Bulletin Vert n°477
bulletin spécial Journées Nationales
Besançon 2007

Comment parle-t-on du temps et du plaisir de faire des mathématiques quand on est professeur de mathématiques au collège ?

Dans le cadre théorique et méthodologique de la «  clinique de l’activité », pour une recherche sous la direction de Y. Clot, professeur de psychologie du travail du CNAM [1], nous sommes dix professeurs de mathématiques de collège à avoir travaillé sur notre métier à partir de vidéos de nos classes au quotidien.

Ce travail commun chercheurs / enseignants se poursuit. Pour cet atelier, nous avons choisi de réfléchir ensemble à ce qu’il en était pour nous du temps et du plaisir de faire des mathématiques. Nos voix ne sont pas à l’unisson. Elles se répondent les unes aux autres dans un montage vidéo que nous avons présenté dans cet atelier. Les dialogues qui suivent sont la retranscription directe d’échanges entre nous concernant les questions :

Du temps pour finir le programme ?

pour que les élèves aient une véritable activité mathématique dans la classe ?

pour que tous fassent des mathématiques dans une classe très hétérogène ?

Du temps de retravailler soi-même les mathématiques, de les repenser, pour être à la fois plus efficace et plus en accord avec ce qu’on attend de son métier, pour y trouver du plaisir ?

Comment font les uns et les autres, quand beaucoup d’élèves peinent à trouver du sens à faire le travail demandé, quand, pour un grand nombre d’entre eux, le plaisir de réussir n’est pas souvent au rendez-vous ?

1. « Les classes en difficulté, elles te font beaucoup plus réfléchir »

Chercheur : Là, on voit le mal qu’ils ont à faire du calcul algébrique, même numérique. Est-on obligé de re-réfléchir plus sur les situations mathématiques qu’on fait travailler par les élèves devant une classe comme ça que devant une classe où ça roule à peu près ?

Y. : Pour moi tu réfléchis plus là-dedans, parce que là il y a tellement d’erreurs auxquelles tu n’aurais pas pensé. Il y a des erreurs auxquelles tu penses. Le moins quatorze moins neuf égale moins cinq, comme disait C., on s’y attend à celui-là. Après le moins quatorze moins neuf égal moins huit, on s’y attend beaucoup moins. Ça surprend plus. Donc du coup, tu essaies de savoir pourquoi ils ont dit ça, parce qu’ils ont une raison, eux, pour le dire.

Et donc tu réfléchis plus avec des gamins qui ont des difficultés qu’avec des gamins qui roulent. Avec les gamins qui roulent, tu as les erreurs auxquelles tu t’attends, ou tu as une réponse directe. À côté de ça des fois il y a des trucs ! On n’arrive même pas à comprendre comment ils ont pu penser que ça faisait ça et là je me creuse. Si je ne me creuse pas, le gamin ne va pas comprendre pourquoi il a faux. Donc moi je me creuse plus avec des gamins en grande difficulté qu’avec des gamins normaux entre guillemets. Les classes en grande difficulté, elles te font beaucoup plus réfléchir, parce qu’il faut trouver comment ils ont pu penser ça.

C. : En lycée, je ne me suis pas posée de questions, enfin… J’ai fait des mathématiques, j’ai travaillé les mathématiques parce qu’il fallait que je revois des choses, mathématiquement parlant. Mais je n’ai pas travaillé sur les mathématiques au niveau du sens. C’est quand je suis arrivée en collège que je me suis trouvée confrontée…

L. : C’est vrai quand même qu’au lycée, il y a un certain nombre de choses qui sont institutionnalisées. Ainsi, qu’est-ce que c’est qu’une droite ? Le dessin que tu fais, c’est une droite ? Le statut d’une figure, l’objet mathématique, la représentation qu’on en fait, … Au collège en sixième, tu te poses la question, pas au lycée.

Ce n’est pas qu’ils savent exactement ce qu’est une droite, mais … ça commence à être laissé dans le non-dit.

2. « C’est à ça que tu reconnais une classe difficile d’ailleurs, je trouve, à ce temps qu’ils prennent avant de se stabiliser »

C. : En regardant ces images d’il y a 5 ans, je suis surprise de la façon dont je prends le temps d’installer la classe au départ. Et je me demande si dans d’autres circonstances, je ne suis pas plus rapide et si je n’ai pas plus d’attente par rapport aux élèves. Je suis surprise du temps que je leur donne pour s’installer dans l’activité, prendre leur feuille, des choses pratiques, du temps que je leur laisse sans m’énerver, enfin sans les bousculer, je veux dire. Je pense qu’avec un autre type de classe plus simple, on peut dire, plus stable, je serais plus exigeante au niveau de la rapidité de mise en place dans la classe.

L. : Ce temps-là me paraît beaucoup plus angoissant, le temps de la mise en route, dans une classe difficile. Ça, ça fait une grosse différence entre les classes où ils s’y mettent tout de suite et les classes où il faut du temps. Et ce temps-là c’est un temps qui pour le professeur est un temps angoissant, un temps de flou. C’est à ça que tu reconnais une classe difficile d’ailleurs, je trouve, à ce temps qu’ils prennent avant de se stabiliser.

G. : Enfin, ça dépend ce qu’on appelle une classe difficile, parce que, moi, j’ai des classes, les garçons sportifs, où quand ils entrent, il y a un temps qui me semble infini, où ils arrivent, ils sont très bruyants, alors que c’est une classe qui a énormément de potentiel, par contre. Et pourtant ce n’est pas une classe que j’appelle difficile, mais une classe où il y a beaucoup d’énergie à canaliser.

C. : Peut-être ce qui est plus particulier aussi dans ce type de classe, c’est que éventuellement le temps d’installation pour un type de classe que tu décris, il est trop long, enfin à ton idée, mais tu sais que tu vas y arriver à un moment donné, tandis que dans une classe de ce type-là, alors, à ce moment-là, tu es dans une indétermination. Tu ne sais pas forcément si ça va se mettre en place ou pas. Et oui, c’est là que ça se joue. C’est là que c’est angoissant.

3. « Quand on a préparé quelque chose avec un certain but et puis qu’on s’aperçoit par les réactions des élèves que ça prend, eh bien, ça fait plaisir »

C. : Là-dessus, assez clairement aussi, je faisais le pari qu’en choisissant des exercices de nombres sous forme de jeu, la mayonnaise prendrait mieux. Quand on a préparé quelque chose avec un certain but et puis qu’on s’aperçoit par les réactions des élèves que ça prend, qu’ils se prennent au jeu, enfin au travail, parce que c’est quand même du travail, eh bien, ça fait plaisir. Alors, ce n’est pas des mathématiques qu’on fait franchement, mais si quand même puisqu’on est professeur de mathématiques. Mais bon, ce n’est pas franchement faire des mathématiques, c’est enseigner les mathématiques. Je pense que la notion de difficulté, elle est quand on n’arrive pas à faire quelque chose qu’on a prévu, enfin qu’on voudrait faire. Pour moi, j’ai toujours eu cette impression-là, que dans une séance où je suis intéressée par ce qui va être fait, que j’ai prévu de faire, …, par exemple pour la séance qu’on voit là, j’avais pris plaisir à revisiter cette séance. Déjà en particulier il y avait l’intérêt du travail qu’on faisait, et puis du travail de confrontation avec Ch., il faut bien le dire. Donc j’avais été relire un article de Repères là-dessus… J’avais pris le temps effectivement.

L. : On a rarement le temps aussi de faire ça. C’est vrai que d’ailleurs les moments de plaisir comme tu dis, c’est souvent des moments où il y a eu un échange. Moi, ce que tu me racontes, ça me fait penser à une fois où j’ai eu du plaisir à travailler un chapitre dans je ne sais plus quelle classe. C’était un jour où il y avait des stagiaires IUFM qui étaient là, et où c’étaient eux qui avaient fait le cours. Et comme ce n’était pas moi qui faisais le cours, donc du coup j’avais le temps d’y réfléchir. On a pu échanger. Du coup ça m’a permis de retravailler ce chapitre-là. C’est tellement la routine d’habitude…

C. : Moi je pense que la routine justement elle s’installe, et puis elle est quelque part assez mortifère, je veux dire par là qu’elle renvoie à une idée de notre métier assez passive. Eh bien oui, les profs, ils ont le temps, etc., ils ne font pas trop d’effort pour faire leur métier, travailler ensemble…

L. : Enfin, ce n’est pas de la routine dans le sens train-train, c’est plutôt le manque de temps de se poser des questions. On est dans un cycle, on n’a pas le temps de réfléchir sur ce qu’on fait parce qu’il faut enchaîner les classes et répondre à des problèmes qui ne sont pas forcément des problèmes mathématiques, mais des problèmes de gestion de classe, de cas de gamins, enfin autres que de faire des mathématiques et qu’on n’a pas le temps de se poser pour réfléchir au cours de mathématiques.

4 « Je pense que des classes comme celle-là, la seule façon de les raccrocher mathématiquement, c’est peut-être justement par le plaisir »

G. : J’ai une petite L. dans ma classe. Elle vient d’un autre collège. Elle devait ne rien comprendre aux sommes de relatifs et l’autre jour elle a eu la lumière dans les yeux, mais je voyais qu’elle était contente d’y arriver. C’est vraiment magique ces moments-là. Alors qu’elle était un peu rebelle au début ; mais à partir du moment où elle a compris, elle était trop contente ! Elle y arrivait. Je voyais que c’était une victoire sur elle, elle avait les yeux qui pétillaient, alors que c’était − 2 + 6 et donc que mathématiquement ça n’avait rien de passionnant. Mais là c’est vrai tu voyais le plaisir qu’elle avait à avoir compris, ça y est, j’y arrive. Et là, c’est vrai, ça te redonne la pèche quand même.

C. : Une des bouées d’oxygène aussi, c’est d’arrêter le temps justement et de dire stop le programme, stop la course à je ne sais quoi, et proposer un problème aux élèves, ne serait-ce que par exemple avec le RMT (rallye mathématique transalpin), prendre le temps de voir les choses autrement, prendre le temps de chercher, prendre le temps même d‘échanger dans la classe, de faire des débats sur un résultat, ça me semble drôlement justement productif, parce que c’est pour moi ce qui fonde l’enseignement des mathématiques et si je ne prends pas ce temps-là, quelque part je ne le fais pas prendre aux élèves. Ce n’est pas moi que je frustre, mais c’est la formation scientifique des élèves.

L. : Sur le coup, j’allais dire c’est comme du temps volé au programme. Et puis en fait, je me dis, non ce n’est pas du temps volé, c’est le contraire, c’est presque du temps repris.

Dans les échanges qui ont suivi, il est apparu que chacun des participants, à sa manière, a ré-interrogé son métier.

Les professeurs présents ont tout d’abord réagi sur l’idée de routine. Un enseignant en collège de ZEP a expliqué comment il aménageait le temps dans la classe en proposant des activités de difficultés variées.

Un formateur a demandé ce qui pouvait être transmissible de notre expérience au niveau de la formation des nouveaux enseignants ; un inspecteur s’est posé la même question, cette fois au niveau des enseignants en difficultés professionnelles.

Pour nous, il semble que oui, à condition que ceux qui encadrent aient eux-mêmes vécu cette expérience et continuent à travailler en équipe. Une recherche est en cours ; un bilan est prévu pour la fin de l’année.

Un autre participant a questionné les intervenants sur les apports de cette expérience pour eux, en tant que professionnels. Le fait que nous continuons tous à travailler dans ce cadre de la clinique de l’activité en prenant sur notre temps libre est une première preuve de cet apport… Lorsque l’on nous pose cette question, nous répondons que nous nous sentons plus libres dans notre travail, nous ressentons moins de culpabilité, davantage de créativité et de possibilité de s’observer et de s’approprier des expériences autres que les nôtres (partagées avec des collègues, proposées en stage de formation, etc.).

Plus de liberté car moins de culpabilité puisque ce que nous étudions, c’est notre métier. Ce travail, nous l’effectuons au sein d’un collectif. Le centre de notre étude n’est ni les élèves, ni les mathématiques, ni le rapport prof/élèves, élèves/ maths, etc.

Il s’agit d’observer, de comprendre notre métier de professeur de mathématiques. Ce qui entraîne le sentiment chez chacun d’entre nous de se sentir plus «  professionnel ».

Lorsqu’au cours d’une journée de travail, quelque chose ne va pas, qu’on a le sentiment de ne pas avoir réussi, on va analyser cela non plus seulement du côté de l’individu (qu’est-ce-que j’ai mal fait ?) mais aussi du côté de l’activité professionnelle dans sa globalité (qu’est-ce-qui a fait que cela n’a pas fonctionné ?).

Il s’agit d’observer les limites du métier et non plus de ressentir seulement ses limites personnelles.

En clinique de l’activité, ce qui est proposé aux professionnels, c’est de ne « jamais renoncer à s’emparer de l’objectivité du métier, à la recherche de ce qu’on n’a pas encore fait, de ce qu’on n’a pas encore dit, pour faire reculer non pas les limites de sa subjectivité, mais les limites du métier  » [2]

Du coup, à nos yeux « la bonne pratique », c’est la capacité de développement du pouvoir d’agir. C’est la controverse professionnelle, c’est le fait que le dernier mot ne soit jamais dit, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas une seule manière de faire possible mais plusieurs, que ça se discute et que cette discussion fasse partie du métier.

On trouvera le contenu de l’atelier « Pourquoi le livre X d’Euclide ? »

 

Christelle Serra

 

Notes

[1Roger, J.-L, 2007, Refaire son métier, Essai de clinique de l’activité, Toulouse, Érès.

[2Ruelland-Roger, D., 2007, Conférence au colloque de la CORFEM, Antony.

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