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La meilleure et la pire des erreurs de Poincaré.

La meilleure et la pire des erreurs de Poincaré

 

Extrait du compte-rendu de la conférence d’ouverture des Journées de
Metz prononcée par Cédric Villani, rédigé par Catherine Combelles

 

Une
question que l’on pose souvent à un mathématicien est : « A quoi
servent les mathématiques ? ». Il y a deux réponses possibles :

Ou
bien vous expliquez que les mathématiques sont utiles à décrire le monde, à
comprendre le monde, à agir sur le monde : sans mathématiques, pas
d’ordinateur, pas de GPS, pas de prévision météorologique, pas de transport en
commun. Mais on vous rétorquera aussitôt : « Non, l’important, c’est
que les mathématiques sont belles, et élèvent l’esprit ».

Ou
bien, vous expliquez que les mathématiques sont une activité culturelle proche
de l’art, mais il y aura alors toujours quelqu’un pour répondre : « non,
l’important, c’est que les mathématiques sont utiles, et que sans
mathématiques, il n’y aurait rien… » .

Les
mathématiques, c’est donc tout cela à la fois, et ce n’est pas si facile à
faire sentir. Une façon d’expliquer ce que sont les mathématiques, aux jeunes
en particulier, c’est de se placer sur un plan historique, comme je vais le
faire aujourd’hui.

Je
voudrais vous montrer, en parlant d’un mathématicien en particulier, les
différentes facettes des sciences mathématiques. Ce mathématicien, ce sera
Henri Poincaré, en cette année centenaire de sa mort, d’autant que moi qui
dirige l’Institut Henri Poincaré, j’ai pour lui une affection particulière.

Poincaré
connaissait toutes les branches de la mathématique et les faisait avancer, il
connaissait toutes les branches de la physique et a enseigné à la Sorbonne
toute la physique de son temps, il était ingénieur, il est considéré dans
beaucoup de pays comme un des philosophes des sciences les plus importants du
vingtième siècle, il était membre à la fois de l’Académie des Sciences et de
l’Académie française, bref, c’était un homme universel. Mais je vais éviter de
me lancer dans un panégyrique et vais en parler de façon un peu impertinente en
insistant sur ses erreurs, qui vont se révéler très intéressantes.

Poincaré
a réfléchi à la sociologie du métier de mathématicien. Il a essayé de faire
partager au grand public ce qu’est la recherche en mathématique à travers des
ouvrages qui ont eu un grand succès. C’est un de ceux qui ont le plus pensé à
la pensée. « La pensée n’est qu’un éclair au milieu d’une longue nuit.
Mais c’est cet éclair qui est tout. 
 » a-t-il écrit pour conclure la
Valeur de la Science
. Parlons avec lui de la pensée.

Commençons
par une biographie sommaire de Jules Henri Poincaré : né en 1854 à Nancy,
il connaît dans sa jeunesse l’occupation allemande de 1870. Il en gardera un
traumatisme toute sa vie, mais aussi une familiarité avec la langue et la
culture allemande. Et, sa vie durant, il sera en compétition ou en
collaboration avec des mathématiciens allemands, la France et l’Allemagne étant
à cette époque les deux pays les plus en pointe en mathématiques.

 En
1873, Poincaré entre à l’Ecole Polytechnique puis à l’Ecole des Mines et il en
sort six ans plus tard avec le titre d’ingénieur des Mines. Il est aussi
docteur, et toute sa vie, il va garder la double casquette d’universitaire et
d’ingénieur, alors même que c’était interdit. Il devient d’abord assistant
professeur à Caen, et deux ans plus tard, grande année dans sa vie, il devient
professeur à la Sorbonne, il se marie, et il obtient les premiers grands
résultats qui le font connaître sur le plan international. En 1887, il se fait
connaître aussi du grand public, en obtenant le prix du roi Oscar II de Suède,
dont nous allons reparler. Poincaré sera si connu qu’on a pu écrire un livre,
publié à l’été 2012, à partir seulement de ce qui s’est dit de lui dans les journaux.

 Il
se retrouve mêlé à un débat public houleux en 1899 puis en 1904 quand il
devient expert au procès de Alfred Dreyfus : c’est lui qui est envoyé par
ses collègues pour démonter les arguments pseudo-mathématiques qui avaient été
utilisés pour accabler Dreyfus : un célèbre spécialiste de criminologie
tentait de convaincre le jury que Dreyfus avait plagié sa propre écriture. Il
se basait sur un savant calcul de probabilité mais Poincaré montra que ses
prétendus arguments mathématiques n’avaient aucune valeur.

A
partir de 1901, ce sont ses ouvrages qui le rendent célèbre auprès du grand
public : il y parle de science en des termes simples et profonds, accessibles
à tous. Ce sont la Science et l’Hypothèse en 1902, la Valeur de la
Science
, en 1905, et Science et Méthode, en 1908.

En
1910, un médecin, le docteur Toulouse, qui enquête sur « la supériorité
intellectuelle », l’examine et lui fait subir de nombreux tests, sans trouver
rien de particulier : il semble bien que l’inventivité humaine soit insaisissable !

Poincaré
meurt en 1912.

Si
on examine une carte des lieux où Poincaré a vécu, on constate que ce n’est pas
un grand voyageur. Il n’est pas très sportif, il n’est pas très mince, il est
plutôt myope ; politiquement, il est un conservateur prudent, rien qui
fasse rêver a priori ! Et pourtant, Poincaré fait rêver ses
contemporains : pour la seule puissance de son cerveau, il est connu de
tous, c’est un héros national et sa mort fait les gros titres des journaux
 : « la France a perdu son plus grand savant ».

De
nos jours, on entend souvent confondre Henri Poincaré avec son cousin Raymond,
qui lui, ne fut que président de la République. Les historiens ne sont pas tous
d’accord sur le rôle de Raymond Poincaré dans le déclenchement de la première
guerre mondiale : a-t-il été un modérateur ou au contraire a-t-il attisé
le feu entre la France et l’Allemagne ? Dépassé par les événements, il dut
finalement appeler au pouvoir son pire ennemi, Georges Clemenceau. Voici,
raconte-t-on, ce que disait de lui Clemenceau, citation peut-être apocryphe,
mais bien dans le style du personnage : « Dans la famille Poincaré il y avait
beaucoup d’intelligence mais c’est Henri qui a tout pris ».

Cent
ans après sa mort, qu’évoque pour nous le nom de Poincaré ?

Tout
d’abord, l’Institut qui porte son nom : l’institut Henri Poincaré a été
fondé peu après la première guerre mondiale. La science française était en
ruine, et, en cette période de reconstruction, il fallait fonder des institutions
qui rassemblent les gens, qui permettent de relancer les échanges et de faire
revenir les scientifiques de l’étranger. La solution trouvée pour les
mathématiques, solution intelligente, fut de construire une maison qui
servirait de plaque tournante pour des échanges internationaux. Einstein en fut
le premier invité de marque et y donna une série de cours, et après lui tous
les grands noms de la physique théorique et des mathématiques de l’époque s’y
sont succédé, pour donner des cours, discuter, échanger.

L’Institut
Henri Poincaré est passé par la suite par des hauts et des bas. Il a été
pendant des décennies le centre où étaient formés les mathématiciens à Paris,
il a été abandonné quand l’université de Paris a éclaté après mai 68 puis
a été réinvesti par les mathématiciens au début des années 90 et aujourd’hui,
il est à nouveau actif. J’en suis le directeur depuis un peu plus de trois ans,
le quatrième directeur depuis sa refondation. Il fonctionne selon les mêmes
principes qu’à sa fondation, principes un peu radicalisés en prenant exemple
sur un institut américain du même genre, le Mathematical Sciences Research
Institute de Berkeley : il n’y a pas de chercheurs permanents à l’Institut
Henri Poincaré, mais seulement des chercheurs invités. Il y en a plusieurs
centaines par an, de l’ordre de 500, venus de tous les continents et de toutes
sensibilités mathématiques. Ils y passent des périodes d’une semaine à trois
mois, pour des trimestres thématiques, pour des conférences ou pour des
colloques, pour discuter de thèmes d’intérêts communs, avec l’idée que si l’on
met les gens ensemble, il en sort forcément de bonnes idées. L’Institut a été
financé au départ par du mécénat principalement américain, à l’aide de fonds
Rockefeller, couplé à des fonds Rothschild français. On y a célébré en 2011 le
bicentenaire de la naissance d’Évariste Galois, l’autre grand monstre sacré
des mathématiques françaises.

Henri
Poincaré est aussi le nom d’un prix, attribué tous les trois ans au congrès
international de physique mathématique. Ce prix, certainement le plus
prestigieux donné en physique mathématique, est attribué aussi bien à des
seniors confirmés quasiment légendaires qu’à des juniors extrêmement
prometteurs déjà internationalement renommés, avec l’idée que Poincaré, avec sa
double casquette de mathématicien et de physicien théoricien, était le
personnage idéal pour donner son nom à un prix de physique mathématique. En
2012, il a été attribué à Freeman Dyson et Barry Simon et, pour la première
fois, à des femmes : Nalini Anantharaman et
Sylvia Serfaty .

Henri
Poincaré est le symbole du savant, le sourcil en broussaille, qui se met à
griffonner sur la nappe du restaurant quand il a une inspiration soudaine.

Sa
perspicacité lui permet de résoudre toutes sortes de problèmes : il a
inspiré un roman policier sorti cet été en anglais qui devrait prochainement
être traduit en français, « All cry chaos » par Leonard Rosen,
histoire policière un peu délirante où le détective est un descendant de Henri
Poincaré dont les facultés extraordinaires permettent de résoudre l’affaire.

Poincaré
a aussi donné son nom à une conjecture célèbre : c’est un énoncé de topologie
vieux d’un siècle, sur la forme de tous les univers à trois dimensions bornés
possibles. Elle a fait la une des journaux lorsque Grigori Perelman l’a
démontrée il y a quelques années. Classée comme la découverte scientifique la
plus importante de l’année, ce qui est rarissime en mathématiques, elle reste
la découverte mathématique la plus importante du 21e siècle. Nous
avons célébré cet événement à l’institut Henri Poincaré, en lien avec le Clay
Mathematical Institute en juin 2010, et on y a vu Étienne Ghys, lors d’une
conférence grand public, montrer comment élever Henri Poincaré au
carré dans le plan complexe !

" 

Les maths ne sont qu’une histoire de groupes" (Poincaré 1881) : conférence d’Etienne Ghys, le 7 juin 2010

Gondard (2010), bronze,
410 x 500 mm, plaque d’entrée de l’IHP

Une
plaque à l’entrée de l’Institut Poincaré montre le grand homme, le regard
illuminé. Son portrait est entouré des symboles de ses découvertes les plus
célèbres : une représentation de la sphère de dimension trois ; une
représentation du flot de Ricci qui permit à Perelman de démontrer la
conjecture de Poincaré ; une représentation de l’attracteur de Lorenz,
symbole du chaos ; trois sphères qui évoquent le problème des trois
corps ; des variations chaotiques des excentricités des planètes du
système solaire ; une représentation graphique de ce qu’on appelle les
fonctions fuchsiennes , et quelques autres, une représentation de fluides,
car Poincaré s’intéressait beaucoup aux problèmes mathématiques liés aux
fluides. L’artiste facétieux a mis des points carrés sur les i !

(..........)

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