Editorial du Bulletin 494
Pour un plan d’action de l’APMEP
- 6 mai 2011 -
Voici donc, selon moi, l’idéal de la question : l’instruction gratuite et obligatoire dans la mesure que je viens de marquer. Un grandiose enseignement public, donné et réglé par l’État, partant de l’école de village et montant de degré en degré jusqu’au Collège de France, plus haut encore, jusqu’à l’Institut de France. Les portes de la science toutes grandes ouvertes à toutes les intelligences. [1]
Victor Hugo ; Écrits politiques. La liberté de l’enseignement ; Assemblée législative ; 15 janvier 1850.
L’APMEP ne sert pas à rien, sinon elle n’aurait pas tenu au moins un siècle.
Après
deux années de présidence, on se pose bien entendu de nombreuses questions, sur
l’action entreprise, sur les résultats que l’on a espéré obtenir, même modestes, sur
l’engagement dans lequel on souhaite aller pour les années à venir.
Depuis trois ou
quatre ans, il semble flotter comme un parfum de schizophrénie dans l’Éducation
nationale. Les annonces et les volontés ministérielles ne correspondent plus du tout
avec la réalité du terrain. On peut même dire qu’elles sont souvent en parfaite
contradiction. Beaucoup de repères anciens sont malmenés : les horaires, jusqu’alors
nationaux, sont dorénavant distribués et ventilés globalement au sein des
établissements scolaires, transformant petit à petit les lycées français en Grammar
Schools à plusieurs vitesses. L’évaluation des élèves se transforme et modifie
profondément les activités pédagogiques, constitutives des cours en classe. De
nouvelles missions pour les enseignants apparaissent, comme l’accompagnement
personnalisé à l’école primaire et au lycée (absent du collège), sans explicitation
précise de leurs rôles ni formation pour les accomplir pleinement. Les professeurs de
mathématiques, comme l’ensemble des enseignants, subissent plus qu’ils ne
choisissent ces transformations. Faute de formation ou de temps, ils ne s’approprient
pas ces modifications et le sentiment que l’éducation « nationale » perd le sens de
l’adjectif qui la caractérisait jusque là, se fait de plus en plus fortement sentir.
À
l’APMEP, nous mesurons et rendons compte de ce malaise général et cela donne à
notre association une excellente raison (s’il en était besoin d’une seule) d’exister.
Ainsi, se poser les bonnes questions, centraliser les difficultés, faire apparaitre les
besoins et proposer des solutions constituent une première réussite collégiale. Se
faire entendre et pratiquer du lobbying est plus difficile pour nous. Dans les grands
dossiers présentés ci-après et dans lesquels l’APMEP s’est engagée, il faut pourtant
essayer de réaliser les deux.
Les nouveaux programmes
L’élaboration des nouveaux programmes français est un signe de
dysfonctionnement évident de notre ministère. Élaborés maintenant depuis plusieurs
années par un Groupe d’experts, leur conception ne peut être satisfaisante dans un
fonctionnement de ce type. Ce ne sont pas les experts qui sont en cause, mais bel et
bien les modalités de conception des programmes par un groupe dont la désignation
est trop sujette au contexte politique du moment. Lorsqu’on établit un programme
pour la classe de Seconde, sans avoir de vision pour les classes suivantes, lorsqu’on
réfléchit à un programme pour la classe de Première sans penser en terme de cycle
complet, on ne peut que donner le sentiment de ne pas fonctionner comme il faudrait
et donc de générer des oppositions qui vont au-delà des seuls contenus. Depuis les
nouveaux programmes de sixième, les groupes d’experts n’ont pas été les mêmes,
instaurant quelques incohérences dans la continuité des contenus.
L’élaboration des
programmes que nous demandons, par une commission permanente de réflexion,
aurait pour avantage de permettre cette cohérence, d’appréhender les éléments
essentiels de ce que pourrait être une formation en mathématiques depuis l’école
primaire jusqu’au lycée et de concentrer les réflexions sur les contenus et les
méthodes pour les appliquer, en dehors de tout contexte politique.
Et que dire de la consultation individuelle mise en place depuis quelques
années ? La méthode « démocratie individuelle » est-elle pertinente ? Peut-on
réellement imaginer qu’une consultation à grande échelle puisse être représentative
de quelque chose ?
Nous allons bien entendu nous exprimer sur les nouveaux
programmes du cycle terminal. Notre analyse se fera sur un plan scientifique et non
justement politique.
Par exemple, dire que le programme nous paraît cohérent, dans
les thèmes qu’il présente, ne signifie pas l’acceptation de l’horaire de la classe de
Première S. Il est très important que nous puissions faire la part des choses.
La partie
de probabilités depuis la classe de Seconde jusqu’à la Terminale présente des notions
cohérentes (l’apparition de la loi normale permet enfin d’expliquer les notions
précédentes). Maintenant, il nous faut convaincre également les autorités que cette
partie du programme ne pourra être enseignée d’une manière satisfaisante qu’avec
une formation des professeurs digne de ce nom.
Si la conception des programmes ne nous satisfait pas, nous pouvons exprimer un espoir à la création d’une commission de suivi des nouveaux programmes. Le Directeur général de la DGESCO semble l’avoir acceptée même si nous attendons toujours une confirmation officielle et un début d’organisation qui ne devrait pas tarder si l’on veut voir quelque chose émerger à la rentrée 2011. Cette commission pourrait travailler à des ajustements et permettrait de confronter les documents d’accompagnement aux pratiques des collègues. Nous ne pouvons pas imaginer que l’acceptation concernant cette commission ne soit qu’un effet d’annonce...
La formation continue
On se souvient qu’au début de l’année scolaire 2009, le Ministère affichait
comme l’un de ses projets phares, la réforme de la formation continue. Que se passe-t-il depuis ? Plus de la moitié des académies voient leur formation du Plan
académique réduite, voire quasiment supprimée pour cette année scolaire (un
document très clair réalisé par le Comité scientifique des IREM est consultable ).
Les réunions préparatoires au PAF de l’année scolaire
suivante, qui se tenaient jusqu’alors en janvier ou février, n’ont pas été convoquées.
Dans certaines académies, seuls des stages avec ordre de missions sans frais seront
prévus à partir de la rentrée prochaine. L’État ne permet plus à ses employés
d’accéder à une formation continue à laquelle il a pourtant droit. Un projet d’Institut
National de Formation Continue a été présenté au Colloque de l’Académie des
sciences d’avril 2010. Il a été soutenu et largement porté par l’APMEP également. La
formation continue doit rester une prérogative nationale et garantir à tous les
enseignants les mêmes droits et possibilités d’accès. La mise en place d’un cadre
institutionnel est donc une priorité que le Ministère doit rétablir, en attribuant à la
formation continue des moyens bien supérieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui.
La place
des IREM dans ce cadre doit être renforcée, même si le projet de « maisons
régionales des sciences » présenté par l’Académie des Sciences et inspiré très
directement de l’expérience « La main à la pâte », permet d’envisager des ouvertures
intéressantes à une formation continue scientifique dans chaque académie.
Cependant, la formation scientifique ne doit pas se limiter aux sciences
expérimentales et les maisons des sciences n’auront d’avenir que dans une
collaboration étroite avec les IREM.
Rappelons dans tous les cas, nos propositions pour une formation continue qui, quels que soient ses modes de déroulement, puisse être valorisante et diplomante pour les enseignants qui font l’effort de la suivre.
La formation initiale
Que vont devenir le CAPES et l’Agrégation ? La question n’est pas si ridicule si
on la pose à la lumière du quotient postes/admissibles en 2011, rapport proche de un
pour le CAPES de mathématiques. Les effets prévus d’une mastérisation dénoncée
sont là.
Un rapport intéressant à lire, intitulé « Masterisation de la formation initiale
des enseignants, rapport d’étape » écrit par Jean-Michel Jolion présente une situation
critique qui doit être absolument revue. En particulier, la place du concours n’est pas
satisfaisante, comme nous l’avions également souligné. De plus, la situation sociale
des étudiants qui doivent travailler l’été et voient l’allongement de leur scolarité
d’une année scolaire peser sur leurs conditions d’études, relance la question du pré
recrutement en fin de licence ou en début de Master 1 que nous avons toujours mis
en avant, sans pour autant renoncer à un niveau de recrutement des enseignants
calculé à bac plus cinq.
La situation des professeurs stagiaires reçus aux concours n’est guère enviable.
Notre enquête en ligne permettra sûrement d’établir les situations réelles des
stagiaires, des tuteurs et des formateurs que semble ne pas vouloir voir le Ministère
(lire le dossier Troisième trimestre en ligne ). Là
encore, les professeurs de mathématiques que nous sommes ne peuvent se satisfaire
d’une entrée dans le métier qui néglige la formation professionnelle.
L’école primaire et le collège
L’avenir de l’école primaire et du collège est posé. Dans son rapport publié en
octobre 2010, le Haut Conseil à l’Éducation (HCE) préconise une transformation
impulsée par la loi de 2005 relative au socle commun :
Un objectif clair qui s’impose à tous a été fixé à notre système éducatif par la
loi du 23 avril 2005 : garantir à tous les élèves la maîtrise du « socle commun
de connaissances et de compétences » à la fin de la scolarité obligatoire. Pour
atteindre cet objectif, il est nécessaire de passer du « collège unique » à
l’« École du socle commun ».
Le remplacement du terme « Collège » par « École du socle » n’est pas qu’une
question sémantique. Il s’agit bien d’une transformation profonde du collège qui se
dessine. Doit-on aller vers un collège qui ressemble à ce qu’étaient les écoles
primaires supérieures et les cours complémentaires ? C’est-à-dire, vers une structure
qui mène tout le monde jusqu’à un certain niveau, rendu obligatoire par la loi, mais
qui ne dit rien sur les modalités de poursuites d’études au lycée ? Ou doit-on réaliser
un collège qui permette une entrée aux lycées (général et technologique d’une part,
professionnel d’autre part) pour la totalité des élèves ayant acquis le socle ?
L’école
du socle commun sous-entend des modalités d’enseignement plus proches de celles
de l’école primaire, avec des enseignants davantage bivalents, voire multivalents. Le
socle et son obtention obligatoire, son évaluation par compétence qui s’ajoute à
l’évaluation chiffrée traditionnelle, posent également la question du maintien du
Brevet national. Que penser d’un établissement qui affiche 50% de réussite au socle
commun et 80% de réussite au brevet ? Ou l’inverse ? Ces questions auront sûrement
une place centrale dans les mois à venir et nous aurons à nous prononcer sans tarder
mais aussi précisément que possible.
Le lycée
La réforme du lycée est maintenant en place. Les premiers effets néfastes que
nous avions dénoncés commencent à apparaître dans les distributions horaires
réalisées en classe de Seconde. Notre enquête a montré les disparités importantes qui
se font jour entre établissements qui proposent quatre heures de mathématiques pour
certains, cinq heures pour d’autres, ainsi que des organisations de
l’Accompagnement personnalisé très disparates.
Cette réforme est mauvaise, et nous
ne cesserons pas de le répéter. Cette réforme est injuste pour les élèves et elle est
dangereuse pour la formation scientifique générale en France. Le cycle terminal doit
être à nouveau équilibré pour que la spécialisation ne soit pas trop brutale entre la
classe de Première et celle de Terminale.
La lecture des nouveaux programmes fait
craindre le pire sur les difficultés que vont rencontrer les élèves pour « ingurgiter »
et s’approprier les nouvelles notions durant l’année de préparation du baccalauréat.
L’accès à l’enseignement supérieur se fera dans des conditions beaucoup plus
difficiles pour des élèves, dont l’écart entre les résultats des plus faibles et des
meilleurs n’a cessé de se creuser, comme l’a montré l’enquête Pisa réalisée auprès
d’élèves de quinze ans. Cet écart sera renforcé dans une classe terminale qui ne
laissera pas le temps aux plus faibles de combler leurs lacunes.
Tous ces thèmes évoqués présentent certainement un plan d’action pour l’APMEP pour les mois à venir. L’enseignement français s’est construit sur un idéal de gratuité, de liberté d’accès, garantie à tous les enfants, quelles que soient leurs situations, géographique, sociale ou intellectuelle. Il est devenu grandiose parce qu’il a permis, en un siècle et demi à un plus grand nombre d’individus, un accès à un niveau de plus en plus élevé. Mais la schizophrénie est une pathologie grave qui peut nuire durablement. Il nous appartient d’y porter remède au plus vite.
[1] Voir ici