Le programme maternelle 2021 : un restylage plus qu’une nouveauté

par Joël Briand
Maître de conférences honoraire en mathématiques

 

Pour comprendre ce qui s’est joué récemment à propos des programmes de l’école maternelle, il est nécessaire de reprendre le fil de l’histoire.

 

Acte 1 : « Les programmes 2015 »

En 2015, la rédaction des programmes était le fruit d’un travail effectué par des gens dont les noms et qualités furent rendues publiques. Cette rédaction fut ensuite étudiée puis validée par le ministère de l’Éducation Nationale. Les mathématiques (le terme n’était pas utilisé) figuraient dans le domaine « Construire les premiers outils pour structurer sa pensée ». Ces programmes, à quelques détails près, faisaient l’unanimité.

 

Acte 2 : « Les errements du CSP »

En décembre 2020, le CSP produisait une « Note d’analyse et de propositions sur le programme d’enseignement de l’école maternelle » rédigée à plusieurs mains, qui suscita de vives réactions de la part des enseignants, des chercheurs et des syndicats. Pour ce qui est des mathématiques on pouvait lire, entre autres : « éviter de réduire les mathématiques à des outils dont la seule finalité serait de structurer la pensée », laissant croire que les programmes 2015 n’abordaient pas les objets mathématiques à enseigner.

Pour venir au secours de cette note contestée, la Présidente du CSP rédigea un article paru dans le Monde. On pouvait y lire : « fallait-il que nous rejetions les études scientifiques contemporaines qui nous aident à comprendre la construction de la numération et de la pensée abstraite ». Arrêtons-nous un instant sur cette déclaration et demandons-nous de quelles recherches la Présidente parlait. Étaient-ce celles dont Cédric Villani disait sur Canal plus lors de l’élaboration des programmes de mathématiques qui allaient en 2015 remplacer ceux de 2008 : « …Il y a un autre paradoxe français dont on parle moins, c’est que l’on a des résultats spectaculaires au niveau mondial en recherche pédagogique en mathématiques mais cette recherche mathématique jusqu’à présent ne communiquait pas avec l’écosystème de l’éducation nationale » ? Non ! Dans la note du CSP aucune référence n’était faite aux résultats des recherches françaises en didactique des mathématiques. La Science à laquelle se référait le CSP ressemblait plus à une doxa officielle qu’à des références aux recherches dans les domaines des didactiques des disciplines. Il y avait dans cette note des propos savoureux : par exemple un des rédacteurs y écrivait (page 29) : « Ce domaine [le numérique NDLR] veut rompre avec la perspective suivie par le programme précédent qui favorisait la construction de la numération au détriment du « sens du nombre ». Or, que peut-on lire dans les programmes de 2015 dans objectifs visés et éléments de progressivité ? « Cette construction [du nombre NDLR] ne saurait se confondre avec celle de la numération et des opérations qui relèvent des apprentissages de l’école élémentaire ». Et, cerise sur le gâteau, que lisait-on ensuite dans la note CSP (page 40) ? « En grande section, … Il détermine le cardinal de collections jusqu’à 100 éléments, par comptage, en s’appuyant sur des paquets de 10 ; il peut également compter de 10 en 10. L’enfant produit des collections de 1 à 10 éléments. La dizaine est mise en avant et le dénombrement immédiat s’étend notamment avec les recompositions de 10 avec un nombre entre 1 et 10 (par exemple 10 et 3 font 13) ». Alors numération ou pas numération ? Page 29 pas de numération ; page 40 travail sur les dizaines donc numération ! Puis évocation de la numération par la Présidente. Bref il était temps de remiser cette note au panier.

 

Acte 3 : « Où il est urgent de ne rien changer »

En mai nous parvient un projet de nouveaux programmes. Surprise, les propos du CSP n’apparaissent plus et on retrouve à peu de choses près les programmes 2015. En effet, au final, les programmes de maternelle 2021 n’apportent que peu de changements par rapport à ceux de 2015. On y trouve encore quelques imprécisions qui montrent que parfois la distinction entre quantité et nombre est réelle et parfois la confusion persiste (exemple : « cinq permet indistinctement de désigner cinq fourmis, cinq cubes ou cinq éléphants »). Non, cinq désigne une propriété de ces collections mais pas ces collections. Et c’est cela qui va demander du temps chez un jeune enfant : conceptualiser une propriété. Par ailleurs l’énumération est dissoute dans le dénombrement alors que c’est un savoir qui peut être construit indépendamment du dénombrement. Enfin il est demandé de faire en sorte que les élèves maîtrisent bien les nombres jusqu’à 10 ainsi que leurs décompositions et en même temps, dans les attendus on peut lire : « Dire la suite des nombres jusqu’à trente. Dire la suite des nombres à partir d’un nombre donné (entre 1 et 30) ». Pas simple à comprendre… Toutefois, globalement les programmes 2015 sont sauvegardés, ce qui est une bonne chose. On se méfiera quand même de certains attendus qui risquent d’être interprétés par des enseignants peu expérimentés comme un encouragement à faire du pré-cours préparatoire en sautant des étapes pourtant essentielles et qui font l’identité de l’école maternelle en mathématiques dans le domaine du pré-numérique et des grandeurs.

 

Épilogue : « La parole est donnée à un citoyen qui paie ses impôts »

 
Combien ont coûté les réunions du CSP et des collaborateurs rédacteurs de la fameuse note  ? Combien ont couté les réunions des personnes (anonymes) qui ont remixé les programmes 2015 pour en faire un objet de communication version 2021 ?

Combien vont coûter les brochures diverses et variées vantant la nouveauté ? Combien de conférences pédagogiques seront obligées de prendre ces programmes comme une nouveauté à diffuser ? N’y a-t-il pas plus urgent du côté de la formation des professeurs ?

Il faudrait s’indigner des changements incessants de textes officiels, qui coûtent cher au contribuable, et qui ne reposent pas, contrairement à ce que les médias relaient, sur des recherches récentes qui règleraient la question des inégalités en France. Les enseignants ont plus besoin de formation que d’informations sur de nouveaux textes officiels.

 

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