Journées Nationales à Jonzac

Commissions 1er degré et Collège
Questions d’actualité : Table ronde
lundi 24 octobre 2022

Menace du stéréotype et gestes professionnels : quelle vigilance ?

Table ronde
du 24 octobre 2022

 
Questions d’actualité École — Collège
Table ronde du lundi 24 octobre 2022 lors des JN à Jonzac

 

Présentation de la table ronde

  • médiatrice
    • Anne Boyé
      présidente de l’association Femmes & Mathématiques
  • discutantes
    • Laure Etevez
      responsable du groupe APMEP « Femmes et maths »
    • Claudia Grillet
      formatrice académique de l’académie de Poitiers
    • Maria Popa-Roch
      maître de conférences HDR, psychologie sociale expérimentale, INSPÉ Strabourg
    • Danielle Ruetsch
      formatrice REP+ de l’académie de Strasbourg

Barbara STRBA, responsable de la commission premier degré, introduit la table ronde. Elle explique que l’idée de ce sujet est venue après lecture d’un article paru en août 2022 qui présente des résultats issus de l’étude Elfe. L’analyse des données de cette étude montre que l’écart de réussite en mathématiques entre les filles et les garçons est inexistant avant le Cours préparatoire. Cet écart entre genres en mathématiques favorable aux garçons est ensuite observé dès la première année de l’école primaire.

Après avoir présenté les invitées, Barbara donne la parole à Anne BOYÉ qui va animer le débat.

Trois questions, déterminées en commission premier degré et collège, vont être discutées :

  1. Comment prendre conscience des stéréotypes que les enseignants véhiculent sans le vouloir ?
  2. Quels sont les micro-gestes professionnels à déconstruire ? Et ceux à construire ?
  3. Est-ce que notre système scolaire peut ne pas consolider les stéréotypes ?

 

Question 1 — Comment prendre conscience des stéréotypes que les enseignants véhiculent sans le vouloir ?

Maria POPA-ROCH débute en indiquant qu’il ne faut pas confondre stéréotypes et préjugés. Le stéréotype remplit une fonction cognitive importante : face à l’abondance des informations qu’il reçoit, l’individu simplifie la réalité qui l’entoure, la catégorise et la classe. Un préjugé est une opinion préconçue portant sur un sujet, un objet, un individu ou un groupe d’individus.

Tous les jours on catégorise, il faut le faire de manière drastique pour être rapide. Cela se fait malgré nous. Il y a des catégories faciles : riche/pauvre, blanc/noir, garçon/fille. Très rapidement on le fait, c’est un processus automatique en nous, on prend parti et on n’a pas le choix.

L’enfant est un objet qu’on traite au niveau cognitif, affectif, et comportement. Au niveau cognitif, il y a en nous des croyances, des opinions. Par exemple si on entend Roumaine, on imagine immédiatement quelque chose… le bras tendu, la pauvreté. Ensuite le volet affectif s’actionne en nous sans en prendre conscience : face à cet élève je suis à l’aise ou pas, anxieux ou pas, je me sens bien ou pas bien. Comme c’est très rapide, je n’ai pas le temps de l’analyser. Enfin pour le volet comportemental, la question est comment je vais réagir face à cet enfant. Je vais le traiter comme les autres ou pas ?

On veut tous être équitables, mais on ne se maîtrise pas toujours. Une fois que l’on aura catégorisé, on se fait une image de l’autre. L’image que l’on a immédiatement sera valable longtemps dans notre tête.

Nous avons tous des stéréotypes et des préjugés en tête, il faut en prendre conscience pour déconstruire et ne pas juger trop rapidement. Ils correspondent à des besoins de fonctionner de manière efficace. Avec des classes de 25 à 35 élèves, l’enseignant doit être efficace et, à la fois, il a besoin de juger correctement. C’est un dilemme terrible. Ces stéréotypes s’activent d’autant plus avec la fatigue.

La personne qui est victime d’un stéréotype va déclencher une peur. Par exemple : « les femmes conduisent moins bien que les hommes ». Si je suis une femme en train de faire ce créneau (que je maîtrise parfaitement puisque je le fais tous les jours), que l’on me dit que je ne vais pas y arriver, je me stresse, des pensées parasites arrivent, je veux montrer à l’autre qu’il a tort et ma performance pour réaliser ce créneau est diminuée.

Claudia GRILLET qui enseigne dans le second degré explique qu’au collège elle ne s’est jamais posé la question des stéréotypes, c’est arrivée au lycée, lorsqu’elle a réalisé que le groupe des filles se tenait à l’écart. C’était aussi le cas d’autres élèves qui se trouvaient dans des groupes minoritaires. En classe de terminale en spécialité mathématique : elle n’avait presque plus de fille et les quelques présentes se faisaient oublier en classe. Moins naturelles que les garçons, elles étaient comme transparentes. Le territoire était aux garçons.

Danielle RUETSCH qui enseigne en zone prioritaire observe également que les filles se font oublier, alors que les garçons forcent la prise de parole en s’agitant. Les filles qui restent discrètes on moins souvent l’occasion de s’exprimer. L’enseignant, pour avoir la paix, peut donner plus souvent la parole aux garçons.

On observe toujours des tâches féminines comme ranger ou nettoyer, les garçons peuvent refuser de réaliser en classe ces tâches qui sont dédiées aux filles à la maison : il peut être compliqué pour un garçon d’avoir un regard différent à l’école de ce qu’il vit à la maison.

Laure ÉTEVEZ enseigne en master à de futurs enseignants. Elle enseigne surtout à des femmes. Les hommes, cependant, prennent beaucoup de place dans les groupes. Elle remarque depuis 5 ans qu’elle enseigne à l’INSPÉ que petit à petit les hommes font plus attention. Ils sont plus sensibilisés et prennent garde à ne pas couper la parole et à moins se mettre en avant. Ils peuvent aussi maintenant juger sexiste lorsqu’il s’agit de princesse et de chevalier dans les jeux proposés. Cela évolue beaucoup en ce moment.

Anne BOYÉ conclu cette question en disant que c’est vraiment bien s’il y a une prise de conscience actuelle, elle rajoute que même les médias se font porte-parole de ces idées.

 

Question 2 — Quels sont les micro-gestes professionnels à déconstruire ? Et ceux à consolider et à construire ?

Maria POPA-ROCH donne l’exemple de chercheurs qui ont filmé des familles aisées qui visitaient un musée. Les parents spontanément vont donner des descriptions aux filles (c’est grand, c’est beau) et des détails sur les mécanismes de fonctionnement aux garçons.

Comment faire pour changer ? Les stéréotypes c’est notre côté médiocre. Par exemple les blagues sexistes renforcent les stéréotypes. Dans la classe, il est nécessaire de ne pas les tolérer, mais à la maison c’est peut-être moins grave, on a besoin de blagues dans la vie de tous les jours.

Comment se déconstruire soi-même ? En essayant de se contrôler soit même et prendre conscience à tout instant. Par exemple dans une épicerie de nuit, je croise une personne de couleur à qui je vais spontanément demander où est le sucre. Mon erreur est que j’ai pensé (par réflexe, avec la couleur de la peau) que cette personne était un employé alors qu’en fait il est le gérant.

Laure ÉTEVEZ parle de petites choses à réguler en classe comme s’habituer (et habituer les élèves) à ne pas toujours interroger les élèves qui sont volontaires en premier, on peut aller chercher les autres aussi. C’est un levier fort, car applicable tout le temps. Et en plus cela ne s’adresse pas qu’aux filles, mais également aux élèves timides…on peut aussi laisser un petit peu plus de temps avant d’interroger le premier élève, car les filles vont lever la main plus tard.

Être vigilant à ne pas faire systématiquement un groupe de filles et un groupe de garçons. Ou encore, lorsque l’on fait un plan de classe en alternant une fille avec un garçon…on est déjà en train de penser fille/garçon. À réfléchir.

Au sujet de tous ces microgestes professionnels, on peut aussi s’observer entre enseignants pour avoir le regard de l’autre et faire évoluer nos pratiques.

Anne BOYÉ rappelle que les garçons sont aussi victimes de stéréotypes.

Claudia GRILLET précise que des études ont montré que l’on interroge différemment nos élèves selon les questions : la tendance est de donner des questions fermées aux filles et des questions plutôt de recherche aux garçons (travaux de Marie DURU-BELLAT). On le fait tous, si on n’y prend pas garde. En avoir conscience permet d’intégrer différemment les filles et les garçons dans nos classes.

Anne BOYÉ revient sur l’intérêt de la mise en place d’une observation entre collègues dans la classe et aussi entre disciplines différentes (littéraires et scientifiques).

Danielle RUETSCH ajoute qu’il faut penser aux cours de recréation. Les garçons occupent beaucoup d’espace avec le ballon et les filles de plus petits espaces. Par exemple, elles ne peuvent pas avoir le droit de jouer à l’élastique parce que les garçons courent et risquent de se faire mal.

Bien observer les manuels qui peuvent aussi renforcer les stéréotypes avec la maman qui va faire les courses et le papa qui part en randonnée.

Maria POPA-ROCH précise que les mathématiques ne sont pas une matière comme les autres. Cette croyance est bien ancrée dans la société : quand on est bon en mathématiques, on est socialement intelligent. Un élève en difficulté sera dit moins intelligent. Et ensuite il sera très difficile de défaire ce stéréotype. Il est très facile de mettre cette réputation en place et très difficile de la défaire.

Laure ÉTEVEZ complète en disant que, de ce fait, les mathématiques ne sont pas vues comme une culture que tout le monde doit avoir. La société véhicule encore l’idée que les mathématiques ne sont pas accessibles. L’enfant dont la famille est éloignée des mathématiques peut avoir des difficultés pour appréhender la matière. Ce n’est pas le cas pour le sport et les arts par exemple. C’est un geste professionnel de plus à construire et à déconstruire à la fois. Lutter contre ce stéréotype en véhiculant la culture scientifique pour tous. Alors que nos élites véhiculent ce stéréotype des mathématiques inaccessible. Et les enseignants en souffrent, car les élèves y sont sensibles.

Maria POPA-ROCH rajoute que l’on peut changer de discours au sujet de l’intelligence et cesser de penser « tu es intelligent ou pas ». Si l’on commence par dire à un enfant que son intelligence grandit tous les jours, on peut lui faire prendre conscience de ce qu’ils sont capables de faire. Fille ou garçon, on peut leur dire « de quoi es-tu capable ? Qu’as-tu appris aujourd’hui ?” Quand un enfant a réussi, lui dire qu’il est capable. Et trouver des explications lorsqu’il ne réussit pas : c’était un accident, la prochaine fois tu vas réussir. Avoir de l’empathie, apprendre à se mettre dans la peau des autres. Il y a des expériences au Canada pour apprendre à se mettre dans la peau de celui qui n’y arrive pas. Et aussi, les filles qui réussissent, ce n’est pas une exception, il y a de nombreux exemples et du coup c’est possible.

 

Question 3 — Est-ce que notre système scolaire peut ne pas consolider les stéréotypes ?

Dans le passé, les mathématiques n’étaient pas vues comme élitistes, c’était plutôt les lettres qui étaient bien vues.

Dans les lycées, il y a aussi l’idée que dans les faits « les stéréotypes sont plus fort que les lois ».

Danielle RUETSCH rajoute qu’il est très difficile de lutter contre les stéréotypes, on les a tous en nous. Sur les frontons de nos écoles, on voit encore inscrit : "École des filles" et "École des garçons". Est-ce que l’école va réussir à lutter seule ? Les élèves arrivent de l’extérieur avec de nombreux stéréotypes qu’il est difficile de leur faire déconstruire. Pour y arriver, l’élève doit se donner une triple autorisation : qu’il se l’autorise lui-même, que les parents l’autorisent et que l’élève autorise ses parents à rester eux-mêmes.

Claudia GRILLET précise que les stéréotypes nous font émettre des pronostics et on peut se tromper. L’orientation est très délicate. Les élèves ont toujours des pressions. Les stéréotypes pèsent sur les choix d’orientation. La façon dont on va qualifier les réussites ou les échecs va influer sur le parcours des élèves. Actuellement il y a environ 35% de filles en mathématiques de spécialité et environ 25 % d’entre elles poursuit en mathématiques experte. En partageant davantage avec les familles, on réussira à faire évoluer les choses.

Laure ÉTEVEZ rajoute qu’en militant au sein de l’APMEP on peut faire évoluer les choses. Il faut travailler avec les inspecteurs pour que les discours et les supports soient empreints de la réflexion sur ces questions-là. Certains sont bien réfléchis, mais les documents ne sont pas toujours accessibles ; ce qui est en accès facile n’est pas toujours de bonne qualité.

Anne BOYÉ confirme que l’on a besoin de documentation et d’être davantage formés.

Maria POPA-ROCH indique qu’il y a des familles qui sont conscientes et qui essayent de faire très attention au sujet de l’éducation de leur fille et de leur garçon. Et pourtant une fois arrivé à l’école, les stéréotypes jouent et les familles se désespèrent de cela.

Il y a aussi la sympathie des enseignants, lorsqu’un enfant n’est pas très doué, on va dire pour compenser « mais qu’est-ce qu’il est gentil ». On s’accommode ainsi en parlant d’affectif plutôt que de compétence.

Au sujet des enfants dyslexiques : il y a un risque de généraliser les difficultés et les accompagnements mis en place à tout le domaine scolaire alors que la dyslexie n’entre que pour quelques points. On peut essayer d’y veiller et d’ajuster plus précisément nos aménagements.

 

Échanges avec la salle

Est-ce qu’il y a des formations ? Et comment sont formés les formateurs ?

Les formateurs ont normalement des formations par des enseignants-chercheurs. Au moins pour les sciences de l’éducation. Cela est très variable d’un territoire à l’autre. L’association « femmes et mathématiques » intervient fréquemment avec Anne BOYÉ. Les formateurs reçoivent une formation chaque année, le thème change. Globalement, les formateurs ne sont pas suffisamment bien formés. Ils se forment aussi entre eux.

 

Est-ce que ce phénomène est plus fort en France ? Qu’en est-il dans les autres pays ?

Ce que Maria POPA-ROCH peut dire c’est que dans les pays occidentaux, c’est sensiblement pareil.
Dans des pays où les sentiments sont plus importants que les compétences, les stéréotypes jouent moins.

 

Est-ce qu’il y a des études sur l’élève qui s’adressent aux professeurs ?

Les élèves veulent un enseignant exigeant, mais juste. Des Belges ont étudié pour savoir si le sexe de l’enseignant montre des différences. Il semble que selon le sexe de l’enseignant en mathématiques, l’effet pygmalion est plus présent.

Plus on va vers le supérieur dans l’enseignement, moins il y a de femmes.

Des études montrent que dans des classes où il n’y a pas de garçon les filles réussissent mieux. Si la consigne est donnée par une enseignante, les filles réussissent mieux.

En France ces buts de performance sont plus présents que les buts de maîtrise. Dans les pays nordiques, les buts de maîtrise sont plus importants. Changer les mentalités pour aller vers « qu’est-ce que j’ai appris aujourd’hui » et non pas « quelle note ai-je eue ? ».

 

Est-ce qu’il y a des actions auprès des garçons pour qu’ils aillent vers des métiers habituellement dédiés aux filles ?

Comme dans l’accompagnement humain. En ce moment, on a besoin d’infirmier… on va les chercher parce qu’on a épuisé le vivier des filles. C’est encore mieux de vivre ensemble tous ces métiers, plus enrichissants. Il faut l’expérimenter. Mais ce n’est pas simple à mettre en place, il faut accepter de passer par des moments difficiles.

Anne BOYÉ dit qu’il reste une dominance des hommes dans l’éducation nationale. Un homme enseignant dans le premier degré a plus de facilité à devenir IEN, il va y arriver. Comme les proviseurs des grands établissements scolaires. On a une culture très masculine dans notre système scolaire. C’est tout le système qui doit réagir.

 

Il y a en ce moment des ateliers dédiés aux filles uniquement comme « filles, maths et informatique » ou « filles et code »

Tant que l’équilibre ne sera pas réel, il est important de créer des moments pour que les filles soient dans des groupes de filles uniquement pour qu’elles puissent s’exprimer entre elles. Elles peuvent avoir des déclics et prendre un espace qu’elles n’arrivent pas à prendre lorsqu’il y a des garçons. Tant que l’on ne peut pas l’éviter, cela leur permet d’avancer.

Ce sont aussi des moments durant lesquels on peut dire que fille et ingénieur c’est possible. Elles peuvent entendre que c’est possible avec ces métiers de se marier et avoir des enfants. Dire aussi que les garçons vont aussi pouvoir s’occuper de la famille et aller vers des métiers féminins.

Dans le futur, il va falloir aller plus loin et pouvoir revenir vers de la mixité dans les groupes.

Le but est de les réajuster, réfléchir sur une pédagogie plus inclusive.

 

Est-ce que les pays nordiques sont plus en avance sur ces questions-là ?

En France, on croit beaucoup de choses pas toujours exactes au sujet des pays nordiques et, lorsque l’on rencontre des enseignants de ces pays là, la réalité est autre et même cela tend à se dégrader.

Le système finlandais est plus égalitaire, il y a moins d’élitisme sur la formation et le pays produit moins d’élites.

 

Actuellement on dit beaucoup que les enseignants du premier degré ne sont pas bons en mathématiques

Il faut arrêter de construire ça dans la société, c’est un stéréotype également qui n’est pas bon.

 

On a de plus en plus d’élèves à partir de la classe de 4e qui veulent changer de sexe

C’est compliqué de s’adresser à ces personnes-là. La catégorisation va peut-être évoluer, il y aura homme/femme et autre ?

 

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