Bulletin Vert n°518
mars — avril 2016

Éditorial du Bulletin 518

mathématiques et sens critique

L’année 2015 a mis la question de la laïcité en pleine lumière. Le ministère demande aux enseignants d’avoir une attitude volontariste pour combattre des dérives idéologiques qui ont conduit de nombreux jeunes à rejoindre Daech.

Dans le même temps, réforme après réforme, programme après programme, on entend de toutes parts que la culture, indispensable à la formation du sens critique, disparaît de l’école, laissant la porte ouverte à la construction d’individus consommateurs, dociles et malléables.

Dans un article récent que j’ai trouvé sur Internet, il était signalé que Daech recrutait de plus en plus d’ingénieurs et d’informaticiens. Les candidats, venant de France ou d’ailleurs, étaient nombreux. La géométrie n’est-elle donc pas un rempart contre le totalitarisme ?

Dans son livre sur les origines de la Géométrie, Michel Serre affirme que l’humanité n’a jamais reculé en « mathématicité ». Les savoirs mathématiques progressent sous n’importe quel régime. Comme le montre Enigma ou les V2, la science s’est bien accommodé du nazisme. Les américains et les russes ne s’y sont pas trompés en « blanchissant » des savants allemands pour les utiliser à leur profit. Les mathématiques russes n’ont pas disparu avec le stalinisme.

Comment ne pas être d’accord avec Alain Badiou dans son livre « Éloge des mathématiques », quand il dit que les mathématiques « devraient faire partie intégrante de notre culture générale ». Pourtant, je ne suis pas aussi sûr que lui qu’« un exercice soutenu et permanent de ce qu’est une rationalité discursive véritable déjouerait ou affaiblirait le fait d’être exposé à des rhétoriques captatrices sans contenu véritable ». Je n’ai d’ailleurs pas le sentiment que la philosophie ou l’histoire nous protègent beaucoup mieux de ces « rhétoriques captatrices ».

La géométrie est souvent présentée comme la voie royale à l’acquisition de l’esprit du raisonnement, ce qui la rapprocherait de la philosophie. Mais, elle est aussi une tour où l’on peut se retrancher dans une « béatitude intellectuelle », tellement éloignée des bruits du monde qu’elle ne protège en rien contre le déferlement de l’idéologie. Une collègue me disait un jour que les mathématiques sont un monde de bisounours. Elle critiquait d’ailleurs la montée en puissance des statistiques qui imposaient au prof de maths de sortir de cet espace sans conflit. C’est sans doute pour cela que j’aime les probabilités : elles offrent le moyen de déjouer l’intuition (le hasard n’est pas le chaos, il y a des certitudes du hasard, pour reprendre le titre du beau livre d’Arthur Engel), elles placent la rigueur au coeur de la construction du doute légitime, elles s’accordent de vérités plurielles et elles les revendiquent (la notion de modèle est au centre de l’activité probabiliste)…

Pour que les mathématiques puissent jouer un rôle dans la construction d’un sens critique permettant de mieux combattre les « rhétoriques captatrices », il faut sans aucun doute que dans leur enseignement, elles s’ouvrent plus au monde. L’interdisciplinarité est une voie importante pour mettre en pratique les conditions de cette ouverture.

L’histoire des mathématiques et plus largement l’épistémologie sont aussi des éléments essentiels. Serait-il choquant d’évaluer des connaissances sur ces thèmes à des examens nationaux ?

Je terminerai par deux phrases extraites de la conclusion du livre d’Alain Badiou.

D’abord un constat :
« Je pense que le mode sur lequel fonctionnent les mathématiques dans le corps général de l’enseignement n’est pas ce qu’il devrait être, et n’a peut-être jamais été exactement ce qu’il pourrait être. La raison en est la suivante : lorsqu’on enseigne les mathématiques, il faut d’abord parvenir à créer la conviction que c’est intéressant. »

Puis une piste :
« Il faudrait absolument que la pédagogie soit centrée sur cet objectif : faire naître chez les enfants, les adolescents, et finalement chez tout le monde, le sentiment que ce qui est extraordinaire en mathématiques, c’est que, de façon parfois surprenante et imprévue, on résout des énigmes dont l’énoncé est tout à fait clair et précis, mais qui cependant sont de vraies énigmes. À cet égard, il ne faut pas hésiter à entrer dans l’univers du jeu ; parce que, après tout, résoudre un problème est aussi une donnée du jeu. »

Tout un programme et nous ne serons jamais trop nombreux pour nous y atteler.

 

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