de la voie générale, formation aujourd’hui indispensable dans l’exercice d’une vie personnelle, sociale et professionnelle.

Cet aspect lié à la formation me fournit l’occasion d’un retour sur le terme « saveur », qui puise son origine dans la même racine étymologique que le terme « saveur » ; il s’agit du latin sapor : le goût, le discernement.

Il est donc important qu’en plus d’avoir perçu les saveurs des mathématiques, les élèves aient acquis des savoirs et des savoir-faire relevant de cette discipline. C’est la raison pour laquelle l’enseignement scientifique ne se limite pas à une vision culturelle de la science ; il a pour ambition de faire acquérir aux élèves un certain nombre de connaissances (l’ordre de grandeur de la longueur du méridien terrestre, l’âge de la Terre, l’effectif de la population mondiale, la différence entre causalité et corrélation), mais aussi des savoir-faire de base (calculs de proportions, de pourcentages, lectures graphiques, conversions d’unités, fourchettes de sondages).

Or, nous savons tous que, pour maîtriser ces notions, il ne suffit pas d’être capable de les utiliser dans un contexte identique à celui qui a permis de l’introduire. Il faut avoir cerné leur champ conceptuel, au sens de Gérard Vergnaud, qui comprend trois volets :

  • L’ensemble des situations qui donnent du sens au concept ; par exemple, pour la croissance exponentielle : les taux d’évolution relative, les intérêts composés, le modèle démographique de Malthus.
  • L’ensemble des invariants sur lesquels repose l’opérationnalité du concept : pour la croissance exponentielle discrète, il s’agit du rapport de deux termes consécutifs.
  • L’ensemble des formes langagières et non langagières qui permettent de représenter symboliquement le concept (les fonctions exponentielles et les suites géométriques ainsi que leurs représentations graphiques pour traduire une évolution linaire).

Circonscrire un champ conceptuel suppose un travail de décontextualisation et de conceptualisation des savoirs mis en jeu dans un contexte donné, afin de pouvoir ensuite les transférer dans d’autres situations.

Je ne suis pas certaine que ce type d’approche, inutile dans le cadre d’une simple application des mathématiques, fasse partie de la culture et des pratiques de professeurs scientifiques mais non mathématiciens.

Si nous sommes tous réunis aujourd’hui, c’est parce que nous savons que, pour révéler les saveurs et transmettre les savoirs, il faut des professionnels de la discipline, les professeurs de mathématiques représentés par votre association. Ce sont eux qui, par le choix de stratégies didactiques et pédagogiques appropriées, permettent aux élèves de dépasser une première impression de goût parfois amère ou acide pour accéder à la subtilité d’une saveur mathématique inhabituelle. Ce sont eux qui, patiemment, entretiennent la flamme de la connaissance, ce sont eux qui suscitent la passion pour une discipline aux multiples facettes, mais dans laquelle la dimension et relationnelle reste primordiale. Je tiens donc à saluer ici tous ces artisans-artistes révélateurs de saveurs qui font la jonction entre la théorie et la pratique, entre leur discipline et les autres, et plus largement entre les savoirs à enseigner et les élèves à instruire.

Je vous souhaite à toutes et à tous de belles journées, nourries de l’apport scientifique des conférences, du travail en ateliers et d’échanges qui, pour être moins formels, n’en sont pas moins fructueux. Je vous souhaite également de profiter de cette belle ville de Dijon où les saveurs se conjuguent aux savoirs pour être interprétées à la fois comme des éléments révélateurs d’un attachement au terroir et d’une tradition séculaire, mais aussi d’une ouverture au monde et d’une modernité affichée.

 

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