Bulletin Vert no 450
janvier — février 2004

Editorial du Bulletin 450 L’APMEP et les TICE

L’informatique est actuellement omniprésente et notre hiérarchie nous incite vivement à l’utiliser dans nos classes. Les élèves ne peuvent se passer de calculatrice. L’ordinateur n’est plus un produit de luxe, et devient accessible à la plupart. Or, comme nous allons le voir, rien n’est innocent en ce domaine.

L’APMEP devrait, à mon avis, se saisir du dossier. Ne sommes-nous pas, en tant que professeurs de mathématiques, parmi ceux qui utilisent le plus ce que l’on appelle administrativement les T.I.C.E. ? Issue des mathématiques, l’informatique peut en retour nous aider à les enseigner plus efficacement. Mais pas à n’importe quel prix (aux sens propre et figuré).

Afin d’initier le nécessaire débat au sein de notre association, j’aimerais indiquer quelques pistes de réflexion possibles.

Sur les calculatrices :

Dans l’édition du 26 décembre 2003 du quotidien « Le Monde » paraissait une publication judiciaire de six pleines pages. Elle était relative aux « ... pratiques mises en œuvre dans le secteur des calculatrices scolaires ». Le président de l’APMEP1 [1] de l’époque, ayant été auditionné, avait déclaré : « ... l’effet pervers du système est qu’en réalité les professeurs n’ont pas la maîtrise des produits mis sur le marché. On a constaté notamment qu’après avoir lancé certaines calculatrices et constaté qu’elles correspondaient aux besoins des professeurs et des élèves, les producteurs décidaient de supprimer les modèles les moins chers pour en fait, imposer l’achat d’un modèle à peine plus performant, mais beaucoup plus cher... ».

Rappelons, au passage, qu’afin d’éviter cette dérive, l’APMEP demande depuis un certain temps, la création d’un groupe d’experts chargés d’établir un cahier des charges pour les constructeurs et une réglementation plus claire pour les élèves [2].

Comme les ordinateurs, les calculatrices fonctionnent avec des logiciels. Pourquoi alors ne pas fabriquer des calculatrices vierges de tout système d’exploitation et de tous programmes ? Le choix serait laissé au professeur, qui pourrait choisir tel ou tel logiciel pour sa classe ; chaque élève aurait alors le même outil à sa disposition quelle que soit la marque de la machine. Nous ne serions plus captifs des fabricants de calculatrices. C’est techniquement possible [3], mais le veut-on ?

Sur les TICE :

L’informatique, bien utilisée, peut rendre de grands services à l’enseignant de mathématiques. Encore faut-il savoir ce qui se cache derrière l’outil informatique afin qu’il ne nous domine pas. Les calculatrices, comme les ordinateurs, fonctionnent grâce à des logiciels (le mou [4]).

Un logiciel est de même nature qu’une théorie mathématique, c’est une construction intellectuelle et logique (dans les années 70-80, l’informatique était d’ailleurs enseignée en faculté de mathématiques). Or, depuis quelque temps, certains essayent d’en changer la nature à leur profit.

Pour comprendre, continuons le parallèle avec les mathématiques. Pythagore interdisait à ses disciples de divulguer les théorèmes et leurs démonstrations. Les mathématiques pythagoriciennes étaient des mathématiques propriétaires. Depuis 25 siècles, les mathématiques sont devenues libres. Chaque théorème, une fois validé par la communauté mathématique, fait partie du domaine public, chacun peut en refaire la démonstration, en vérifier la validité et l’utiliser librement. Ces théorèmes deviennent alors des briques de théories plus complexes, dont l’absence de « bugs » peut être constatée.

L’informatique, depuis son kidnapping par B.G., n’est plus libre, la plupart des logiciels sont propriétaires. Pour comprendre ce qui s’est passé, imaginez qu’un prétendu mathématicien, après avoir changé quelques lignes dans le corpus euclidien dépose un brevet et s’approprie ainsi tous les droits sur ces mathématiques ; celui qui en aura besoin devra alors s’acquitter d’un droit d’usage sans pour autant être sûr de la validité de ce qu’il utilise.

Les sources des programmes propriétaires ne sont donc pas accessibles aux utilisateurs. Un professeur désirant adapter à sa pédagogie un logiciel propriétaire ne peut le faire, et il doit en subir les contraintes. De plus, ces logiciels peuvent contenir des instructions portant atteinte à notre vie privée sans que nous nous en apercevions. C’est notamment le cas avec la dernière mouture de l’OS d’exploitation XP [5].

En outre, quelques sociétés informatiques, constatant que leurs programmes correspondaient aux besoins des utilisateurs, décident périodiquement de supprimer les programmes les moins chers pour en fait imposer l’achat de programmes à peine plus performants, mais plus chers. Et c’est l’engrenage dénoncé plus haut. Habitués à ces programmes, nous sommes devenus captifs et sommes obligés d’acheter la dernière version sous peine de ne pouvoir lire les réalisations faites par d’autres. Ce qui est plus grave, nous rendons captifs, par la même occasion, nos élèves. Cependant, tous les logiciels ne sont pas propriétaires. Il existe des logiciels libres [6], dont tout le monde peut consulter les sources, et ainsi en connaître les instructions, améliorer le produit, l’adapter à ses besoins, les distribuer et les utiliser. Afin que personne ne s’approprie ces logiciels, un copyleft est déposé afin de protéger leur liberté d’utilisation. Le copyleft se nomme ainsi en opposition au copyright. Le copyleft protège la liberté d’utilisation du produit, alors que le copyright protège les droits d’auteurs.]]. À l’instar de la communauté des mathématiciens, une communauté du libre existe, internet est son principal vecteur de communication. Une amélioration trouvée par un utilisateur profite alors à l’ensemble de la communauté de la même manière qu’un théorème démontré par un chercheur finlandais peut servir à un mathématicien français.

La classe de mathématiques n’est-elle pas un espace de liberté ? Notre enseignement doit-il être tributaire de logiciels propriétaires ? Il me semble que c’est aux logiciels à s’adapter à nos besoins pédagogiques et non le contraire. Et, qui mieux que nous, peut dire ces besoins ?

Certaines académies l’ont d’ailleurs compris. Les ordinateurs y sont livrés avec Linux, système libre par excellence. Des équipes d’enseignants y travaillent à la confection de logiciels éducatifs libres, adaptés à l’enseignement. Au delà de l’aspect pratique, c’est un modèle de société qui est promu, où la coopération est mise en avant au détriment de la compétition économique, où la mutualisation des moyens remplace l’activité égoïste de certains.

La critique des logiciels propriétaires que je viens de faire ne s’adresse qu’à certaines très grandes entreprises dont j’ai essayé de taire le nom. Certaines sociétés sont à l’écoute de nos besoins et élaborent des logiciels en conséquence. Je pense notamment au logiciel Cabri [7]. Il faut alors encourager et augmenter ce genre de coopération tout en étant vigilant : on ne doit pas devenir captif de ce genre de produit.

Loin de moi l’idée d’imposer ces solutions, j’aimerais cependant qu’elles contribuent à l’instauration d’un débat au sein de notre association. Les TICE envahissent de plus en plus nos sphères professionnelle et individuelle, ne nous laissons pas dominer par eux et apprenons à les domestiquer et à les utiliser en connaissance de cause.

Sommaire du bulletin 450

 

Notes

[1Rémi BELLŒIL

[2Visages de l’APMEP 2003-2004

[3Un cadre d’une grande marque de calculatrices me l’a récemment confirmé, lors d’une rencontre au local de l’APMEP.

[4Le soft

[5L’armée française ne l’utilise d’ailleurs plus à cause de cela.

[6Le terme libre fait référence à la liberté et non au prix. Un logiciel libre peut être commercial.

[7Présent sur ordinateur et sur certaines calculatrices. Dommage que ses concepteurs aient choisi d’en donner l’exclusivité à une seule marque !

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