Bulletin Vert no 463
mars — avril 2006

Editorial du bulletin 463 Les mathématiques sont-elles une science ?

Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre.

 

L’enseignement des mathématiques est constamment remis en question. Je me suis d’ailleurs exprimé plusieurs fois ici sur ce sujet. Il me semble cependant qu’il n’est pas inutile d’y revenir.

  • Les mathématiques sont elles une science ? Claude ALLEGRE pense le contraire. Dans son dernier ouvrage : Dictionnaire amoureux de la science [1], il leur refuse, sans rire, ce statut. Pour lui, « il ne faut pas confondre enseignement des sciences et l’enseignement des mathématiques » et« les mathématiques pures devraient relever de l’Académie des inscriptions et belles lettres ! Ou mieux, de celle des beaux-arts, à côté de la musique comme les considéraient déjà les Grecs ». Un petit rappel étymologique semble donc ici nécessaire à la culture de Monsieur ALLEGRE : Le mot grec «  mathêma » était utilisé par les grecs pour signifier à la fois la connaissance et la science. L’étude de la musique a longtemps fait partie des mathématiques et non le contraire. Pierre Bergé [2] pense, quant à lui, que « [...] la Physique, influencée peut-être par son alliée indispensable (et actuellement dominatrice), les Mathématiques, [...] a progressivement et insidieusement formalisé son enseignement. La démarche, les raisonnements, sont souvent déductifs et dogmatiques et la démonstration théorique est, plus que l’expérience, retenue comme preuve suffisante. » et c’est une des raisons pour laquelle « la Physique perd son âme, son intérêt et son attrait auprès des jeunes ».

Ainsi, le caractère déductif des mathématiques, utilisé en physique, serait la cause de tous les maux. S’il y a désaffection pour les études scientifiques, c’est la faute aux raisonnements déductifs et dogmatiques des mathématiques qui corrompent les autres sciences et la jeunesse. Galilée doit se retourner dans sa tombe, lui, pour qui, « l’univers ... est écrit dans la langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot [3].

  • Le raisonnement inductif serait-il donc supérieur au raisonnement déductif ? Le soleil se lève le matin à l’est, décrit un arc de cercle dans le ciel pour se coucher le soir à l’ouest, et ceci depuis la nuit des temps. Cette expérience est reproductible. Un raisonnement inductif nous pousse donc à en conclure que le soleil tourne autour de la terre. Un raisonnement déductif et dogmatique arriva à la conclusion contraire ! Mais il est vrai que ce ne fut pas une preuve suffisante pour le Vatican ! Plus sérieusement, l’induction est nécessaire pour conjecturer, mais la déduction est, elle, indispensable pour produire, grâce à ces conjectures, des théories de plus en plus proches de la réalité. Les opposer me paraît une attitude dangereuse pour les sciences.
  • Les mathématiques sont-elles dominatrices ? Il y a quelques semaines, l’APMEP fut reçue par la commission de l’Assemblée Nationale chargée de l’étude des sciences dans le primaire et le secondaire. Le président de cette commission était toujours persuadé que la série S est sélective du fait du caractère trop discriminant des mathématiques. Il est indéniable que les séries S sont des classes d’élite, mais, l’APMEP, tout en dénonçant vigoureusement et constamment cet état de fait, dit depuis très longtemps que les mathématiques n’en sont pas la cause. L’accumulation et les exigences des autres matières non scientifiques, ajoutées à l’inadéquation programme-horaires dans notre matière, font qu’un élève moyen, mais ayant des aptitudes en sciences, ne peut réussir dans ces séries. Apparemment ce système semble convenir à certaines associations de professeurs de lettres [4], qui, dans une pétition, demandent plus d’heures de philosophie et d’histoire-géographie dans les séries S. Ne feraient-elles pas mieux de défendre la série L ? Ce qu’à d’ailleurs fait l’APMEP en demandant et obtenant le rétablissement de l’option obligatoire de mathématiques.

Rappelons que ce système a été mis en place en 1995 par Monsieur ALLEGRE. Une étude [5] montre qu’avant 1995, le taux d’accès d’une classe d’âge au baccalauréat scientifique était en constante progression et que cette tendance s’inversa aussitôt la mise en place de la réforme de 1995. La courbe concernant la série L est encore plus représentative de cet état de fait. Il faut dire que les mathématiques avaient été supprimée.

  • L’APMEP est-elle une « association corporatiste, défendant son pré-carré » ? Bien que cela ne soit pas scandaleux en soi, puisque l’APMEP a été créée pour défendre les professeurs de mathématiques et l’enseignement de cette matière, il ne me semble pas que cela soit le cas. Notre réflexion s’est toujours inscrite dans un cadre pédagogique beaucoup plus large. J’en veux pour preuve et comme exemple l’une des revendications principales de l’APMEP : la demande de la création officielle de l’option sciences .
    Initiative de l’APMEP, option pluridisciplinaire soutenue par le collectif ActionSciences, cette option fonctionne dans de nombreuses académies pour le plus grand plaisir des élèves et des professeurs de mathématiques, de physiques et de SVT volontaires enthousiastes pour cette expérience. Alors que l’officialisation de cette option semblait être bien partie, certaines voix s’élèvent pour la critiquer très violemment, d’autres n’en parlent plus pour ne pas avoir à la défendre. Serait-on jaloux de son succès ? On veut nous faire croire que cette option va recréer la seconde C. Ne soyez pas hypocrites, mesdames et messieurs les censeurs : un élève qui veut une seconde d’élite n’a qu’à choisir comme option de « détermination » une langue rare, l’option théâtre. Le choix ne manque pas. Nous n’exposerons pas ici les motivations et les bienfaits de l’option sciences. On trouvera tout cela sur le site de l’APMEP. Cependant, « si ces personnes et ceux qui les relaient avaient tant soit peu mis les pieds dans une classe d’option Sciences », ils auraient sûrement bien vite compris l’intérêt de cette expérience.
  • Les sciences ont besoin de mathématiques. Imagine-t-on une personne pratiquant depuis peu l’escalade en salle partir à l’assaut de l’Himalaya ? Non et cela paraît évident pour tout le monde qu’elle n’aura pas les bases et l’entraînement nécessaires à l’escalade de ce sommet. Alors pourquoi envoyer dans l’enseignement supérieur scientifique des élèves n’ayant pas le bagage mathématique nécessaire ? Toutes les associations et sociétés savantes du collectif ActionSciences reconnaissent que le manque de culture mathématique de leurs élèves est la cause principale de l’échec de la plupart de leurs étudiants. Au lieu donc de vouloir écarter du domaine scientifique les mathématiques, faisons en sorte, tous ensemble, que les horaires de mathématiques redeviennent conséquent en lycée ou à tout le moins qu’il y ait adéquation programme-horaires en mathématiques et que les séries S redeviennent de vraies séries scientifiques.

L’APMEP n’est pas et n’a jamais été contre les autres sciences. Mathématiciens, naturalistes et physiciens [6] travaillons ensemble et ceci dans l’intérêt même des élèves.

Et, messieurs les experts, arrêtez d’opposer les matières scientifiques entre elles, arrêtez de dévaloriser les mathématiques, arrêtez de défendre votre pré-carré. Je vous en prie dans l’intérêt des élèves.

 

Notes

[1Dictionnaire amoureux de la science, article (le seul) sur les mathématiques, 2005.

[2Pierre Bergé, professeur à l’université de Paris 11, a été président du GTD de Physique-chimie lors de sa création en 1990.

[3L’essayeur, Galilée, 1610 »

[4cnarela :

[5Voir le site d’ActionSciences :

[6Par ordre alphabétique !

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