Le prix de la liberté

 

 

Quelle liberté souhaitons-nous offrir aux lycéens ?

 

Au cœur de la réforme du lycée : la déstructuration des filières et le choix des élèves pour leurs enseignements majeurs. Ne plus enfermer les jeunes dans des cases, donner une place aux profils associant des matières non connexes a priori, permettre une plus grande hétérogénéité dans les groupes : quels changements attrayants ! La réalité est bien moins enthousiasmante. Quelle liberté souhaitons-nous offrir aux lycéens : celle qui affranchit de toute contrainte, ou bien celle qui donne un cadre clair, dans lequel l’élève se construit, se découvre, évaluant les différentes possibilités pour mieux exprimer sa volonté ?

Dès la Seconde, les jeunes doivent faire des choix et, parents comme élèves, trouvent cela bien précoce. Se projeter dans le post-bac, puis se renseigner pour en connaître les attendus alors qu’un grand nombre d’entre eux n’ont pas la moindre idée de ce qu’ils veulent faire. Prendre ce qui leur plaît, opter pour les disciplines où ils ont les meilleures notes ou pour celles qui seront déterminantes pour leur orientation… avec moins de psychologues de l’Éducation Nationale et moins d’heures d’orientation avec les enseignants. Des spécialités avec un niveau exigeant, quand certains élèves n’ont que peu de points forts. Une spécialité Mathématiques qui n’est pas adaptée aux élèves qui visent des études non scientifiques, où les mathématiques ont pourtant une place importante (une pensée particulière pour ceux qui aimeraient encore devenir professeur des écoles). Bref, une liberté qui pèse pour bien des familles. Choisir c’est renoncer, mais ils ne savent pas encore à quoi. Ce que nous craignions dès la mise en place de la réforme arrive maintenant : des élèves qui souhaitaient une formation ne l’ont pas obtenue car leurs spécialités n’étaient pas celles attendues pour le recrutement Parcoursup.

À partir de la Première, une nouvelle organisation décloisonne les classes. C’est alors le suivi des élèves qui est sacrifié. Chaque élève en côtoie plus d’une centaine d’autres, passant de sa « classe » à des groupes de langue, de sciences, trois spécialités et parfois des options. Comment, dans ces conditions, favoriser l’entraide et la coopération ? La réalité est que les élèves ne connaissent pas la plupart de ceux avec lesquels ils sont en cours. Certains professeurs principaux n’ont pas en classe les élèves dont ils sont référents. Jadis une équipe pédagogique mettait en commun les visions des enseignants pour dessiner un portrait fidèle de l’élève et l’accompagner au mieux dans sa vie de lycéen et dans son orientation. Le temps du conseil de classe qui permettait de parler d’un élève et de ses différentes facettes n’a plus de sens aujourd’hui avec plusieurs dizaines de professeurs concernés. Désormais, les enseignants n’y sont plus indispensables, certains établissements les ont d’ailleurs supprimés. Les élèves sont, de nouveau, libres de choisir : quel enseignement abandonner pour mieux se consacrer aux deux autres. Faut-il abandonner celui où les résultats de l’élève sont les moins performants ou bien celui qui sera le moins utile pour accéder au Supérieur ?

À l’entrée en Terminale, il faut de nouveau choisir, voire renoncer, car des options offrent des chances supplémentaires pour certaines orientations. Et ce sont trois heures qui s’ajoutent à l’emploi du temps dans une année déjà bien chargée. Ceux qui suivaient d’autres options sont parfois contraints de les sacrifier malgré leur motivation. Les épreuves « finales » passées en mars imposent une pression et un rythme infernal, sacrifiant pour les enseignants la liberté d’approfondir des thèmes intéressants ou de prendre le temps nécessaire pour transmettre des notions difficiles au plus grand nombre. Un calendrier qui contraint les élèves à exprimer leurs vœux sur Parcoursup au moment même où ils passent les épreuves les plus décisives du baccalauréat.

La nouvelle structure du lycée semble, certes, laisser une liberté de choix plus large aux élèves mais elle sacrifie beaucoup de fondamentaux, en particulier l’accompagnement et le suivi individualisé. Elle pérennise tout au long du lycée des questionnements, empêchant les lycéens de se consacrer sereinement à leurs études. L’idéal d’apprendre pour acquérir de nouvelles connaissances, de découvrir pour le plaisir et de partager avec ses pairs est abandonné car ce sont les choix et les notes qui comptent pour le bac, qui gouvernent. Toute liberté a un coût, et celle-ci est particulièrement chère. Nos jeunes ont besoin d’un cadre rassurant, d’une base solide, garantissant l’équité entre tous les lycéens, sur laquelle bâtir pas à pas et laisser mûrir leur projet d’orientation ; pas d’un libre choix utilitariste piloté par Parcoursup.

Plusieurs propositions d’aménagements de la réforme sont formulées depuis des mois, espérant compenser ces défauts majeurs, mais le ministère semble libre de s’en passer. Nous défendons un lycée où chaque élève est libre d’apprendre à son rythme, au sein d’un groupe stable, où ses professeurs le connaissent et l’accompagnent. Un lycée où, dans un cadre rassurant, nous construisons l’émancipation des jeunes pour mettre à leur portée une richesse future. Nous, enseignants, ne sommes pas prêts à payer le prix de cette liberté en trompe-l’œil.

 

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