Bulletin Vert n°476
mai — juin 2008

La question de cours au baccalauréat

Pourquoi nous attarder à piétiner un ancien régime qui est mort [1] ? Il est vrai que sa mort n’est peut être que provisoire et que viendra peut être un jour où
l’on ramènera cet ancien régime.

A. Decerf, Secrétaire de l’A.P.M.E.S.P. de 1924 à 1928 [1, p. 139]

 

Le baccalauréat constitue sans aucun doute l’un des sujets les plus débattus au sein de l’A.P.M.E.P., tout au long de son histoire. Il n’est bien entendu pas question de dresser un état des lieux des différentes positions de l’Association concernant cette question qui est par ailleurs en cours. Les modalités d’organisation et de contenu du premier examen universitaire sont parmi les deux premières questions dont se préoccupe l’association dès sa création en 1910. Dans ce sujet très vaste, nous nous intéresserons ici à la problématique de la question de cours posée à l’examen qui, à elle seule, apparaît dans plus d’une vingtaine de Bulletins entre 1910 et 1961, année de sa disparition. Les positions des différents intervenants de l’A.P.M.E.P. sur ce sujet sont très variées, tout au long de cette période qui débute en 1912 par la proposition de M. Huard d’ajouter aux questions à l’étude la proposition de la « suppression de la question de cours et de son remplacement par des problèmes très faciles qui seraient des applications directes du cours » [3, p. 9]. Nous présenterons notamment, au travers d’exemples tirés des différents Bulletins, les arguments des partisans et opposants à son maintien.

La question de cours posée en mathématiques au baccalauréat est supprimée dans toutes les séries à partir de la session 1961. Dans la circulaire du 5 janvier 1961, il est précisé : [2, p. 322]

La suppression de la question de cours de mathématiques, dans toutes les séries, constitue une innovation importante. Sans doute la « question de cours », lorsque le sujet en était bien choisi, pouvait apporter à l’examinateur un élément de jugement non négligeable, mais la déformation inévitable, l’usure qu’elle avait subie à la longue, rendait souhaitable sa disparition.

Si la suppression est présentée comme une innovation importante, c’est bien parce que la communauté des professeurs de mathématiques est restée depuis le début très divisée sur ce sujet. La proposition de M. Huard en 1912 reprise par M. Pouthier lors de l’assemblée générale du 14 avril 1912 est repoussée [4]. La demande était motivée par l’expérience d’examinateur au baccalauréat présentée par M. Pouthier qui la justifie par le traitement par cœur, parfois copié qu’en font les candidats. Ce sentiment est renforcé par le témoignage en 1923 d’un professeur d’Alger qui indique « qu’il est fréquent de rencontrer des copies présentant une question de cours presque parfaite et un problème à peine ébauché » [5, p. 119]. Il est donc ici davantage question du niveau des élèves face à l’épreuve du baccalauréat qui paraît mal évalué avec la question de cours. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, on trouve encore une forte opposition à la suppression lors de l’assemblée générale du 27 décembre 1945. La proposition de Gilbert Walusinski qui envisage de supprimer la question de cours trouve « un grand nombre de professeurs présents qui s’y montrent opposés ». L’argument opposable réside dans le fait que la question de cours est un moyen pour les professeurs de faire travailler les élèves tout au long de l’année et de leur faire apprendre leur leçon. Ainsi, l’attachement à la question de cours est indéniable et c’est davantage dans sa forme et son contenu que l’on doit chercher les raisons des demandes successives de suppression plutôt que dans une inutilité pédagogique qui ne semble d’ailleurs pas être en cause.

Il faut tout d’abord distinguer différentes questions de cours. Dans un rapport de 1922 [6, p. 101], A. Decerf en distingue plusieurs :

  • Des questions qui sont éducatives, c’est à dire « retenues parce qu’elles ont de nombreuses applications ultérieures ». Pour le futur secrétaire de l’Association, il s’agit des définitions et des méthodes générales mais qui devraient être accompagnées d’exercices pratiques.
  • Des questions dont l’utilité est contestée comme les théorèmes sur les droites et plans perpendiculaires qui nécessitent un très gros effort de mémorisation. Ainsi, « son bachotage [2], synonyme de mémoire, a pour effet de niveler les bons et les médiocres ».
  • Des questions qui sont «  particulièrement terribles par leur brutalité car elles fauchent aussi bien le bon que le mauvais ». Il s’agit ici des questions relatives aux formules de volumes, d’aires ou de trigonométrie. A. Decerf propose plutôt d’utiliser un formulaire et d’apprendre aux élèves à l’utiliser correctement.

On le voit, la question de cours est multiple et son existence n’est pas remise en cause à condition de proposer des adaptations. De plus, la critique récurrente dans les années qui suivent et qui engendre des propositions régulières de suppression, consiste principalement à lui reprocher soit sa mauvaise formulation, soit son caractère trop vague et parfois même hors programme. Il s’agit donc davantage pour l’A.P.M.E.P. de dénoncer une certaine négligence dans la confection des sujets de baccalauréat que de remettre en cause une légitimité de la question de cours. C’est ce qu’indique É. Weill [3] dans un rapport daté de 1922 [6, p. 103] qui montre que la question de cours est souvent mal posée : « On a conservé l’habitude dans certaines facultés de transcrire une ou plusieurs lignes du programme ». Ainsi, certains sujets libellés « Aire de la sphère », « Volume du tronc de prisme triangulaire », ne permettent pas aux élèves de limiter leur sujet. Cette critique est encore formulée en 1925 [7, p. 88] par des exemples que présente le rapport de A. Decerf sur le baccalauréat. Des questions dont le sujet est très mal délimité comme « Volume de la pyramide », ou carrément hors programme comme «  connaissant sin a, calculer sin a/2 et cos a/2 » depuis 1902 ou « Résoudre un triangle connaissant deux côtés et l’angle opposé à l’un d’eux » depuis 1912, provoquent de véritables réactions d’indignation dans les rapports de l’Association.

Cette réflexion se poursuit et débouche dans un rapport de M. Dumarqué présenté à l’assemblée générale de 1927 [8, p. 111], par une distinction entre la question de cours posée à la première partie du baccalauréat où sa disparition semble « discutable, car on craint que sans question de cours, la majorité des élèves se borne à emmagasiner des formules et des résultats sans étudier le fond même des cours ». En revanche, il semble que « la suppression de la question de cours à la deuxième partie est désirée par la plupart d’entre nous ». Le vote des adhérents tranche en faveur du maintien de la question à la première partie du baccalauréat et ne dit rien de la seconde qui continue ainsi à exister malgré tous les défauts qui lui sont attribués.

Entre 1926 et 1934, de très nombreux rapports, signés principalement par A. Decerf, sont centrés sur une étude des différents sujets du baccalauréat. Une bonne partie de ces rapports est consacrée à la qualité des questions de cours posées dans les différentes Facultés. C’est une période où la question de cours est souvent mise au pilori mais qui ne soulève toutefois pas de demande pressante de suppression.

À partir de la présidence de M. Desforge en 1934, on ne voit plus dans les bulletins de volonté de suppression. La réflexion de l’A.P.M.E.P. au sujet des questions de cours s’oriente principalement vers la demande d’une plus grande précision des programmes « précisant nettement les questions qui doivent être connues des candidats aux deux parties du baccalauréat ». D’après les instructions du 13 décembre 1928, chaque question doit être choisie de telle façon que sa rédaction n’excède pas le quart de la durée de l’épreuve et que le sujet soit très nettement délimité [9, p. 127]. Or M. Benoit qui a pris la suite de M. Decerf dans l’étude critiques des sujets du baccalauréat, présente des questions qui ne sont pas traitables dans le temps indiqué : « Cas d’égalité des trièdres », « Progressions arithmétiques et progressions géométriques », « Sections planes d’un cône de révolution ». Ces critiques sont sans interruption jusqu’après la seconde guerre mondiale même si on constate qu’une certaine amélioration de leur rédaction est soulignée par les rapporteurs de l’Association, pour certaines «  rédigées avec un soin extrême qui n’exclut pas la difficulté ». D’autres prêtent même à plaisanterie comme l’indique le rapporteur, en donnant l’exemple de la question « Relations entre coefficients et racines d’une équation du second degré qui peut être résolue aussi bien par les formules \(x = \frac{-b\pm\sqrt{\Delta}}{2a}\) par les formules qui donnent la somme et le produit ».

On peut dire que la suppression de la question de cours n’a jamais été une injonction de l’Association. Le sujet a très largement été débattu mais n’a jamais vraiment été tranché dans le sens des uns ou des autres. Les rapports des assemblées générales, écrits par les différentes personnalités de l’A.P.M.E.P., ont présenté les différents points de vue des partisans et des opposants. Mais à la veille de la suppression officielle de la question de cours, l’assemblée générale de 1960 [10, p. 225] précise : « toutes nos discussions n’ont pu jusqu’ici trancher entre partisans et adversaires de la question de cours ». Ces rapports qui constituent la pensée de l’Association, ont toujours été suivis par un renoncement à sa suppression.

Cela semble indiquer un attachement des enseignants du secondaire à son existence qui n’empêche pourtant pas sa disparition effective en 1961. Mais, comme un clin d’oeil à la proposition de l’accompagnement de la question de cours par un exercice pratique ou relevant d’une application directe proposée dès le début par M. Huard et reprise tout au long de ces années, la circulaire de 1961 propose in fine une structure qui permette aux candidats « d’appliquer correctement les diverses notions acquises et de les mettre en œuvre pour en démontrer ou en découvrir quelques conséquences simples ».

Bibliographie :

[1] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement
secondaire public [4], no 65, avril 1930.
[2] Bulletin- APMEP, no 214, janvier 1961.
[3] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, no 5, janvier 1912.
[4] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, no 7, juin 1912.
[5] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, no 30, avril 1923.
[6] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, no 25, avril 1922.
[7] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, no 45, avril 1926.
[8] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, no 50, avril 1927.
[9] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, no 89, avril 1935.
[10] Bulletin- APMEP, no 206, mars 1960.

 

Notes

[1Il est question ici pour M. Decerf, de l’égalité scientifique qui entre dans les programmes en 1925.

[2Le mot est utilisé dans le texte.

[3Émile Weill est Président de l’A.P.M.E.P. de 1925 à 1926 et occupe une place importante dans les postes et les Bulletins de l’Association.

[4Les dénominations exactes du bulletin de l’A.P.M.E.P. au Catalogue collectif des périodiques sont celles-ci, selon les années de publication. Cela m’a été communiqué par Jacques Borowczyk. Qu’il en soit aimablement remercié.

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