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La formation des futurs professeurs de mathématiques en Allemagne

Klaus Volkert [*]

Écrire sur la situation allemande est difficile parce que la formation des futurs
professeurs y est située sous la responsabilité des « Länder ». Par conséquent il
n’existe pas un système allemand unique, mais seize systèmes plus ou moins
différents. Bien sûr il existe des accords entre les Länder, mais ça ne donne qu’un cadre
assez vague. De plus la formation des futurs professeurs est en train d’être modifiée
profondément par l’introduction du système LMD [1]
. Donc je vais me restreindre dans
le texte qui suit aux caractéristiques plus ou moins communes à tous les Länder.

Un petit tour d’horizon du système éducatif allemand

Comparé à la France il existe deux différences importantes : en Allemagne on a
plusieurs types d’enseignement scolaire après l’école primaire – donc on a plusieurs
types de professeurs. Et, de plus, la grande majorité des professeurs allemands est
formée en deux disciplines. Donc il n’y a pas le professeur (soit masculin ou féminin)
de mathématiques. C’est toujours quelqu’un qui peut également enseigner soit la
physique (la combinaison traditionnelle), soit une autre science, soit le sport ou la
géographie ou la musique, etc.

En Allemagne on distingue plusieurs types de professeur : on a le professeur d’école
qui enseigne à l’école primaire qui comprend quatre classes de 6 à 10 ans environ, le
professeur de collège qui comprend cinq ou six classes de 10 à 16 ans environ et le
professeur de lycée (le « Gymnasium »), comprenant huit ou neuf classes de 10 à 18
ans environ. Pour un élève allemand de 10 ans il y a trois possibilités : il peut passer
soit à la « Hauptschule », soit à la « Realschule », soit au « Gymnasium ». Afin
d’éviter ce choix – qui n’est pas un choix libre parce qu’il faut avoir des mentions si
on veut être accepté par la « Realschule » ou par un lycée –, quelques Länder ont
introduit un nouveau type d’école appelé « Gesamtschule » qui comprend tous les
élèves entre 10 et 16 ans [2]
. Donc la « Gesamtschule » est l’équivalent du collège
unique français. De plus il y a un enseignement spécialisé pour des élèves en difficulté
y compris les élèves handicapés (les aveugles, les sourds, etc.) et un enseignement
professionnel. Le dernier est obligatoire pour tous les jeunes qui font une formation
professionnelle. La structure de la formation professionnelle est duale en Allemagne,
c’est-à-dire le (ou la) jeune travaille dans une entreprise (une boulangerie, un coiffeur,
un garage, une banque, etc.) trois ou quatre jours par semaine et suit un enseignement à la « Berufsschule » un ou deux jour par semaine. Par conséquent on n’a pas qu’une
formation de professeur, mais cinq. Multiplié par 16 (le nombre des Länder), cela
donne 80 ! Voilà la situation allemande.

Je vais décrire la situation telle qu’elle se présente actuellement, c’est-à-dire après
l’introduction du système LMD qui n’est pas encore achevée dans tous les Länder.
Autrement dit : la situation que je vais décrire est partiellement virtuelle. Je vais
m’orienter vers la situation donnée en Nordrhein-Westfalen (NRW) pour deux
raisons : c’est le Land le plus grand d’Allemagne (à peu près 1/5 des allemands habite
NRW) et c’est le pays où je travaille.

La formation des professeurs en Allemagne, ancien système

Autrefois la formation des différents types de professeurs était confiée à plusieurs
types d’institutions. Il y avait une formation à l’université seulement pour les futurs
professeurs de lycée ; par contre les autres étaient formés à une « Pädagogische
Hochschule » (PH – comparable aux Écoles normales en France). Dans les années
1980, tous les Länder – à la seule exception de Baden-Württemberg – ont intégré les
PH dans les universités. Par conséquent on peut constater que tous les professeurs ont
une formation universitaire. Mais il y avait une différence importante du fait que la
formation des professeurs de lycée était plus longue que celle des autres professeurs
(neuf semestres au lieu de sept) et par conséquent une différence dans les salaires. Avec
le système LMD, tous les futurs professeurs ont une formation de 10 semestres et –
par conséquent – un salaire égal. C’est une innovation importante en Allemagne et,
pour le moment, on n’en sait pas encore les détails exacts. Après la formation
universitaire, il y a une formation comme stagiaire (en allemand, « Referendar »)
d’une durée de 18 mois. Pendant ce stage, les jeunes professeurs commencent à
enseigner d’abord en présence d’un professeur expérimenté et, après quelques mois, ils
sont livrés à eux-mêmes dans une proportion réduite (normalement les heures d’un
poste à mi-temps). De plus il y a une formation théorique – une sorte de séminaire
– dans les deux disciplines choisies et un séminaire de pédagogie générale (là on traite
aussi les aspects juridiques de la vie scolaire, etc.).

La formation des professeurs en Allemagne, nouveau système

Premier niveau : un Bachelor pour tous les enseignants

Selon le nouveau système un futur professeur de n’importe quelle orientation passe
par le « Bachelor  » (c’est l’équivalent de la licence en France, c’est-à-dire la formule
bac plus trois) qui dure trois ans ou six semestres. En majorité le « Bachelor »
comprend des études de mathématiques ; il y a quelques éléments pratiques là-dedans
(deux stages : un stage dans une école ou dans un lycée de quatre ou six semaines
[pendant lequel on assiste à l’enseignement d’un professeur] et un stage à une place
quelconque, par exemple dans l’industrie). Ces stages sont considérés comme offrant
aux étudiants la possibilité de réfléchir encore une fois au choix professionnel que
représente la carrière d’un futur professeur. On pense que ce choix est souvent fait à
la base d’une idée fausse ou peu réaliste de la vie professionnelle d’un professeur. Il y a des différences dans le « Bachelor » selon les différents types de professeur.

Pour les futurs professeurs de lycée, les mathématiques comprennent deux cours
d’analyse et deux cours d’algèbre linéaire, plus un cours de théorie des probabilités y
compris la statistique. On peut compléter ces études des mathématiques par un ou
deux cours de mathématiques au choix [par exemple : fondements de la géométrie, la
théorie des fonctions de variable complexe, l’optimisation linéaire, etc.]. De plus il
y a un cours introductif à la didactique des mathématiques [3]
où l’on parle des
généralités (comme l’histoire de l’enseignement, ses buts, les manières dans
lesquelles on peut organiser l’enseignement en classe [activités des élèves, le rôle de
l’enseignant, etc.]). Les études en mathématiques valent 76 points de crédit [4]
, les
études dans le second domaine aussi. De plus il y a 18 points dans un domaine général
appelé « Optionalbereich » où on peut choisir des cours d’une nature
interdisciplinaire. L’idée en est d’élargir l’horizon des jeunes professeurs en leur
fournissant des informations sur d’autres sujets (il y a, par exemple, un cours intitulé
« Les idées principales des mathématiques » destiné aux étudiants qui n’ont pas choisi
les mathématiques comme sujet). À la fin des études du « Bachelor », les étudiants
sont obligés de rédiger une thèse [5]
d’environ 40 pages (en deux mois). Les sujets sont
au choix (dans des limites raisonnables) – on peut y traiter un sujet didactique (comme
l’introduction de la dérivée ou la modélisation d’un processus de croissance) ou un
thème mathématique (comme la théorie des aires des polygones ou le volume d’une
pyramide).

Pour les futurs professeurs des autres écoles (à l’exception des écoles
primaires)
, on offre une formation mathématique plus élémentaire comprenant la
géométrie, l’arithmétique et l’algèbre, quelques éléments d’analyse et/ou d’algèbre
linéaire et des mathématiques appliquées. Eux aussi ont le cours introductif de
didactique. En plus il y a toujours des cours dans une autre discipline, par exemple la
physique. La répartition des points de crédit est la même que celle des futurs
professeurs de lycée (76/76/18). De plus il y a quelques éléments variés comme des
travaux pratiques avec l’ordinateur, un séminaire dans lequel les étudiants préparent un
sujet à enseigner, etc. Le « Bachelor » se termine par la rédaction d’une petite thèse
sur un thème choisi par le futur professeur – c’est souvent un thème lié à
l’enseignement (par exemple la « dyscalculie », l’introduction des nombres relatifs ou des fractions, l’ethno-mathématique [la géométrie des somas] dans l’enseignement,
etc.). La rédaction se fait pendant deux mois sous la surveillance d’un professeur
d’université, les essais sont en moyenne de 40 pages.

Pour les professeurs des écoles primaires, un « Bachelor » particulier est prévu.
Dans le passé ces enseignants étaient formés comme les professeurs des autres écoles.
Mais, à l’avenir, ils feront des études avec plus de pédagogie et plus de sujets. Ils sont
obligés de choisir soit les mathématiques, soit l’allemand, et ils ont une formation
réduite dans le sujet non choisi. Ainsi tout le monde dispose d’une formation en
mathématiques et en allemand – considérés comme les sujets les plus importants à
l’école primaire.

Au début, l’idée était que le « Bachelor » soit un examen polyvalent, c’est-à-dire un
examen qui n’a pas d’éléments spécifiques de la formation d’un futur professeur ou
d’un futur employé industriel ou d’un futur chercheur ou … Il semble que cette idée
soit révisée maintenant parce qu’on a un tout petit bout d’enseignement de didactique
dans le « Bachelor » lui-même. Pour le moment, on peut constater que le « Bachelor »
n’est pas (encore ?) établi comme un examen qui sert à grand-chose. Il semble que
c’est un échec politique.

Deuxième niveau : un master spécialisé pour tous les enseignants

Dans le cadre du « Master  », la formation des futurs professeurs est une formation
spécialisée, c’est-à-dire qu’elle se distingue considérablement de la formation des
futurs chercheurs en mathématiques et des mathématiciens qui iront dans l’industrie,
etc. Pour le futur professeur de lycée, on aura des cours de didactique d’analyse, de
l’algèbre linéaire, des applications des mathématiques (actuellement les « modèles »
sont très à la mode) y compris les probabilités ; à certain endroits (comme à
Wuppertal, mon université) on a aussi des cours en histoire des mathématiques. Pour
les futurs professeurs des autres écoles, on enseigne la didactique de l’arithmétique
élémentaire [surtout pour les futurs professeurs des écoles primaires] ou des fractions
[pour les autres professeurs], la didactique de la géométrie (surtout synthétique), la
didactique des mathématiques appliquées (appelée « Sachrechnen »), etc. Pendant le
« Master », il y a une période de six mois (c’est-à-dire d’un semestre) pendant laquelle
les étudiants sont en stage dans une école ou un lycée. Pendant cette période, ils
suivent des cours et s’orientent dans la vie scolaire. Bien sûr il y a aussi la possibilité
de donner quelques heures. Ce stage est précédé d’un séminaire préparatoire où on parle
des thèmes comme « Comment faire le planning d’un cours ? », « Comment
l’organiser ? », « Comment utiliser les manuels scolaires ? », « Comment construire
les travaux dirigés ? », etc. Encore une fois, il y a aussi quelques cours qui sont au
choix – par exemple des cours spécialisés en mathématiques ou en histoire des
mathématiques. Le « master » se termine par une petite thèse sur un sujet choisi par
le futur professeur. Les thèmes et les conditions sont plus ou moins les mêmes que
dans le cas de la thèse du « Bachelor ».

Après le « master », il y a la possibilité de passer un doctorat en didactique des
mathématiques (c’est le format bac plus huit). Un grand problème de la formation des futurs chercheurs en didactique est le suivant : la nomination d’un professeur des
universités demande une expérience dans l’enseignement scolaire de trois ans. Pour
arriver à une telle expérience, il faut normalement passer le « Referendariat » de deux
ans. Après on travaille trois ans dans l’enseignement. Cela fait cinq ans d’absence du
cadre scientifique. On peut s’imaginer qu’un retour sous de telles conditions est très
difficile et très rare.

Les professeurs allemands sont des fonctionnaires des « Länder ». Il faut savoir que
les fonctionnaires allemands ont un statut assez particulier, ils n’ont par exemple pas
le droit de faire grève. L’état est obligé de s’occuper de ses fonctionnaires d’une
manière particulière. Les fonctionnaires ne sont pas menacés de chômage, ils ne
peuvent pas perdre leur poste (sauf comme conséquence d’une sentence d’un tribunal).
Un professeur est nommé comme fonctionnaire seulement après avoir passé le
« Referendariat ». S’il y a plus de candidats que de postes, le ministère fait un choix
selon les mentions des candidats. Il y a aussi la possibilité d’être nommé sur la base
d’une présentation à l’institution (lycée, école, etc.) qui cherche un professeur.

En somme on peut constater que les études des futurs professeurs sont devenues
beaucoup plus pratiques qu’avant. C’est vrai surtout des futurs professeurs des lycées.
Mais comme je l’ai déjà souligné, en Allemagne on se trouve dans une situation
transitoire pour le moment. Les changements introduits par le système LMD sont
beaucoup plus graves en Allemagne qu’en France parce que l’ancien système allemand
n’était que peu compatible avec le LMD.

Exemples de curricula :

Le « curriculum » d’un futur professeur de lycée (en maîtrise)

À ces modules et séminaires s’ajoutent éventuellement :

– le mémoire de Bachelor : 10 ECTS,

– un module d’analyse ou de probabilités valant chacun 9 ECTS.

Le « curriculum » d’un futur professeur d’école (en maîtrise)

Pendant les études approfondies, 36 ETCS par le choix d’un profil de la liste
suivante :

A. profil « Vermittlung » (instruction),

B. profil « Strukturen mathematischer Denkweisen » (structures de la pensée
mathématique).

Profil A :

Profil B

Somme totale : 76 ETCS

À ces modules s’ajoute éventuellement le mémoire de Bachelor : 10 ECTS

<redacteur|auteur=511>

Notes

[*Université de Wuppertal, klaus.volkert@math.uni-wuppertal.de

[1Licence (Bac ⊕ 3), Master (Bac ⊕ 5), Doctorat (Bac ⊕ 8)

[2La controverse autour de la « Gesamtschule » – c’est á dire une école pour tout le monde
– et la différenciation de plusieurs types d’écoles (Hauptschule, Realschule, Gymnasium)
est une constante de la politique allemande depuis des décennies.

[3Il faut constater que le terme « didactique des mathématiques » a des significations assez
différentes en français et en allemand. En allemand, la didactique est une discipline qui
s’occupe des questions concrètes de l’enseignement et en particulier des matières
enseignées. Par exemple on étudie la structure d’un champ comme l’algèbre – avec quoi
commence-t-on, quels sont les modèles qu’on peut offrir aux élèves, quelles sont les
difficultés typiques dans la compréhension d’une matière (p.e. les variables), l’utilisation
de l’ordinateur, la communication y compris le langage spécifique, les outils fournis par
l’algèbre pour la solution des problèmes plus ou moins concrets [p.e. la règle des trois],
l’histoire comme outil de l’enseignement, … En général, on peut constater que la
didactique allemande est l’analyse des mathématiques scolaires sous la perspective de son
enseignement. Actuellement un grand thème de la didactique est la modélisation.

[4ECTS : European Credit Transfer System.

[5On utilise plutôt le terme mémoire dans le système éducatif français.

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