Annonces du ministre après PISA 2022 : une copie hors-sujet

une copie hors-sujet
par le Collectif Maths&Sciences

 
Communiqué du 21 décembre 2023
par le Collectif Maths&Sciences

 

Le 5 décembre 2023, simultanément à la publication du rapport PISA 2022, le ministre de l’Éducation nationale Gabriel ATTAL a présenté plusieurs mesures pour endiguer la baisse de niveau constatée.

Le Collectif Maths&Sciences présente dans cette note une analyse destinée à confronter les informations sur notre système éducatif données par PISA avec les annonces du ministre : consultez sur le site du collectif Maths&Sciences la note d’analyse complète et sourcée.

Elle met en évidence la déconnection entre les recommandations du rapport et les annonces du ministère qui risquent au contraire d’accroître les difficultés qu’elles prétendent combattre.

Cette analyse souligne la nécessité d’éviter les effets d’annonce et de renforcer l’appui sur les connaissances scientifiques nationales et internationales liées aux systèmes éducatifs. S’appuyant sur les résultats de PISA, nous proposons plusieurs axes concernant notamment le mode de gouvernance du système éducatif dans notre pays qui permettraient, peut-être, d’envisager des améliorations de notre système.

Une copie hors-sujet

Le texte ci-dessous reprend le communiqué du 21 décembre 2023 publié par le Collectif Maths&Sciences

 

PISA 2022 : les constats

Au niveau de l’ensemble des pays examinés, l’enquête PISA menée en 2022 [1] montre que les élèves ont perdu depuis 2018 un semestre en moyenne en compréhension de l’écrit et près d’une année en mathématiques. Ce phénomène, pour alarmant qu’il soit, peut être en partie attribué à la crise sanitaire du COVID 19. En France [2], malgré une forte baisse, les performances restent dans la moyenne de l’OCDE, comme les inégalités scolaires qui augmentent en sciences. La France reste un pays socialement très inégalitaire, notamment en mathématiques. Les élèves sont globalement satisfaits de l’école et montrent une bonne motivation malgré un climat de classe moins bon que dans la moyenne des pays de l’OCDE [3] et un faible soutien de la part des enseignants. À performance moyenne égale ou supérieure, le rapport pointe un coût par élève relativement modéré dans notre pays, légèrement au dessus de la moyenne. Il constate également une forte aggravation de la pénurie d’enseignants et une très faible autonomie des équipes éducatives.

Le rapport PISA constate [4] que dans les pays peu performants, l’État joue un rôle central dans l’élaboration des programmes d’études, le rôle des enseignants restant mineur, au contraire des systèmes très performants qui responsabilisent davantage les équipes éducatives. Les systèmes performants ont par ailleurs peu recours au regroupement par niveau entre les classes. Le rapport souligne que les classes favorisant une mixité socio-économique bénéficient à tous les élèves. Face à ces constats, il formule plusieurs recommandations : en finir avec les redoublements, éviter les sélections précoces et impliquer dans les politiques éducatives l’ensemble des parties prenantes de l’éducation en favorisant les approches ascendantes.

 

Les annonces du ministère de l’Éducation nationale

C’est dans ce contexte que le ministère de l’Éducation nationale a décrété « la mobilisation générale pour élever le niveau de notre École [5] » . Il annonce la mise en place de groupes de niveaux flexibles en mathématiques et en français, le retour des redoublements avec le dernier mot laissé aux professeurs, l’obligation de l’obtention du brevet pour passer en seconde et la création d’une "prépa-lycée" pour les élèves qui ne l’auront pas. Dans le premier degré, deviennent obligatoires des manuels labellisés, co-financés par l’État et des méthodes à employer pour les mathématiques, explicitées dans de nouveaux programmes. Au lycée général et technologique, sera créée une nouvelle épreuve de baccalauréat anticipée de culture mathématique et scientifique.

L’analyse de ces annonces au regard des préconisations du rapport PISA 2022 montre un décalage considérable entre les orientations du ministère et les connaissances apportées par le rapport.

 

Les groupes de niveau

Ainsi, l’instauration de groupes de niveau en mathématiques et en français ne figure pas parmi les points d’appuis cités par PISA, qui montre non seulement qu’aucun type de groupe de niveau n’a de lien significatif sur le niveau moyen, mais plus encore, que ces groupes de niveau sont liés à de plus grandes inégalités scolaires. Dans un contexte national déjà marqué par de fortes discriminations sociales, cette mesure risque d’accroître les inégalités sociales et le nombre d’élèves en difficultés .

 

Les redoublements

Par ailleurs, la volonté de recourir davantage au redoublement contredit explicitement les recommandations de PISA et va à contresens des tendances mondiales, à la baisse. Pourtant, le rapport apporte un regard particulièrement précis sur les indicateurs liés au redoublement, qui sont tous négatifs pour un coût élevé [6]. Le rôle d’autorité attribué au professeur va à l’encontre des bénéfices du renforcement du dialogue et de la participation des parents dans l’éducation de leurs enfants soulignés par le rapport PISA. Plutôt que d’encourager la coopération et le soutien mutuel, le redoublement imposé risque d’augmenter les tensions, les injustices sociales et le nombre d’élèves décrocheurs .

 

Les méthodes imposées

Dans le premier degré, l’obligation de manuels et de méthodes réduit la liberté pédagogique de l’enseignant, en phase avec les politiques des pays avec des faibles performances en mathématiques. Aucune étude probante n’établit la nécessité de changer de programme ni l’efficacité de la méthode présentée aux médias comme référence par le ministère. Celle-ci pose aussi la question d’un conflit d’intérêt [7]. Le rapport PISA signale le risque de rejet de mesures imposées sans l’adhésion des enseignants. Ce contrôle de l’État sur la pratique des enseignants va à l’encontre d’une valorisation de l’image et de la reconnaissance du métier .

 

Le baccalauréat en 1re

L’épreuve du baccalauréat anticipé de culture mathématique et scientifique impacte le lycée dont la structure réformée depuis 2018 reste massivement critiquée par l’ensemble de la communauté éducative. L’annonce ne permet pas d’identifier précisément les contenus visés [8] qui s’appuierait en 1e générale sur deux enseignements sans rapport : la spécialité Mathématiques et un enseignement scientifique général du tronc commun pour tous, jamais évalué malgré des carences tangibles [9]. Cette mesure ajoute donc de la confusion à un système déjà peu lisible. Alors que le rapport PISA souligne l’importance du dialogue et de l’appui sur les parties prenantes pour élaborer les réformes, elle ne répond pas aux besoins de changement de structure demandé par les acteurs de terrain. Le risque est l’accroissement des tensions sur le terrain et du stress pour les élèves et le désengagement des équipes pédagogiques .

 

Des mesures orthogonales à PISA

Globalement, les mesures annoncées ne correspondent pas aux recommandations du rapport PISA et vont souvent à leur encontre. Aucune ne permet d’envisager à priori d’amélioration significative des performances en mathématiques. Elles risquent d’accroître les inégalités scolaires et sociales et les tensions entre les parties prenantes, pour un coût important pour la société. Enfin, elles font l’impasse sur les difficultés majeures constatées à la suite des réformes du concours d’enseignants de 2020 et du lycée de 2018 qui ont divisé par deux les effectifs des candidats au concours d’enseignants en 2022 et les effectifs des élèves en parcours scientifique au lycée général depuis 2020.

 

Nos propositions

En s’appuyant sur les points d’éclairage et les recommandations de PISA 2022, il paraît urgent de faire évoluer les méthodes de gouvernance en favorisant une démarche plus ascendante pour réformer, en s’appuyant sur les acteurs de terrain, de la formation et de la recherche. De soutenir et d’accompagner les équipes pédagogiques dans leurs pratiques de classe pour améliorer la confiance et le dialogue entre toutes les parties : personnel administratif, médical et psycho-social, enseignants, parents et élèves. De faciliter la mise en place les initiatives locales, et d’assurer leur suivi et leur évaluation.

Enfin, il est indispensable de bâtir un plan solide et ambitieux pour renforcer la qualité de la formation et des recrutements, ancré sur les compétences et expertises des formateurs et des chercheurs en didactique et pédagogie.

 

Liste des structures signataires

  • ADIREM
    Association des Directeurs des Instituts de Recherche pour l’Enseignement des Mathématiques
  • AEIF
    Association des enseignantes et enseignants d’informatique de France
  • APHEC
    Association des Professeurs des classes préparatoires HEC
  • APMEP
    Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public
  • APPLS
    Association des Professeurs de Première et de Lettres supérieures
  • ARDM
    Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques
  • CDUS
    Conférences des Doyens et Directeurs des UFR Scientifiques
  • CIGREF
    CIGREF
  • CM&S
    Collectif Maths&Sciences
  • CFEM
    Commission Française pour l’Enseignement des Mathématiques
  • CNFHPST
    Comité National Français d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques
  • CNLL
    Conseil National du Logiciel Libre
  • EPI
    Association Enseignement Public & Informatique
  • FBF
    Fédération Bancaire Française
  • F&M
    Femmes et Mathématiques
  • FI
    Femmes Ingénieures
  • FS
    Femmes et sciences
  • FI
    France Invest
  • GEM
    Groupe d’Étude des Membranes
  • IA
    Institut des Actuaires
  • RF
    Réseau Figure
  • SCF
    Société Chimique de France
  • SFB
    Société Française de Biophysique
  • SFB
    Société Française de Biométrie
  • SFBD
    Société Française de Biologie et Développement
  • SFdS
    Société Française de Statistiques
  • SFE2
    Société Française d’Écologie et d’Évolution
  • SFP
    Société Française de Physique
  • SIF
    Société informatique de France
  • SMAI
    Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles
  • SMF
    Société Mathématique de France
  • SD France
    Association des départements Sciences des données des IUT
  • UPA
    Association des professeurs scientifiques des classes préparatoires BCPST, TB et ATS
  • UPS
    Union des Professeurs de classes préparatoires Scientifiques

 

Notes

[1Résultats du PISA 2022 sur le site de l’OCDE

[2Fiche synthétique (en anglais) pour la France issue du rapport PISA 2022 (voir aussi la fiche détaillée en anglais)

[3Davantage de bruit et moins d’écoute de temps d’enseignement que dans la moyenne des pays, mais une utilisation et une dépendance plutôt modéré des téléphones portables pour les élèves français.

[4Rapport OCDE 2022 en anglais, voir aussi les conclusions du volume 2, et une synthèse en français.

[6Tous les indicateurs sont négatifs : performance, trajectoires scolaires justice sociale, motivation, encouragement par l’enseignant.

[7La directrice éditoriale du manuel « Méthode de Singapour » développant la méthode présentée par le ministère est aussi membre du Conseil Scientifique de l’Éducation nationale.

[8Elle concernerait à la fois les 1ere technologique et générales qui ne suivent pas la même organisation

[9quatre amendements de programmes ou d’organisation (notamment pour l’ajout des 1h30 de maths) depuis 2018.

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