Bulletin Vert no 446
mai — juin 2003

Editorial du Bulletin 446 Je n’enseigne pas, je raconte

Pourquoi étudier les mathématiques ? ... et pourquoi les enseigner ?

C’est par ces questions que Gilbert Walusinski (1) commence le « discours imaginaire » écrit en août 1995 pour accueillir les élèves qu’il aurait encore aimé avoir à cette rentrée. Les extraits qui suivent sont une réponse à la mise en cause actuelle des mathématiques et de leur enseignement. Vous permettre de profiter de son talent est ma façon d’honorer mon prestigieux prédécesseur.

De même qu’il y a la musique et les musiciens, il y a les mathématiques et les mathématiciens. En musique, il y a le patrimoine des œuvres avec des noms propres, Mozart, Satie, Gershwin et parmi les musiciens, il y a les compositeurs, les exécutants et les amateurs. En mathématiques, il y a aussi un patrimoine, l’ensemble des connaissances mathématiques, toute une architecture avec des fondations (qu’il faut visiter de temps à autre), des ramifications, des floraisons. Pourtant, ce n’est pas le palais vide et désert de la Belle au Bois Dormant, les voix de ceux qui construisirent le palais s’y font encore entendre. L’homme Pythagore est mort depuis plus de deux mille ans, mais son théorème nous parle encore, de même que la musique de Mozart.

Mais, sans étudiant de mathématiques, le théorème de Pythagore finirait par se faner et disparaître, Pythagore mourrait alors pour la deuxième fois et définitivement.

Vous et moi, nous ne voulons pas que cela se produise. Nous ne serons peut-être jamais des mathématiciens inventeurs ou concepteurs, ouvrant un chapitre nouveau dans le livre perpétuellement inachevé des mathématiques. Pour le moment, notre ambition est moins grandiose, mais peut-être au moins aussi utile pour la science et pour l’humanité : faire que le patrimoine mathématique de l’humanité ne dépérisse pas, mais reste fringant et neuf comme un jeune adolescent qu’il est, plein de promesses.

Ce palais mathématique, oui, je le compare à un adolescent plein d’ardeur et de promesses. Il avance avec des forces neuves, conscient de l’énergie accumulée au fil des âges non par des fossiles mais par des ancêtres dont les œuvres ne peuvent mourir que si on les ignore. Aidons-le à tenir ses promesses.

Ce sera difficile, nous disent quelques rabat-joie, ce sera difficile parce que personne ne veut plus être professeur de mathématiques, on manque de chercheurs et quand on forme des ingénieurs pour la recherche, on les retrouve, cinq ou dix ans plus tard, perdus dans des tâches, administratives ou commerciales qui, parait-il, leur rapportent beaucoup plus d’argent.

Le mot est dit, ... enseigner n’est donc pas une profession rentable ! Résultat : le mal nourrit le mal, les élèves se moquent des mathématiques parce qu’on n’a pas su les leur faire aimer et parce qu’ils ne les aiment pas, plus personne ne les enseignera.

Pythagore, mon vieux, tu vas mourir pour de bon !

Je vois au moins deux raisons à cette situation actuelle désastreuse de l’enseignement des mathématiques. La première raison est la prédominance du discours utilitaire qui envahit les médias, la seconde est le trop grand attachement de l’enseignement à fournir des résultats évaluables, ce qui entraîne un lamentable manquement à sa vocation culturelle. Je m’explique.

Le discours utilitaire, vous le connaissez forcément. Il est dans tous les journaux, sur tous les écrans de la télévision. Former les jeunes pour que notre pays gagne dans la compétition économique mondiale. Bien sûr, tout le monde est pour. Mais à quel prix ? Pour gagner demain, faut-il négliger de penser à après-demain ? Ou plutôt, celui qui aura réellement gagné demain, ne sera-ce pas celui qui aura aussi pensé à après-demain ? Le discours utilitaire méprise forcément la culture qui est réflexion paisible ou angoissée sur le passé, le présent et l’avenir. Le discours utilitaire, si on l’écoutait sans lui répliquer, tuerait la science.

L’enseignement à résultats évaluables est un peu la réplique à l’idéologie du profit à l’échelle de l’école. À quel prix ? Au plus élevé, au plus désastreux, celui d’un enseignement souvent traumatisant pour les jeunes et presque toujours ennuyeux. Un enseignement ouvert, non sur le monde, mais sur la compétition. Un enseignement tellement sérieux et appliqué qu’il manque à sa plus haute nécessité, transmettre le goût de l’activité mathématique. Et si vous, élèves, n’aimez plus étudier ou « faire des maths », alors l’avenir est encore plus sombre, Pythagore va vraiment mourir.

Ensemble, nous pouvons le sauver de cette triste fin. Bien sûr, il faut garder les pieds sur Terre. Nous avons un programme à étudier, moi, j’ai un service d’enseignement à assurer. Vous avez même un examen à préparer.

Tout cela nous impose un cadre et aussi beaucoup d’ornements à y faire entrer, des notions nouvelles et de beaux théorèmes qui permettront aux théories de briller de tous leurs effets. Mais avec votre aide, car vous, élèves, avez beaucoup à faire pour que notre classe soit vraiment vivante, avance à son rythme, le vôtre, et que notre étude des mathématiques soit effectivement ouverte sur le monde.

Cela devrait aller de soi car l’étude mathématique est une merveilleuse école morale, perpétuelle recherche du vrai, minutieuse reconnaissance des fautes possibles (faute reconnue, faute corrigée), pour avancer dans la compréhension de notre sujet. Il y aura des difficultés, des obstacles, mais pas insurmontables puisque à notre niveau il s’agit d’initiation.

Si, en fin d’année, vous avez pris goût à l’étude des mathématiques, ce sera une réussite. Si je vous ai donné l’impression, pas tellement d’avoir enseigné, mais de vous avoir raconté de belles histoires, alors vous me trouverez comblé car je dois vous l’avouer pour finir, j’avais choisi pour modèle ce vieux Montaigne qui disait avec son adorable sourire « Je n’enseigne pas, je raconte ».

Sommaire du Bulletin 446

 

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