442

Laurent Schwartz, professeur, réformateur et militant Nécrologie

Le mathématicien Laurent Schwartz, né en 1915 à Paris, ancien élève de l’ENS, médaille Fields en 1950, membre de l’Académie des sciences est mort le jeudi 4 juillet 2002. Il avait fondé en 1966 le Centre mathématique de l’école polytechnique, dont il a été le premier directeur.

 

La disparition de Laurent Schwartz le 4 juillet dernier laisse un grand vide, non seulement dans la communauté internationale des mathématiciens, dans la foule de ses anciens élèves, universitaires, ingénieurs, hauts fonctionnaires, mais aussi dans le coeur de tous les opprimés du monde entier.

Il n’est pas possible de décrire en quelques lignes ses apports décisifs à la mathématique et la physique d’aujourd’hui, qui lui ont valu la médaille Fields en 1950 et trois prix de l’Académie des Sciences dont il était membre depuis 1972. Il faut aussi mentionner son rôle exigeant chez Nicolas Bourbaki avec lequel il n’était pas toujours d’accord, sa persévérance à reformer l’École Polytechnique dans un contexte hostile, la profondeur et la lucidité de son analyse sans fard de l’enseignement et du développement scientifique pour la « commission du bilan » en 1981 et surtout son opiniâtreté à dénoncer injustices, exactions ou totalitarisme en Algérie, Viêt-nam, Union Soviétique, Afghanistan, Chili, Bolivie, Uruguay ...

Heureusement, outre son monumental cours d’analyse à l’École Polytechnique (1967-1993) utilisé jour après jour par les étudiants de maîtrise et les agrégatifs, ses traités fondamentaux ou à l’intention des physiciens sur la théorie des distributions, réédités moins d’une dizaine d’années après leur découverte, les actes de son séminaire (illustrés de papillons), ses ouvrages sur la nécessaire réforme des universités, écrits et mis en oeuvre au Comité National d’Évaluation dont on lui avait confié création et présidence en 1985, il avait écrit et publié il y a cinq ans chez Odile Jacob le premier volume de ses souvenirs, un mathématicien aux prises avec le siècle, le second devant être consacré à sa collection de papillons, l’une des plus riches de France. Comme le titre l’indique, on y trouve un témoignage très vivant et sincère de la vie des mathématiciens tout au long de ce siècle au milieu des drames, des guerres, des génocides et des révolutions. Particulièrement passionnant, le chapitre où il décrit en détail la découverte des Distributions, du long travail préparatoire à la fulgurance de la nuit finale.

J’ai recherché ses contributions à notre Bulletin et, sans prétendre être exhaustif, j’en ai retrouvé cinq couvrant la période 57-63 qui suit immédiatement celle où j’ai eu le privilège d’être son assistant et de vivre l’enchantement de ses cours préparés avec minutie pour aller droit à l’essentiel et de réaliser combien il était à l’écoute de ses étudiants qui le vénéraient.

Le n° 184 publie une conférence langage et mathématiques faite à Sévres en novembre 57, le 185 reproduit un article de « l’École du grand Paris » Tendances des mathématiques modernes classification, structures, le 191 la rédaction par Lucienne Felix de la dixième conférence du cycle de Topologie organisé par la SMF et l’APM : Topologie algébrique : éléments d’ homologie, le 223 donne l’analyse par Gilbert Walusinski qui rédige alors le Bulletin, de Méthodes mathématiques pour les Sciences Physiques qui vient de sortir chez Hermann après une première édition polycopiée et qui sera abondamment réédité ; enfin le n° 233, après un article de Jean Itard sur son grand oncle Jacques Hadamard, publie la traduction française d’une conférence interaméricaine : le rôle des mathématiques en physique vu sous l’angle de l’éducation scientifique.

Ces textes doivent être replacés dans le contexte d’une « réforme en marche » mais on y trouve encore aujourd’hui matière à réflexions sur cette réforme, quarante ans plus tard. Laurent Schwartz était très sévère, écrivant à propos de Bourbaki :

Bourbaki ne prétend pas avoir une fonction didactique. Son introduction dans le secondaire serait une catastrophe. C’est en croyant s’inspirer de Bourbaki que certains mathématiciens zélés ont introduits les prétendues mathématiques modernes dans l’enseignement secondaire. Bourbaki n’y est absolument pour rien et l’a même, en général, ignoré. On a introduit un grand nombre de termes abstraits à la place de mots concrets que tous les jeunes pouvaient aisément comprendre. Pierre Samuel a raillé cette attitude en parlant des « hyperaxiomatiseurs en mal de généralisation ». Les ravages causés par l’introduction des dites mathématiques modernes furent une catastrophe internationale de grande envergure, mais plus particulièrement française. Une génération de jeunes Français a été sacrifiée du point de vue de l’apprentissage des mathématiques qui en sont sorties passablement discréditées dans l’opinion publique. Toute la communauté mathématique (y compris moi) est coupable d’avoir ignoré ce qui se faisait dans l’enseignement secondaire et même élémentaire. Aujourd’hui, les mathématiciens des universités se préoccupent beaucoup plus de ce qui se passe dans les écoles, collèges et lycées.

Grand mathématicien, toujours vigilant à l’écoute de son siècle Laurent Schwartz restera une référence morale et scientifique. L’APMEP tient à exprimer sa profonde douleur et sa chaleureuse amitié à toute sa famille.

Télécharger cet article en pdf

Les Journées Nationales
L’APMEP

Brochures & Revues
Ressources

Actualités et Informations
Base de ressources bibliographiques

 

Les Régionales de l’APMEP