Bulletin Vert n°468
janvier — février 2007

Requiem pour le socle

Socle (du latin socculus, issu de soccus ; chaussure, socque).
base sur laquelle repose un édifice, plate-forme, soubassement.

Le socle, idée fondamentale ?

L’idée du « socle » est issue du rapport Thélot, rappelez-vous, ce rapport de synthèse rédigé à l’issue du « Grand débat sur l’école » de décembre 2003 : une plutôt bonne idée de départ, quoiqu’un peu abstraite.

Le socle commun de connaissances et de compétences (le socle, tout court, pour les intimes) serait l’ensemble des compétences que doit posséder tout petit français « au sortir de la scolarité obligatoire, faute de quoi il se retrouvera handicapé dans son quotidien de citoyen », le viatique pour vivre socialement, être relié au monde, le comprendre suffisamment pour être capable d’agir à l’intérieur.

Définir précisément ce minimum nécessaire est une tâche difficile, mais dont on conçoit l’intérêt pour clarifier la mission de l’école obligatoire. L’explicitation de ce socle de connaissances et de compétences lutterait sans nul doute contre cette pénible impression de naviguer à vue, en louvoyant tant bien que mal entre des écueils contraires, qu’ont souvent les enseignants de collège.

Les difficultés induites

Supposons avec optimisme qu’on soit capable de définir le socle, pris dans cette acception de minimum vital nécessaire à tout citoyen.

Les problèmes ne font alors que commencer. Dans l’ordre :

  • Comment s’y prendre pour faire acquérir toutes ces connaissances et capacités à tous les élèves (sauf une frange extrêmement minime) ? S’il s’agit d’un minimum indispensable, on ne peut pas se contenter d’un 10 sur 20, de l’acquis « à moitié » qui est notre exigence quotidienne.
  • Et en parallèle, comment concilier l’objectif de l’acquisition du socle pour tous avec l’idée importante que la plupart des élèves peuvent et doivent acquérir au collège BIEN PLUS que ce minimum vital.

On voit vite que cette idée amène à repenser en profondeur l’organisation de la scolarité obligatoire, en particulier au niveau du collège, où cette question de la différentiation des objectifs en fonction des individus se pose avec acuité.

Rêvons un peu

Ce serait le moment d’être vraiment créatif. Exit la notion de classe telle que nous la connaissons. Les élèves pourraient rester groupés par classe d’âge une partie du temps, consacrée à travailler les compétences contenues dans le « socle ». Mais une part importante du temps serait réservée à des parties modulaires où le critère de base ne serait plus la tranche d’âge, mais les compétences acquises. Un même élève pourrait ainsi fréquenter parallèlement « maths : niveau 1 » et « textes français : niveau 3 ». Par contre, un élève ne pourrait pas être en « maths : niveau 2 » en n’ayant pas acquis les compétences du niveau 1, contrairement à ce qui se produit actuellement. Dans cet enseignement modulaire serait prévu un renforcement du travail autour des connaissances de base (celles du socle), destiné à ceux pour qui cela s’avèrerait nécessaire.

Imaginer des bouleversements de cette ampleur est une chose. Les mettre en place en est une autre. Le socle est bien une idée qui peut mener très loin. C’est sans doute pour cela que c’est une bonne idée.

Le décret

J’en étais là de mes pensives réflexions quand fut rendu public le projet de décret, acte de naissance du socle ; ce projet a été approuvé par le HCE (Haut Conseil de l’Éducation) et est donc devenu décret. Mais que décrète donc ce décret ? Il s’attaque à la première partie du travail : définir le socle. Et ce de la façon la plus directe qui soit, puisqu’en substance le décret dit : le socle c’est ce qui est écrit dans l’annexe. Même si on a conscience que la définition du socle n’est qu’une petite partie du travail, ce n’est déjà pas une mince affaire ! C’est donc vibrante d’espoir que j’ai ouvert d’un clic la dite annexe.

Cela commence bien, trop bien même :
« La scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société. »

Ensuite viennent sept compétences : maîtrise de la langue française, pratique d’une langue étrangère, compétences de base en mathématiques et culture scientifique et technologique, maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication, culture humaniste, compétences sociales et civiques et autonomie et initiative, chacune déclinée en 3 volets : connaissances, capacités et attitudes.

L’exemple des mathématiques

Ne me sentant pas compétente dans les autres domaines, je me suis penchée sur la partie explicitant les connaissances, capacités et attitudes attendues en mathématiques.

À peu de choses près, en un peu moins détaillé, les connaissances sont les actuels programmes du collège, avec toute leur ambition, y compris dans les domaines où chacun sait qu’il y a une difficulté conceptuelle intrinsèque qu’une part importante d’élèves ne surmonte pas : le calcul littéral et le raisonnement déductif.

À cela s’ajoutent des capacités ambitieuses (démontrer, s’exprimer) et des attitudes respectables mais peu communes (rigueur, respect de la vérité rationnellement établie, goût de l’argumentation, …).

On trouve mentionnées, par exemple, les identités remarquables ou la résolution de l’équation du premier degré, alors qu’on peut craindre que bien peu des membres non mathématiciens du HCE, qui ont approuvé ce socle, soient en possession de ces connaissances. On ne voit pas pour quelle raison ces connaissances deviendraient nécessaires à tous !

Tout praticien de terrain sait que les contenus actuels des programmes ne sont acquis que par une petite partie des élèves. Il suffit de faire la douloureuse expérience de la correction des copies du brevet pour s’en convaincre. On ne voit pas par quel miracle ces programmes, rebaptisés socle, deviendraient accessibles à tous !

Triste conclusion

Certains se sont félicités qu’ait été évité le piège d’un socle au rabais ! Ben voyons, tant qu’il ne s’agit que de mots… Ce projet de socle est une magnifique littérature, mais ce n’est que de la littérature. Ce n’est pas cela, le socle. L’idée de départ est complètement détournée et vidée de tout sens. Notez que cela présente un avantage : cela évite de se pencher sur les questions d’organisation résultantes, puisque ce pseudo-socle ne modifie en rien l’existant.

Remarquez aussi que le législateur, prudent, se donne une obligation de moyens, pas une obligation de réussite. Il a raison. Quoique mettre des moyens sans aucun espoir de réussite, est-ce bien raisonnable ?

Nous voilà donc passés du socle, chaussure solide à semelle de bois, à la culture du haut talon pour tout un chacun. Caramba ! encore raté : la montagne a accouché d’un éléphant. Mais réjouissons-nous : l’immobilisme, bien pensé et bien écrit, c’est quand même plus présentable que l’immobilisme tout court.

  • Référence biblio
    MATHS pratiques, MATHS magiques d’Alexandre Bourjala
    collection librio Memo, éditeur : J’ai lu.

On ne saurait trop conseiller de relire dans la foulée l’article de Pierre Legrand « Faut-il vraiment un socle ? » paru dans le BV n° 462 p. 73. On constatera que les réflexions d’un acteur de longue date du système éducatif et le cri du cœur d’un professeur de terrain se rejoignent agréablement.

 

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