Bulletin Vert n°474
janvier — février 2008

Éditorial du bulletin 474

Du collège unique au lycée unique

Au moment où Xavier Darcos va annoncer sa n-ième réforme des lycées, nous avons donné la parole dans ce bulletin vert à Jean-Louis Piednoir, inspecteur général honoraire de mathématiques.

Dans la tribune libre, il dresse le bilan de la rénovation pédagogique des lycées, pour laquelle il a des mots parfois très durs : « Force est de constater que la réforme des lycées a échoué sur tous les objectifs poursuivis. La fin de la section A1 a contribué au déclin de la filière littéraire alors que l’on affichait sa revalorisation. La filière S n’a pas tenu ses promesses, ses effectifs se sont tassés, sa variante SI n’a pas retrouvé le prestige de la filière E, les bacheliers S hésitent de plus en plus à faire des études longues, redoutant un niveau mathématique insuffisant. »

Je souhaiterais pour ma part revenir un peu plus loin en arrière et remonter au début du vingtième siècle. C’est en 1902 que l’enseignement des sciences prend toute sa place dans l’enseignement secondaire. Sont créées à cette époque, quatre sections qui débouchent sur deux types de baccalauréats : A, latin-grec B, latin-langues C, latin-sciences D, langues-sciences Philosophie Mathématiques.

Mais on reproche très rapidement à cette organisation d’établir une barrière infranchissable entre les sections scientifiques et littéraires et d’imposer une spécialisation prématurée. En 1923 est adopté le dogme de l’égalité scientifique. Il n’existe plus alors que trois sections qui débouchent aussi sur deux types de baccalauréats : A, latin-grec A¢, latin B, langues Philosophie Mathématiques.

Tous les élèves bénéficient jusqu’à la fin de la première du même modeste enseignement scientifique et peuvent se diriger indifféremment vers un bac philosophie ou un bac mathématiques.

Lors de son assemblée générale du 26 avril 1924, l’association des professeurs de mathématiques de l’époque rejette cette uniformisation de l’enseignement scientifique « qui risque de conduire à une médiocrité générale en produisant un nivellement par le bas ».

Émile Weill, professeur de mathématiques au lycée Saint Louis à Paris, écrit : « Il est impossible d’intéresser aux mêmes exercices pendant toute une année des élèves dont la puissance de raisonnement et l’imagination mathématique se sont déjà révélés, et des élèves pour qui la nécessité logique doit être rendue évidente, et qui, pour la plupart, ne dépasseront jamais ce stade des études scientifiques ».

Le 4 juin 1936, un congrès pour l’étude des questions relatives à l’organisation du second degré, est organisé par la revue L’enseignement scientifique. L’égalité scientifique fait désormais à peu près l’unanimité contre elle, aussi bien de la part des professeurs de sciences que de lettres. Elle sera abandonnée en 1941, pour revenir à un plan d’études proche de celui de 1902.

Que ce soit la réforme de 1923 ou celle des années 1990, les objectifs sont à peu près les mêmes : rééquilibrer les filières, redonner toute sa place aux enseignements littéraires.

Au mois de septembre 2007, Xavier Darcos disait souhaiter redonner à la filière L toute sa place et casser la hiérarchie créée entre les filières. Il parlait de créer au lycée un tronc commun autour duquel s’articuleraient des enseignements modulaires.

L’inspection générale qui vient de publier un rapport sur la section scientifique n’a pas voulu se prononcer pour un renforcement de la série S. Elle prône une « construction progressive » des parcours des élèves. Cela passe, en classes de première et de terminale, par une partie commune à tous les élèves sur les « fondamentaux », et des enseignements d’approfondissement qui auraient un « poids limité en première et prépondérant en terminale ». « Les enseignements d’approfondissement sont choisis par l’élève en fonction de son projet de formation. Ils comportent deux niveaux : mineur et majeur pour chacune des spécialités proposées et peuvent déboucher sur la constitution d’une dominante ». Cela ressemble à la réforme de 1923 où la seule vraie spécialisation intervenait l’année du baccalauréat.

Après un siècle d’essai de développement de l’enseignement scientifique dans le secondaire, ne serait-il pas possible à l’Éducation Nationale de tenir compte de temps en temps des erreurs du passé ?

Action Sciences organisera le 5 avril, dans les locaux de la rue d’ULM, un colloque intitulé « Quel avenir pour les études scientifiques au lycée et dans le supérieur ? ».

Espérons qu’à l’image du colloque de juin 1936, il fera avancer la réflexion.

 

P.-S.

N.B. 1 : En 1902, les élèves qui suivent une « terminale mathématiques » ont 10 heures de mathématiques par semaine ; en 1994, 73 000 élèves ont 9 heures et 66 000 élèves ont 6 heures ; en 2007, 36 000 élèves ont 7,5 heures et 91 000 élèves ont 5,5 heures…

N.B. 2 : La question de la place de la filière littéraire empoisonne l’organisation du lycée depuis des lustres : tous les ministres, les uns après les autres, ont pour objectif prioritaire de renflouer ses effectifs. C’est leur seul souci alors que cette évolution nous paraît dictée par l’évolution de la scolarité des filles, qui constituent plus de 80 % de ses effectifs. Les filles ont diversifié leurs orientations, leur part a beaucoup augmenté en S (46,6 % de filles parmi les bacheliers S en 2005) et surtout en ES (64,5 % de filles parmi les bacheliers ES en 2005) alors qu’en 1984, 35% des filles allaient en série littéraire, 27 % en série économique et sociale, et 38 % en série scientifique. Au bac 2007, elles ne sont plus que 26 % en série littéraire, mais 34 % ont choisi la section ES, et 40 % la série S. Elles ne peuvent être partout, et la conséquence inéluctable de ce déplacement des orientations des filles est une baisse des effectifs de la section L, puisqu’elle reste massivement boudée par les garçons, mais personne ne semble comprendre que la caractéristique première de la section L reste son recrutement essentiellement féminin, et les nombreuses données statistiques publiées par le ministère sur le bac 2007 rendent le phénomène invisible, car elles ne donnent aucune information sexuée.

Source bibliographique : Nicole Hulin, L’enseignement et les sciences.

 

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