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Les Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques : un réseau riche de quarante ans d’expérience au service de la formation continue des enseignants, aujourd’hui affronté à la diminution de ses moyens

Jean-Pierre Raoult [**]

 [*]

Préambule (accès à des informations sur les IREM)
L’activité des IREM est consultable sur leur site :
http://www.univ-irem.fr/spip.php

En 2008-2009 les IREM ont organisé 220 stages, auxquels ont participé 5 332
stagiaires ; le tout représente 3 737 heures de formation, soit en moyenne 17 heures
par stage (durée moyenne en baisse par rapport au passé, suite à des restrictions de
moyens conduisant les rectorats à raccourcir les stages pour éviter de diminuer plus
fortement leur nombre).

Un catalogue de ces stages est téléchargeable sur :
http://irem.univ-lille1.fr/Recensement/Recensement_stages_IREM_20100325.pdf

Les 13 et 14 juin 2009, l’Assemblée des Directeurs d’IREM a tenu un séminaire
consacré à la formation continue. Les actes de ce séminaire sont disponibles sur :
http://www.univ-irem.fr/spip.php?rubrique106

De brèves présentations de chacun de ces deux documents sont distribuées à l’occasion
de ce colloque des 12 et 13 avril 2010. Elles sont aussi disponibles sur :
http://www.univ-irem.fr/spip.php?article379
L’ADIREM (Assemblée des Directeurs d’IREM) a organisé, du 15 au 19 mars 2010,
un colloque intitulé Les mathématiciens et l’enseignement de leur discipline en
France
. Les travaux de ce colloque sont consultables sur :
http://www.univ-irem.fr/spip2/


Les 26 IREM (environ un par académie) ont été créés en quelques années, à partir de
1968, suite à une initiative de l’APMEP (Association des Professeurs de
Mathématiques de l’Enseignement Public), appuyée par André Lichnerowicz, qui
avait présidé durant les années précédentes la commission qui avait rénové l’enseignement des mathématiques, de l’école primaire au baccalauréat, dans le sens
dit des « mathématiques modernes ». Cette réforme avait créé un certain désarroi dans
le corps enseignant, qu’il s’agissait donc d’accompagner dans ce que l’on appelait
alors le « recyclage » sur les nouveaux programmes. C’est cette situation singulière
des mathématiques, à l’époque (d’autres disciplines ont connu aussi un tel
aggiornamento, mais plus tardivement) qui explique la création de structures propres
à cette matière ; les circonstances ne se sont plus aussi bien prêtées ensuite, quoiqu’il
en ait parfois été question, à la mise en place de structures analogues dans d’autres
matières, voire à l’extension des IREM à des IRES (S pour Sciences) ; on peut le regretter.

L’idée s’est immédiatement imposée que, pour être efficace, ce travail de mise à jour
des connaissances et des conditions d’enseignement des mathématiques devait éviter
tout « parachutage » et, pour ce faire, reposer, en amont, sur un travail de réflexion
de fond mené conjointement par des enseignants « de terrain » et des universitaires.
C’est cette « ligne politique » qui a conduit à concevoir les IREM comme des
instituts internes à des universités, vivant dans une certaine symbiose avec les lieux
où s’effectue la recherche mathématique ; pour chaque nouvel IREM étaient créés
quelques postes d’enseignants de mathématiques dans l’université, avec pour règle que
nul ne pouvait consacrer plus de la moitié de son service à l’IREM. Par ailleurs les
rectorats accordaient des décharges de service ou des heures supplémentaires à des
instituteurs et des professeurs certifiés ou agrégés, pour participation aux groupes de
travail de l’IREM. Ces groupes de travail produisaient des documents sur lesquels
pouvait en particulier s’appuyer le fonctionnement des stages de formation continue.

Progressivement, les IREM ont mis en place des « Commissions Inter-IREM »
(spécifiques à des niveaux d’enseignement ou à de grands thèmes comme « Statistique
et Probabilités », « Mathématiques et Informatique », …), permettant de synthétiser
leurs activités, d’organiser des confrontations (par exemple des colloques) et de publier
des ouvrages.

Ces principes de travail ont été constamment maintenus ; en particulier, lors de la
création des IUFM, les IREM n’ont pas trouvé opportun de devenir, comme cela avait
été envisagé, des structures internes aux IUFM, afin de rester proches des lieux de
création scientifique de leur discipline. Quoique leurs moyens de toutes sortes (postes
d’universitaires, heures supplémentaires pour les enseignants, finances, secrétariats)
aient été considérablement diminués depuis cette époque et continuent à l’être, ce type
de fonctionnement assure toujours l’originalité et le succès auprès des enseignants des
stages pilotés par les IREM. Il est remarquable que, contrairement à ce qui a été
évoqué au cours de ce colloque pour certains types de stages, ceux assurés par les
IREM ne connaissent pratiquement pas d’absentéisme. Mais l’expérience ainsi
accumulée par les IREM les conduit à déplorer que (voir les données en préambule)
les durées moyennes des stages aient été diminuées et à constater que ceci nuit
fortement à leur retentissement.

L’activité des IREM n’est pas seulement axée sur la formation continue, quoique
celle-ci reste largement la pierre de touche de leurs travaux. Leurs ouvrages et revues constituent des outils de travail constants de nombre d’enseignants et sont mis à
disposition dans les bibliothèques universitaires, dans les Centres Régionaux de
Documentation Pédagogique et, bien sûr, maintenant, en ligne sur internet. Les
IREM sont directement impliqués dans la formation initiale des professeurs d’écoles
et des enseignants de mathématiques en collèges et lycées : deux Commissions Inter-
IREM, la COPIRELEM (Commission Permanente des IREM sur l’Enseignement
Élémentaire) et la CORFEM (Commission de Recherche sur la Formation des
Enseignants de Mathématiques), assurent cette liaison.

Nous nous situons aujourd’hui quarante ans après la période des créations des IREM
et cet anniversaire a été marqué, ainsi que le vingtième anniversaire du lancement de
leur revue nationale « Repères IREM », par la tenue au CIRM (Centre International
de Rencontres Mathématiques, à Marseille), d’un colloque intitulé Les
mathématiciens et l’enseignement de leur discipline en France
(voir référence en
préambule).

Il est donc temps de s’interroger sur ce qu’ont apporté les IREM, surtout dans la
période actuelle de grand trouble sur la vocation et sur les possibilités de
l’enseignement dans ce pays.

Les IREM ont assuré, de manière qui n’a pas d’équivalent dans les autres disciplines,
un mode de relation privilégié entre tous les acteurs du monde éducatif concernés par
les mathématiques : association de spécialistes (APMEP), sociétés savantes (Société
Mathématique de France, Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles,
Société Française de Statistique), corps d’inspection (c’est ainsi qu’un inspecteur
général et un IPR participent aux travaux du « comité scientifique » des IREM),
organismes officiels (par exemple, quand ces instances existaient, la CREM
(Commission de Réflexion sur l’Enseignement des Mathématiques, dite
« Commission Kahane », du nom de son premier président) ou le Conseil National
des Programmes), INRP, laboratoires de Didactique des Mathématiques (discipline
dans laquelle la France a internationalement une place de tout premier plan, avec des
personnalités, toutes largement impliquées dans le réseau des IREM, comme Michèle
Artigue, présidente sortante de ICMI (International Commission on Mathematical
Instruction) ou Yves Chevallard (prix Hans Freudenthal 2010)).

Ce rôle de « passeurs » a conduit les IREM à jouer un rôle clef dans de nombreuses
initiatives de mise en contact d’élèves de différents niveaux d’enseignement avec la
réalité de l’activité, voire de la recherche, en mathématiques (voir par exemple, dans
les actes du colloque au CIRM en mars 2010 cités plus haut, les activités
Hippocampe développées par l’IREM d’Aix-Marseille) ; s’adressant aux jeunes, ces
activités sont en elles-mêmes aussi des modes de formation continue pour ceux de
leurs professeurs qui les y accompagnent.

Les IREM ont ainsi pu au cours des ans faire montre d’une grande réactivité à tous
les chocs qu’a subis, plus peut-être que celui d’autres disciplines, l’enseignement des
mathématiques. Donnons en ici trois exemples.

À l’origine, il faut évoquer l’effet de l’école « structuraliste » qui, plus en fait que le
« bourbachisme », et avant même qu’elle n’influe sur l’enseignement du français, a bouleversé l’enseignement des mathématiques ; les IREM naissants ont à la fois
accompagné cette évolution alors inévitable et aidé à sortir de certaines impasses à
laquelle elle conduisait.

Depuis trente ans environ, les IREM ont puissamment contribué à gérer l’impact,
toujours en évolution, de l’introduction de l’informatique dans l’enseignement, tant
par l’élaboration de modes d’emploi des TICE en mathématiques que par
l’approfondissement des liens entre l’éducation aux mathématiques et celle à la science
informatique (par exemple en algorithmique). Il faut signaler ici la part prise
actuellement par certains IREM, aux côtés de l’INRP, à l’élaboration de modules de
« Pairformance », dont le ministère de l’Éducation Nationale entend – on nous l’a dit
ici – favoriser l’usage pour la formation continue des enseignants, ce qui peut-être
bénéfique, à condition que cela ne conduise pas à restreindre encore plus les
possibilités de « vrais stages » associant en un même lieu, durant un laps de temps
suffisant, animateurs et stagiaires pour s’instruire et dialoguer.

Plus récemment, il a fallu traiter le poids de plus en plus grand de l’interdisciplinarité,
à laquelle les enseignants de mathématiques sont peu formés (par exemple avec une
part croissante de statistique, dont certains IREM ont étudié le lien avec la formation
du citoyen) ; les IREM ont su accueillir à cette fin des enseignants d’autres disciplines
que les mathématiques.

Cette réactivité (dont on aurait pu donner maints autres exemples) joue sur les
propositions de formation continue présentées par les IREM à trois niveaux :
immédiat (il s’agit de répondre à des besoins d’adaptation rapide aux changements de
contenus des enseignements, comme Madame Gohin, de la DGESCO, l’a évoqué ici
même s’agissant de l’informatique), à titre de complément de formation (pour donner
plus de hauteur de vue aux enseignants sur la matière qu’ils traitent) et enfin à long
terme (en faisant participer des partenaires variés à des travaux de réflexion sur des
évolutions futures envisageables). Privilégier l’un de ces trois niveaux au détriment
des deux autres (tentation forte de l’administration au profit de l’immédiateté) serait
très préjudiciable ; c’est là une conclusion essentielle du séminaire sur la formation
continue tenu par l’Assemblée des Directeurs d’IREM en juin 2009 (voir référence en
préambule).

Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les IREM soient aussi, sur la base de
leur expérience, un lieu de regard critique sur les évolutions qui se produisent dans le
monde éducatif (changements de contenus et de structures, modifications du mode de
formation et de recrutement des enseignants, …) . Ce regard critique s’exprime en
particulier à travers certains des débats de leur comité scientifique (voir
http://www.univ-irem.fr/spip.php?rubrique4).

Ce bilan ne peut s’achever sans qu’on soulève la question, qui nous est souvent
posée : pourquoi, malgré un tel outil et tant d’efforts dépensés, subsiste-t-il tant de
problèmes dans l’enseignement des mathématiques (constats négatifs à l’occasion
d’évaluations nationales ou internationales, insatisfaction des familles devant le recul
de l‘âge auquel sont acquises certaines notions, désintérêt de certains jeunes, …).

Il n’est pas lieu ici de faire le tour de cette question, qui implique une réflexion non
seulement « du dedans » du système scolaire, mais aussi de nature psychologique,
sociale, voire économique, … On peut cependant avancer quelques éléments propres
à l’enseignement des mathématiques.

On doit ici faire état de l’affrontement de conceptions divergentes dans le monde
scolaire et universitaire sur « ce qu’il faut enseigner et comment », en particulier
récemment s’agissant de l’enseignement élémentaire, affrontements dont même
l’académie des sciences a connu l’écho. À cet égard, notons que les IREM n’ont
jamais prétendu avoir une « doctrine », même si leur expérience les conduit à signaler
certains dangers ou certaines impossibilités.

Il faut déplorer aussi, dans la gestion de l’éducation par les pouvoirs publics, des
incohérences qui ont fortement « déstabilisé » le corps enseignant sous le coup
d’initiatives souvent potentiellement intéressantes (Travaux Personnels Encadrés,
épreuve pratique de mathématiques au baccalauréat, …), sur lesquelles les IREM ont
d’ailleurs accepté de travailler, mais qui ont été restreintes ou abandonnées sans même
avoir été véritablement testées.

Il importe également de relever, en ce qui concerne l’enseignement primaire, dont tous
s’accordent à dire le rôle primordial dans la formation de l’enfant aux concepts et
pratiques mathématiques, que le corps enseignant y est maintenant très
majoritairement constitué de personnes qui ont pratiquement cessé de faire des
mathématiques, durant leurs études, depuis le courant du lycée. Jadis les Écoles
Normales Primaires dispensaient à tous les instituteurs une culture commune adaptée
aux programmes alors en vigueur. Les IUFM ont été ensuite un lieu où l’on
s’efforçait de « corriger » les insuffisances de la formation antérieure de ces étudiants
et (majoritairement) étudiantes ; le rôle de la Commission Inter-IREM
« COPIRELEM » (voir plus haut) a été à cet égard déterminant. Qu’en sera-t-il avec
la nouvelle formation des professeurs d’écoles ? Ce sera sans doute très variable selon
les universités, mais les inquiétudes sont très fortes à cet égard. Et le besoin d’un
formation continue pour ces personnels deviendra plus criant encore. Les IREM sont
prêts à y jouer leur rôle, dans la mesure des capacités qui leur seront accordées.

Au risque de nous répéter, et sans vouloir hypertrophier l’apport des IREM, nous ne
pouvons donc que conclure en insistant sur le fait que les capacités des jeunes de ce
pays à aborder et traiter les problèmes de nature mathématique (ou impliquant le
recours aux mathématiques) seraient sans doute meilleures si le corps enseignant qui
s’adresse à eux avait bénéficié de possibilités de formation continue à la fois plus
massives et mieux conçues (on ne saurait trop insister à nouveau sur les dégâts de
l’émiettement en stages de trop courte durée, qui ne permettent pas les maturations
indispensables).

Ce colloque sera-t-il l’une des étapes favorisant la prise de conscience de cette
nécessité par les pouvoirs publics ? Souhaitons-le ! Dans cette hypothèse les IREM
sont prêts à participer à cet effort, comme ils l’ont toujours fait depuis quarante ans.
Leur en donnera-t-on les moyens ?

<redacteur|auteur=511>

Notes

[**président du comité scientifique des IREM (Instituts de Recherche sur l’Enseignement
des Mathématiques). jean-pierre.raoult@univ-mlv.fr

[*Intervention à la Session 2 : « Les partenaires de la formation continue » au Colloque
« CULTIVER LA SCIENCE. La formation continue des professeurs enseignant les
sciences » organisé par l’Académie des Sciences, 12 et 13 avril 2010.

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