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Formation des enseignants : pas de GPS !

Claudie Asselain-Missenard [1] et Aline Robert [2]

Claudie Asselain-Missenard et Aline Robert vous présentent une réflexion en trois
volets sur la formation des enseignants de mathématiques.

Le premier texte, commun, traite brièvement des liens entre recherches en didactique
et enseignement.

Le deuxième texte, écrit par Aline, détaille les ingrédients nécessaires à ses yeux pour
construire une formation des enseignants de mathématiques adaptée aux besoins
actuels.

Le troisième texte, écrit par Claudie revient sur le lien entre didactique et
enseignement, vu de la fenêtre du professeur de terrain.

Didactique des mathématiques et enseignement : pas de GPS pour les enseignants !

Aux yeux des didacticiens, leur champ de recherche, la didactique des mathématiques,
n’a pas d’ambition directement prescriptive. Les analyses des contenus à enseigner et
des pratiques d’enseignants permettent de mettre en évidence les liens entre les choix
de ceux-ci et l’activité mathématique des élèves. Mais les apprentissages résultent
d’une somme d’activités complexes, dont une partie est inaccessible et n’a pas lieu
en classe. Ils mettent en jeu des processus différenciés selon les élèves, qu’on ne peut
réduire à ce qui est provoqué par l’enseignant.

Même si certaines recherches mettent en relation précise les activités en classe et les
productions des élèves, si certaines relations attendues se vérifient, ce n’est pas pour
autant que cela donne les moyens d’en déduire des analyses « il faut faire ça », loin
s’en faut, tant la complexité des phénomènes engagés résiste à une vision réduite.

Au début de son histoire, la didactique se penchait exclusivement sur les contenus à
enseigner. Puis elle a élargi son champ de recherches. Ainsi, certains didacticiens se
sont demandés ce qui varie d’une classe de mathématiques à l’autre du point de vue
des pratiques de l’enseignant, ce qui peut être proche ou éloigné des modèles présents
dans les séquences élaborées en recherche. Ont été ainsi étudiées des séances de classe
et repérées des diversités, notamment les formes de travail, les choix d’exercices et de
cours, les discours tenus. Par exemple, dans certaines classes et certaines séances, un
travail de recherche en petits groupes est organisé régulièrement, sur des exercices
complexes ; cela prend du temps, alors que d’autres enseignants ne recourent jamais
à ce type de travail ou à ce type d’exercices. Mais « que faire » de ces diversités, que
révèlent-elles et qu’impliquent-elles par-delà ces fréquentations des mathématiques
différentes que les enseignants organisent dans leurs classes ?

Sont-elles attachées à
des contenus, à des classes, à des enseignants ? Peut-on « faire autrement » ? Les
premiers travaux semblaient indiquer que les enseignants expérimentés, pour tous les
contenus, voire dans beaucoup de leurs classes, privilégient quelques formats
d’interventions spécifiques parmi l’ensemble des possibles, choisissent leurs
exercices, organisent leurs séances et accompagnent le travail des élèves de manière
comparable. Mais de là à en tirer des conséquences sur des alternatives éventuelles …
on en était loin !

Petit à petit un nouveau point de vue s’est imposé à l’équipe de chercheurs avec
laquelle travaille Aline, notamment grâce à des demandes directes, pressantes, des
formateurs de son IUFM, puis grâce à la collaboration avec une collègue, à la fois
ergonome et didacticienne. Pour étudier et comprendre suffisamment les pratiques des
enseignants, pour interpréter les diversités, on ne peut pas se restreindre à la
considération des seuls objectifs d’apprentissage des élèves. Il faut tenir compte du
métier, des contraintes institutionnelles et sociales qui pèsent sur les enseignants et
de leurs ressources personnelles, variées mais non illimitées ! De plus, il est utile
d’introduire un intermédiaire explicite entre ce que propose l’enseignant et les
apprentissages, en l’occurrence ce que les élèves font en mathématiques en classe,
leurs activités.

Une double approche des pratiques de l’enseignant, didactique et ergonomique, a été
mise en place pour rendre compte de la complexité du métier. Il s’agit de décrire les
pratiques en imbriquant diverses composantes du travail de l’enseignant, à la fois liées
aux activités que les élèves peuvent développer en classe de mathématiques et aux
déterminants extérieurs qui ont des retentissements sur les choix des enseignants, y
compris en classe.

À travers des travaux de ce type, ajoutés aux autres travaux moins directement centrés
sur les enseignants, s’est construit un potentiel non négligeable de ressources
directement utilisables par les formateurs, et utilisables à travers eux par les
enseignants en formation. La didactique peut ainsi transmettre des analyses
systématiques, explicites (et renouvelables), des mathématiques à enseigner et de
différents aspects des relations enseignement/apprentissage d’un contenu donné, à des
échelles différentes, avec des résultats limités mais en partie génériques.

Elle peut donner aux enseignants des leviers un peu systématiques qu’ils peuvent
« actionner » dans leur travail, en amont de la classe et pendant la classe, pour :
 comprendre à la fois le sens des notions engagées dans les programmes et leurs
spécificités « techniques », ainsi que leur insertion dans le paysage des élèves à un
niveau scolaire donné, y compris dans une perspective pluridisciplinaire, notamment
liée à la modélisation ;
 caractériser au sein de cette description les difficultés classiques des élèves, en
essayant d’anticiper sur des difficultés liées à la fois aux tâches et aux postures en
présence ;
 adopter, voire élaborer un scénario cohérent, avec une introduction adaptée et des
tâches suffisamment variées, dans un ordre réfléchi, aussi bien pour la répartition cours/exercices que pour la succession des exercices – avec l’idée de motiver les élèves
par la qualité de ce qui leur est proposé ;
– analyser les tâches précises proposées aux élèves pour réagir, pendant le
déroulement, au plus près possible des élèves ;
– pendant les séances, enrôler les élèves et les maintenir dans l’activité, y compris
autonome, jouer sur la mutualisation et le travail (individuel ou en petits groupes),
repérer le travail des élèves et l’exploiter, alterner de manière construite les moments
de travail sur des exercices et les moments d’exposition des connaissances, choisir les
moments de passage à l’écrit, élaborer les contrôles, optimiser l’évaluation, …
Et ce sans automatisme d’aucune sorte : pas de GPS pour les enseignants…

Un point de vue sur la formation professionnelle des enseignants de mathématiques (lycée et collège) ou … Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la formation au métier d’enseignant

Aline Robert

Former pour quoi ?

Pour aider les débutants dans leur travail d’enseignant de mathématiques, en sachant
qu’il y a de nouvelles formes d’activités mettant en jeu des mathématiques à
développer, des régularités (contraintes) et des variabilités (marges de manœuvre), des
choix personnels.

Former pourquoi ?

Parce qu’enseigner devant des élèves un programme donné ne s’improvise pas, que le
passage d’étudiant en mathématiques à professeur de mathématiques demande de
changer d’activités, sans que les nouvelles activités soient dans la stricte continuité
des précédentes.

Parce que l’expérience, par définition, prend du temps et peut (doit) donc être précédée
et complétée (valorisée) par des compléments sur les pratiques à mettre en place, sur
les mathématiques à enseigner, sur les élèves.

Parce que, pour garder suffisamment de mathématiques dans ce qu’on propose aux
élèves, les engager dans un travail mathématique de qualité, qui les motive
suffisamment, avec ce que cela comporte de prise de sens et de travail de la technique,
malgré « le reste », les contraintes institutionnelles – programmes, horaires –,
sociales – état des élèves, composition des classes, habitudes des établissements,
pressions diverses –, et les nécessaires adaptations personnelles, il faut disposer de
moyens nouveaux, que n’ont pas d’emblée, en général, les étudiants.

Former à quoi ?

Que peut-on leur apporter pour qu’ils « y arrivent », ces débutants, voire qu’ils
contribuent à améliorer les apprentissages de leurs élèves ? Comment intervenir, dans
quel ordre ?

On part du principe suivant : il y a un double enjeu pour l’enseignant pour
« optimiser » les effets de ce qu’il propose en classe : la mise au point de contenus
mathématiques adaptés aux apprentissages des élèves de la classe et le pilotage de la
classe (la gestion, le déroulement) adapté à ces contenus et aux élèves. Tout cela dans
un établissement donné dont il faut tenir compte.

Tout est lié, et ce n’est pas parce qu’on propose de « bons » exercices que les élèves
s’y engagent et apprennent, ni parce que la classe tourne que les élèves font des
mathématiques ; une grande partie de la (nouvelle) difficulté est là.
Motiver les
élèves ? Oui, mais en relation avec les mathématiques à enseigner. Enseigner de
bonnes mathématiques ? Oui, mais adaptées aux élèves…
Alors on forme au travail correspondant à la préparation, avec deux facettes, globale
et locale, et aux déroulements – les deux phases n’étant pas indépendantes –, tout cela
dans le contexte d’un établissement.

Pour aider aux préparations

Préparation globale : il est important de réfléchir à la durée de chaque chapitre, à son
organisation entre cours et exercices, et locale : il faut – et c’est ô combien
nouveau ! – choisir des cours et des exercices précis, pour chaque séance, des devoirs
maison (y compris transversaux) et des contrôles. Cette mise au point d’un « texte
complet » du savoir n’a rien de facile, et donner des moyens pour le faire aide les
débutants.

Seulement, on peut le faire de deux façons : ou en donnant des cours tout faits, des
recettes, ou en donnant des clefs (à réutiliser sans imiter la prochaine fois). C’est
vraisemblablement la combinaison des deux qui est le plus utile, d’ailleurs !
Les manuels aident aussi beaucoup, mais ne suffisent pas, parce que les objectifs
globaux n’y figurent pas – et que souvent ils sont sujets à critique. Idem pour
Internet.

Dans les moyens, il y en a de plusieurs types  : il y a des éléments liés aux
notions elles-mêmes, à leur sens et aux techniques correspondantes, à leur plus ou
moins grande nouveauté pour les élèves et à la manière de les « raccrocher  » à ce qui
a déjà été fait (compte tenu des programmes). Il s’agit d’apprendre à établir une sorte
de «  relief  » sur les notions à enseigner. Ces programmes, il faut s’habituer à les
respecter ; cela demande un certain temps, une familiarisation, une appropriation qui
ne peut pas être immédiate et qui est une activité nouvelle. Alors, si on a beaucoup
de classes différentes, c’est encore plus difficile.

Plus restreints, il y a des éléments liés au « spectre » de ce qu’il est possible de faire
utiliser aux élèves, avec les types d’exercices et leur difficulté relative – pas toujours
transparente –, la rigueur exigible dans les raisonnements, les types de
démonstrations. Il y a des éléments liés à ce qu’on sait des difficultés (déjà
répertoriées) des élèves – par exemple, en algèbre élémentaire les élèves ont du mal
jusqu’en seconde avec les calculs non numériques, alors que l’enseignant, lui, a du
mal avec les procédures arithmétiques, qu’il juge « ringardes »… Le prévenir de cela
sur place l’aide, remonter (en formation) au fait qu’il y a une discontinuité entre
arithmétique et algèbre pour les élèves, qui est une source très résistante de difficultés, l’aide aussi… Il faut presque « déconstruire » certaines connaissances, qui sont
devenues tellement naturelles pour eux que les étudiants ne conçoivent pas la
difficulté des élèves qui sont en amont de cette connaissance. Cela ne s’improvise pas
(puisqu’il faut mettre quelque chose d’opaque sur quelque chose de transparent). Ou
cela s’acquiert avec le temps, ou cela s’acquiert en formation (ou les deux, le mieux
sans doute).
MAIS, en plus, ce travail de préparation n’est pas indépendant des déroulements à
venir, qui conditionnent les préparations d’un enseignant expérimenté ; pour les
nouveaux, on doit remplacer l’expérience par des aides.

Pour aider au deuxième volet du travail : les déroulements, en classe.

Le professeur fait vivre sa préparation, l’anime tout en l’adaptant. Il est maître du
temps (source de difficultés pour les débutants) et des formes de travail des élèves
(faire changer d’activité est source de difficultés) ; il doit prendre en main et en compte
les élèves : ni trop, ni trop peu. Il est en permanence amené à improviser : pas de
GPS ici ! Mais c’est une improvisation plus ou moins réglée…
On constate d’ailleurs des caricatures chez les débutants, entre les majorations du
projet mathématique au détriment des élèves et son contraire, la dilution du projet à
cause d’une majoration des prises en compte, souvent très individuelles de surcroît,
des élèves.
En fait, l’enseignant doit ajuster sans arrêt ce qu’il a prévu à ce qu’il repère des élèves,
enrôler et maintenir dans l’activité, moduler les durées, introduire des aides souvent
intermédiaires, des explications adaptées, et exploiter tout ça, en ménageant des
moments d’exposition des connaissances. Se taire pour laisser chercher les élèves,
écouter pour les entendre dire leurs mathématiques, choisir ce qui sera dit dans tout ce
qui a pu être préparé, tout cela est nouveau pour l’enseignant débutant et peut
commencer à s’apprendre en formation.
Pour aider ainsi les débutants qui n’ont encore ni balises pour gérer le travail des
élèves, ni automatismes de gestion disponibles, ni idées globales sur les
mathématiques à enseigner et les élèves, on peut leur indiquer des repères possibles,
des phases à choisir pour ponctuer leur travail pendant la classe, en relation avec leur
préparation. On peut aussi penser que voir plusieurs choix d’enseignants pour gérer
leurs classes, sur des séances qu’ils ont eux-mêmes travaillées, contribue à leur faire
adopter un style qui leur convient. Cela demande du temps, et du temps libre.

Pour aider à la prise de fonction

Alors, tout cela veut aussi dire que, contrairement à ce que les débutants peuvent
éprouver en arrivant en classe – un sentiment de liberté, d’autonomie (enfin !) –, leur
travail est contraint. Et si leur liberté peut s’exercer, il ne faut pas qu’ils se trompent
de cible. Ils ne sont pas complètement maîtres du jeu – ils sont soumis à des
contraintes incontournables (programmes, horaires) ; ce que font les élèves ne dépend
pas que d’eux, loin s’en faut ; ils appartiennent à un établissement avec des habitudes,
des attentes (des parents notamment) ; ils ont des ressources propres qui ne sont pas
illimitées ! Les élèves aussi peuvent les « attendre au tournant », et ce constat est dur.
Bref, prendre sa fonction c’est aussi réaliser que l’enseignant n’est pas aussi « libre »
qu’il y paraît, et on peut aider les débutants, là encore, à y réfléchir, en le disant et
non pas en le cachant, voire à le transformer positivement, en apprenant à investir les
bonnes marges de manœuvre.
D’autant plus que ce travail de l’enseignant n’est évalué qu’indirectement et
partiellement, même par lui-même : la classe doit tourner (premier indice), mais cela
ne veut pas dire que les élèves réussissent (deuxième indice), ni – surtout – qu’ils
apprennent, même si des acceptions différentes du mot peuvent exister et entraîner des
choix différents des enseignants… Ne serait-ce que parce que les apprentissages sont
longs, non linéaires, et dépendent des contextes hors-classe des élèves.
Quoi qu’il en soit, une grande disponibilité des connaissances sur les mathématiques
et sur les élèves est indispensable et ne peut s’acquérir sans expérience : tous ces
gestes se tissent petit à petit.
Alors, si les prises de conscience de la nécessité de préparer son cours le plus
soigneusement possible, de la nécessité de prendre en compte les élèves, si des
connaissances sur les choix correspondants peuvent préparer le débutant à ces activités
– peut-être d’autant mieux qu’il les rattache à son vécu –, néanmoins l’expérience en
vraie grandeur est indispensable dans la construction de cette disponibilité et pour
mettre en route le développement professionnel, comme la résolution de problèmes
est indispensable à l’apprentissage des mathématiques !
Mais, dans les deux cas, l’expérience seule ou la résolution de problèmes seule
seraient beaucoup trop limitées… Pour les élèves il faut un enseignant qui fait cours,
qui réagit aux résolutions des élèves, pour les enseignants débutants il faut des
formateurs de terrain et d’autres qui se complètent.

Enfin former : comment ?

Il s’agit de déclencher des questionnements sur les pratiques existantes ou ayant
existé, des prises de conscience sur des enjeux du métier, et d’enclencher des activités,
éventuellement nouvelles pour la profession, y compris sur le long terme, adaptées à
la complexité du métier.
Former au premier volet du travail (préparation) indépendamment du deuxième, voire
avant le passage en classe, est donc un peu artificiel et nécessairement limité, ne
serait-ce qu’à cause des anticipations constantes qui accompagnent « en vrai » ce volet
du travail de l’enseignant. Cependant, cela peut se faire en partie en dehors de la
classe, notamment pendant la préparation à l’oral du capes, en dégageant certaines
contraintes institutionnelles (les programmes), en apprenant à réfléchir
« globalement » aux notions, et aussi en précisant un peu des caractéristiques des
exercices à choisir, dans le but d’outiller les décisions.
Cela peut aussi être amorcé dans des stages limités, même sans prise en main de la
classe, si c’est préparé. D’une certaine manière, cela peut soulager un peu les
débutants quand ils prennent la classe, d’avoir déjà à leur disposition, en y ayant eux-mêmes
plus ou moins réfléchi, quelques éléments sur un certain nombre de chapitres,
quelques balises pour organiser leurs cours et choisir leurs exercices.
Former aux déroulements, en revanche, ne peut se faire de façon réellement efficace sans élèves – vrais ou, au moins, simulés (par exemple grâce à des vidéos) –, et en
demandant de tenir compte des préparations.
On peut, là encore, donner quelques repères plus ou moins « pratiques » avant le
passage en classe, au niveau de gestes limités (entrée en classe, tableau, voix), ou de
difficultés « des élèves » bien connues, ou d’activités plus complexes, comme
l’engagement des élèves dans une tâche ou le repérage de leur travail, ou les différentes
formes d’aides et de relance, ou de choix de ce qui va être dit. Mais l’expérience dans
la classe, sa classe, avec toutes les recompositions et improvisations nécessaires,
semble incontournable, permettant la mise en relation indispensable entre préparation
et déroulement.
On peut sans doute tirer parti positivement de l’expérience « en vrai » des débutants
et y revenir avec eux, voire élargir un peu. Là encore, une expérience limitée peut
sans doute être préparée et exploitée avec une petite efficacité, mais il est difficile de
se passer d’une expérience longue, par exemple pour apprendre à anticiper sans réduire
ce qu’on propose aux élèves.
J’ai expérimenté pendant des années le fait que les étudiants de licence qui sont
envoyés en stage, après une préparation sur les contenus, réussissent à préparer un
cours, mais se trompent très systématiquement, à la fois sur ce qui est facile et sur
ce qui est difficile pour leurs élèves ! Il faut une formation combinée avec l’expérience
pour optimiser les choix. De même, alors que je fais toujours travailler en petits
groupes dans mes TD et que les étudiants en sont très contents, ils ne transfèrent que
très rarement ce mode de gestion dans leur propre classe. Le transfert n’est pas
automatique !
L’hypothèse que nous suggérons est d’avoir des créneaux où on peut aborder le travail
de l’enseignant dans tous ses aspects, dans toute sa complexité, à partir de séances en
classe limitées.

Conclusion.

Jusqu’à maintenant, la formation en PLC2 jouait sur un panachage entre expérience
en vraie grandeur, d’une année, et des accompagnements avant et après, à la fois sur
le terrain et en séances collectives. Avec l’écriture d’un mémoire permettant de creuser
un point de l’expérience et de revenir dessus. Même si ce système comportait des
imperfections, il permettait de former des enseignants opérationnels, susceptibles de
continuer à se former par la suite. L’expérience montre d’ailleurs des évolutions chez
les stagiaires : il faut quelques mois pour que la classe tourne, etc.
Les matheux font travailler les préparations seules, et c’est important ; les
pédagogues font travailler les déroulements seuls, et c’est aussi important, tout
comme le fait d’avoir des connaissances sur les apprentissages et les jeunes. Mais cela
ne suffit pas dans la pratique.
La formation « sur le terrain » y contribue mais n’y suffit pas, pas plus que la
formation dite « académique » à elle seule, dans la mesure précisément où ce qui est
au cœur du travail de l’enseignant, ce qui en est l’enjeu, est cette imbrication difficile
des prévisions de contenu et de gestion et des déroulements. Il en faut des choses pour
former des enseignants efficaces !

Le conte des chapeaux plats et des chapeaux pointus (l’union fait la force)

Claudie Asselain-Missenard

C’était il y a longtemps. Les dinosaures broutaient encore dans les prairies. À cette
époque, le monde était simple. Quand on voulait enseigner les mathématiques, on les
apprenait. Et puis, après, on les enseignait.

Ensuite, le monde est devenu moins simple. D’abord, il y avait beaucoup de
mathématiques. On ne pouvait pas les apprendre, mais juste en apprendre. Et puis, il
devenait aussi plus compliqué d’enseigner.

Alors, timidement, les apprentis – comme tous les apprentis en ce monde – sont allés
regarder leurs aînés, ceux qui savaient faire, pour apprendre d’eux.
Et, sagement au
fond de la classe, ils regardaient et, après, ils imitaient.
Mais le monde se compliquait encore et cela ne suffisait plus.
Vinrent alors des gens, avec sur la tête de noirs chapeaux pointus, qui affirmèrent :
« Nous devons y regarder de plus près. Étudier les mathématiques que vous enseignez
afin de comprendre ce qui se passe quand vous les transmettez
 ».
Inutile de dire que les enseignants regardèrent avec un brin de scepticisme ces
nouveaux arrivants. Surtout que la gent au chapeau pointu s’aperçut assez vite que les
choses étaient plus compliquées qu’elles n’en avaient l’air. Il fallait étudier non
seulement les mathématiques qu’on voulait enseigner, mais tout un tas d’autres
choses : les contenus, mais aussi les déroulements, les liens entre les activités des
élèves et leurs apprentissages, les pratiques des enseignants et aussi les contraintes
sous lesquelles ils exerçaient leur ministère et bien d’autres choses encore… Bref, leur
innocente curiosité de chercheurs les menait très loin. Et en même temps très près
des préoccupations de la communauté préexistante des enseignants de terrain.
Ceux-ci continuaient à les regarder faire avec étonnement. D’abord parce qu’ils avaient
l’impression que les gens au chapeau, de l’extérieur, ne faisaient que redécouvrir ce
que eux, de l’intérieur, savaient depuis longtemps. D’où le savaient-ils ? Sans doute
de leur pratique consciente du métier, ce qu’on appelle l’expérience. Et aussi parce que
les gens à chapeau, avec leur modestie légendaire, disaient : « Attention, nous
sommes là pour analyser les choses, pas pour vous dire comment faire
 ». Du coup,
les enseignants trouvaient leur activité un tantinet bizarre, vaguement
incompréhensible. Cette impression était renforcée par le fait que, comme il arrive
toujours quand les gens portent chapeau, ces derniers s’étaient mis à former une
communauté, avec son langage, ses codes et ses dissensions, qui bien sûr surprenaient
les autres, qui se sentaient soudain ignares et décalés.
Pourtant, il advint que les deux engeances furent amenées à se rencontrer. En effet,
comme je vous l’ai dit au début, les dinosaures n’étaient plus là et le monde devenait
carrément compliqué. Et on ne pouvait pas laisser la belle jeunesse, bras ouverts et
tête vide – ou pleine d’illusions, ce qui revient un peu au même –, se lancer dans la
carrière. Il fallait la FORMER. Et le monde se compliquait tellement vite que même ceux qui exerçaient le métier depuis longtemps avaient besoin d’aide. Et c’est sur ce
terrain nouveau de la formation que gens du métier et gens de la recherche furent
amenés à cohabiter, devant unir leurs efforts pour aider les pratiquants, futurs ou
présents, à mieux exercer leur métier. On inventa alors un corps intermédiaire, que
l’on munit d’un couvre-chef noir, mais cette fois-ci en forme de casquette. Les
membres de ce corps étaient soit des enseignants expérimentés qu’on avait
simplement casquettés pour la circonstance, soit des gens à chapeau pointu qui
avaient juste eu à s’asseoir sur leur couvre-chef pour l’aplatir un peu.
Bref les gens
à casquette étaient des sortes de truchements qui, parlant la langue des deux
communautés, pouvaient les rapprocher.
Et là, ils s’aperçurent qu’ils avaient des choses en commun. Que ce qu’ils savaient et
disaient n’était pas contradictoire, mais complémentaire. Et qu’ils pouvaient unir
leurs efforts pour avancer ensemble vers un objectif commun : que les mathématiques
soient enseignées de leur mieux par des préposés armés au mieux pour exercer leur
difficile mission.
Les gens à chapeau pointu apportaient aux nouveaux casquettés des mots pour dire
les choses, des descriptions emblématiques, des classifications. Ils leur apportaient
une généralisation de leurs observations personnelles. Ils apportaient des outils, des
ressources qui agrandissaient la palette des possibles. Leur regard extérieur éclairait et
complétait ce que le formateur issu du terrain avait acquis de par son expérience.
Celui-ci, enrichi de cette confrontation entre la pensée théorique et son expérience
pratique, se trouvait mieux armé pour transmettre la complexité des choses et aider
l’enseignant, sinon à la maîtriser, du moins à mieux la comprendre.

Mais voilà qu’on me dit que, dernièrement, sont arrivés des gens en
costumes et cravates, qui, au vu de tous ces couvre-chef coûtant finalement
fort cher, ont décidé que les gens iraient tête nue. Et que la réintroduction des
dinosaures serait, par ailleurs, à l’étude…

À l’heure où les princes qui nous gouvernent veulent – cela fait partie de leur
responsabilité – s’intéresser à la manière dont sont formés ceux qui instruiront à la
fois les petits princes et les manants du royaume, c’est plus que jamais le moment de
rappeler qu’il y a rarement de solution simple aux problèmes compliqués.

On ne peut pas revenir au temps béni des dinosaures. Le métier d’enseignant en
France au XXI° siècle est un métier difficile et complexe. Nous avons la
responsabilité d’armer les jeunes qui, malgré ces difficultés, l’aiment et le choisissent.

Nous sommes convaincus que tout déséquilibre ou toute réduction de leur formation
seraient grandement dommageable. Chacun de nous, quel que soit son couvre-chef,
détient un apport spécifique. Et personne n’a rien à gagner à ce que les acteurs de la
formation se dressent les uns contre les autres. C’est en mettant en commun des
compétences qui s’éclairent mutuellement, et non en les opposant, que nous
progresserons ensemble, à petit pas.....
<redacteur| auteur= 13>

Notes

[1Professeur de collège, claudie.m@club-internet.fr

[2Professeur à l’IUFM de Versailles - UCP, équipe de didactique LDAR,
robert@math.uvsq.fr

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