Bulletin Vert n°471
bulletin spécial Journées Nationales
Clermont-Ferrand 2006

Les mathématiques, leur enseignement et la formation des maîtres

Alain Bouvier [1]

 

Ce colloque national me procure un vif plaisir de retrouvailles multiples. D’abord
avec Clermont-Ferrand et l’Auvergne devenue ma région d’adoption : m’inspirant de
Sidoine Apollinaire, j’ai fait la route de Lyon à Clermont. L’Auvergne, qui après
avoir été la terre de Blaise Pascal est celle de Paul-Louis Hennequin.
L’Auvergne
encore où naquit, en juillet 1935, Bourbaki, à Besse-en-Chandesse [2], célèbre
également pour sa « Saint cochon » que je vous recommande. Je retrouve aussi les
auvergnats avec qui j’eus le bonheur de collaborer pendant près de quatre ans et
parmi lesquels je compte désormais de nombreux amis, certains présents
aujourd’hui. Retrouvailles ensuite, avec une discipline, les mathématiques, qui m’est
particulièrement chère et qui m’a beaucoup apporté. Retrouvailles encore avec les
« matheux » : je n’oublie pas les plaisirs intellectuels et humains que je leur dois. Je
ne peux qu’être sensible au fait que cette rencontre arrive quelques semaines après
une nouvelle médaille Fields pour la France, reconnaissance des travaux
remarquables de Wedelin Werner. Retrouvailles toujours, avec l’APMEP dont j’ai été
membre actif pendant longtemps, participant aux colloques nationaux (j’étais à celui
de Clermont en 1970), à de nombreux groupes de travail et aux activités régionales
(j’ai présidé la Régionale de Lyon à deux périodes différentes). Enfin, je sais la dette
des IREM, des MAFPEN puis des IUFM envers les idées novatrices et en
mouvement de l’APMEP.

En préparant cette conférence sur les mathématiques, leur enseignement et la
formation des enseignants, il m’est vite apparu que les questions principales sont
permanentes, mais les réponses évolutives. Ce qui change, c’est le contexte. Quel est-il
aujourd’hui et quelles conséquences en tirer ?

Partant de la situation actuelle en France, j’ai bâti mon propos en sept flashes pour
évoquer successivement des données marquantes, ainsi que des leçons inspirées de
la recherche et de la formation d’adultes. Puis je formulerai des réflexions sur la
forme scolaire actuelle, les acquis des élèves, le « socle commun des connaissances
et des compétences ». Enfin, je terminerai brièvement par la formation des
enseignants [3]

1. Constats sur le contexte actuel

Une série d’éléments caractérise le contexte actuel. Tout au moins ils explicitent
quelques-uns des enjeux qui traversent le système éducatif français aujourd’hui.

De nombreux pays développés de l’hémisphère nord, après-guerre puis durant la
période dite des « trente glorieuses [4] » ont vu se développer ce que l’on qualifie
généralement de « massification » des systèmes éducatifs. Aujourd’hui, les élèves en
âge d’être scolarisés le sont. On oublie souvent qu’il y a 25 ans (hier, donc), 70% des
français possédaient, au plus, le certificat d’études [5]. La massification est réussie, en
France comme ailleurs dans les pays de l’OCDE.

Les objectifs que se donnent les pays développés sont globalement assez proches les
uns des autres. Par exemple, ceux figurant dans la Loi d’orientation de 1989 (inspirés
d’autres pays dont, par exemple, le nord de l’Europe pour les cycles) se sont
retrouvés dans les recommandations de Copenhague de 2002 qui, à leur tour,
inspirèrent la Loi d’orientation de 2005, etc.

Notre système éducatif connaît beaucoup de réformettes indiscernables en dehors des
frontières de l’Hexagone, bien qu’elles marquent curieusement beaucoup les
enseignants, et seulement un petit nombre de réformes ; je préciserai cela plus loin.
Les plus conséquentes viennent de la société civile. Il en fut ainsi, il y a vingt ans,
avec l’introduction de l’enseignement des langues vivantes à l’école élémentaire (qui
était alors à des années lumières de cette perspective), ou de l’usage scolaire
d’Internet il y a dix ans (le milieu enseignant peine encore à s’en emparer).
Aujourd’hui, c’est l’utilisation pédagogique des Blogs et des ENT, ainsi que la
validation des acquis de l’expérience qui n’ont toujours pas fait leur chemin.
Et pour
demain, vers quoi nous orientent les évolutions sociétales présentes ? La question
mérite attention et réflexion.

Que cela soit souhaitable ou pas, en France, les mathématiques ont joué depuis
plusieurs décennies un rôle important dans l’orientation des élèves et la sélection des
élites. Au moment où l’orientation est remise en question, sévèrement interpellée par
la société civile, les élus locaux, les médias et les parents d’élèves, ce sujet ouvre un
redoutable chantier pour la communauté mathématique qui devra l’aborder en des
termes nouveaux, avec réalisme. Je connais suffisamment les mathématiciens pour
être assuré qu’ils auront la lucidité indispensable et le courage nécessaire.

Malgré les efforts des enseignants et leurs compétences, une partie non négligeable
des élèves « résiste » au système scolaire. Les chiffres sur la lecture de la JAPD [6]
sont clairs et hélas éloquents. Comme l’est, en 2004, celui des 2,5% d’élèves
décrocheurs (20 000, en réalité beaucoup plus). Comme l’est encore celui des
150 000 élèves [7] qui sortent chaque année du système éducatif sans diplôme ou sans qualification, dont 40%, trois ans après, sont encore au chômage. Je
reviendrai sur cet inquiétant sujet.

Pour progresser, comprendre ce qui se passe et chercher des voies d’amélioration, à
défaut de pouvoir expérimenter, on peut se livrer à des comparaisons. Pour les
mathématiques, au niveau de la recherche, si l’on regarde les prix internationaux
(médaille Field, prix Abel, …) et les publications dans les grandes revues
internationales, notre pays se situe très bien ; certains disent en deuxième position,
juste après les USA dont la population et la puissance économique sont largement
supérieures aux nôtres. Si l’on observe maintenant les olympiades mathématiques, au
dire des organisateurs français, nos résultats sont bons, sans plus, et vus sur plusieurs
années, peu rassurants. Maintenant si l’on regarde au delà des seules élites, comme
le fait par exemple l’enquête internationale PISA sur les élèves de 15 ans, nos
résultats sont moyens et surtout très contrastés. En les étudiant de près, comme l’a
fait la Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance (c’est la
France qui a constitué son échantillon répondant aux critères de PISA, elle est donc
en mesure de conduire de telles études), pour un peu plus de 50% des élèves, en
mathématiques, les résultats sont très bons. Par contre, ils sont médiocres pour 35%
et très mauvais pour 15% d’entre eux ; dans un même pays, la France, qui se targue
d’égalité. Ce qui fait dire à Christian Forestier, membre du HCE et ancien président
du Haut conseil de l’évaluation de l’école (HCéé) que nous avons « l’un des
meilleurs systèmes scolaires, mais seulement pour la moitié des élèves ».

Non seulement notre École est inégalitaire, non seulement l’équité n’est pas au
rendez-vous, mais depuis 15 ans, le système scolaire ne progresse plus, malgré, sur
cette période, une baisse importante des effectifs élèves [8] Entre les élèves, les écarts
se creusent.
En clair, l’École ne diminue pas les inégalités socio-économiques et
culturelles des enfants qui lui sont confiés. Au contraire, elle les accentue.
L’ascenseur social ne fonctionne pas ou ne fonctionne plus.

Sur ce constat préoccupant, quels éléments de la situation propre à la France
discerne-t-on, qui seraient susceptibles de peser sur les évolutions futures ?

2. Faits marquants de la situation française

En France, il faut en premier lieu observer une forte volonté du Parlement de vouloir,
à juste titre dans un pays démocratique, peser sur l’École, ses missions, et contrôler
ses résultats. Non seulement cela se voit à travers le vote successif de deux lois
d’orientation pour l’École en quinze ans, par les conséquences de la mise en œuvre
progressive de la LOLF et par le rôle de plus en plus appuyé des commissions
parlementaires, mais aussi par le vote d’un certain nombre de lois touchant à des
questions sociales ou sociétales, comme la loi sur le handicap. Pour leur mise en
œuvre, ces lois impliquent plusieurs ministères (dont celui de l’Éducation nationale),
des collectivités territoriales, des partenaires, etc. Elles donnent ainsi aux Préfets un
rôle de plus en plus important.

Conformément à la Loi d’orientation de 2005, ces évolutions s’expriment aussi à
travers la publication du Décret signé par le Premier ministre, définissant le Socle commun de connaissances et de compétences. Celui-ci précise l’engagement de la
Nation sur ce qu’elle garantit à tous. En d’autres termes, ce Décret explicite les
résultats attendus de l’École. Il s’inscrit dans une volonté de développer, à tous les
niveaux, une culture du rendu de comptes, peu présente à l’heure actuelle dans le
système éducatif français.

Depuis le début des années 1980, les deux vagues de décentralisation successives ont
mis en valeur la dimension territoriale des questions d’éducation. Non seulement les
collectivités territoriales exercent les responsabilités qui sont officiellement les leurs,
mais elles affichent une volonté croissante d’aller au-delà, y compris sur le plan
pédagogique. L’association des régions de France (ARF) l’affirme haut et fort.
Quand on sait l’importance que prennent les régions sur les registres stratégiques,
économiques, de la recherche, des TICE, etc., leurs intentions de plus peser sur le
pilotage des questions d’enseignement, d’éducation et d’orientation semblent
cohérentes et s’inscrire dans des tendances lourdes des évolutions en cours.

L’Éducation nationale agit sous le contrôle d’instances nombreuses, désormais
habilitées à lui demander des comptes sur ses résultats et l’emploi des moyens qui lui
sont accordés. Elles le font avec une insistance croissante. La Cour des comptes s’y
emploie régulièrement et éclaire le Parlement. Les audits – dits de modernisation,
effectués par les corps d’inspection du ministère de l’économie et des finances et du
ministère de l’éducation nationale – se multiplient et soulèvent, une à une, des
questions sensibles. Par ailleurs, les rapports des deux Inspections générales du
ministère de l’Éducation nationale sont de plus en plus clairs, explicites, percutants.
Désormais, chaque année, le Haut conseil de l’éducation (HCE) rendra au Président
de la République son rapport public sur les résultats de l’École.

Dernier élément de contexte que je retiendrai : notre système souffrirait de
l’abondance de ses réformes, de leur incessant enchaînement. Ayant eu à m’exprimer
sur ce thème lors d’un séjour à l’étranger, j’ai dû me pencher sur le sujet pour
chercher à décrire ce qui pouvait être compréhensible en dehors de l’Hexagone, par
des personnes ne possédant pas nos codes, peu familières avec les subtilités de nos
règles administratives. Si j’exclus la réforme des maths modernes des années 1970
que connurent pratiquement tous les pays, avec des différences portant sur son
ampleur et son calendrier de mise en œuvre, force me fut de constater que notre
système éducatif connaît régulièrement un nombre notable de « réformettes »,
indescriptibles à l’étranger, à courte durée de vie et à faible ampleur de mise en
œuvre. Par contre, les réformes sont peu nombreuses. Les unes concernent des
structures : le collège unique (1975), la création des IUT ou des IUFM, d’autres des
dispositifs de formation : les ZEP et les MAFPEN (1982), le Bac pro, les cycles et
les démarches de projet (1989), le LMD, le Socle commun de connaissances et de
compétences (2006), d’autres portent sur l’introduction de nouveaux enseignements,
comme les langues à l’école élémentaire (1988) ou les TICE, d’autres enfin touchent
aux modalités d’évaluation ou de certification, comme la VAE ou le B2I.

Le système bouge, mais, somme toute, lentement, par décennies. On remarquera que
la majorité des réformes sont d’origine exogène, conséquences d’évolutions sociétales, comme si le système peinait à trouver des voies endogènes de réforme. Il
s’agit là d’une tendance lourde qui s’accentue clairement.

3. Des données préoccupantes

Vous êtes suffisamment familiers des statistiques pour comprendre que celles que je
vais citer ne donnent que des ordres de grandeur. Les chiffres exacts se trouvent sur
le site du ministère (DEPP), ou de l’ancien Haut conseil de l’évaluation de l’école
(HCéé), ou du CEREQ, ou encore dans l’ouvrage récent publié par Christian
Forestier et Claude Thélot [9]
.
En France, disions-nous, une classe d’âge est de l’ordre de 750 000 élèves. Cela veut
dire que chaque année, 750 000 élèves arrivent, à trois ans (à quelques exceptions
près) à l’école maternelle. Ensuite, ils avancent dans le système, mais pas à la même
vitesse. Ils en ressortent un jour, pas au même moment et pas avec les mêmes
qualifications.

En fait, pour être plus précis, on peut distinguer cinq groupes de taille
comparable : chacun représente environ 20% des effectifs. Le premier groupe
(150 000 élèves) sortent sans rien ou avec le brevet des collèges. On sait par le
CEREQ que trois ans après, 40% d’entre eux sont au chômage et tout fait craindre
qu’ils le soient pour longtemps.
Le deuxième groupe sort avec un niveau V de
qualification, c’est-à-dire un CAP ou un BEP, diplômes qui jouent un rôle certain en
termes d’insertion professionnelle [10]
.
À l’autre extrémité de cette échelle, 150 000
élèves sortent avec au moins un diplôme à Bac+3 ; ils ont atteint le niveau LMD.

L’influence des diplômes sur l’insertion professionnelle est claire puisque, trois ans
après, en 2005, 8% des jeunes de ce groupe étaient au chômage contre 40% de ceux
du premier groupe. Enfin, par rapport aux besoins de recrutement à venir, des flux
annuels de 150 000 au niveau du LMD sont insuffisants, d’autant plus que
l’Éducation nationale en prélèvera entre 30 000 et 40 000 pour son usage suivant les
années.

Bien qu’étant la cinquième puissance économique mondiale, nous sommes
en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. Observons encore que les effectifs
des filières scientifiques ne font que décroître et pas seulement en France.

Sur un tout autre plan, on peut regarder les évolutions des taux de réussite aux
baccalauréats entre 2000 et 2005. Si en 2000, les baccalauréats généraux,
technologiques et professionnels se tenaient dans un mouchoir, entre 79% et 80%,
cinq ans après, l’évolution est nette et lourde de sens : Bacs généraux 86% ; bacs
technologiques 79% ; Bacs professionnels 76%. Les écarts se sont creusés et
semblent contribuer à la panne de l’ascenseur social.

Une enquête de l’OCDE de 2006, portant sur 30 pays, fait apparaître d’autres
données inquiétantes pour la France :
 Par élève, nous consacrons 20% de moyens financiers de plus que la moyenne
des pays de l’OCDE. En pourcentage du PIB consacré à l’éducation, au
niveau international, la France est dans le peloton de tête, au dessus de la
Finlande.
 Selon Christian Forestier qui s’appuie sur le chiffres de l’OCDE : « notre
lycée est le plus coûteux du monde » [11].
 21% des élèves qui entrent dans le supérieur sortent sans aucun diplôme autre
que le baccalauréat.
 Nous figurons en tête d’un palmarès : celui des redoublements. À 15 ans, 40%
des élèves français ont redoublé au moins une fois, contre 13% pour la
moyenne des pays de l’OCDE (moyenne qui inclut la France), alors que le
redoublement n’existe pas au Japon, en Corée, en Islande, en Norvège, en
Finlande, …

4. Quelques leçons d’évolutions externes

Comme des conséquences de la recherche, de la formation continue des adultes
(vaste laboratoire pédagogique) et des comparaisons internationales, on peut noter de
grandes évolutions par décennies.

Les années 1970, autour des travaux de Benjamin Bloom, virent se développer la
prise en compte de l’évaluation, en particulier la définition des objectifs en termes de
connaissances et de compétences, ainsi que la distinction entre évaluations
sommatives et formatives. Simple coïncidence sans doute, ce fut aussi le moment où
la recherche en didactique des mathématiques connut un essor remarquable, au plan
français et international.

Dans les années 1980, l’approche par les compétences professionnelles devint
essentielle en formation continue des adultes dans la majorité des pays. Cela exercera
une timide influence sur le registre pédagogique de l’enseignement scolaire, plus
dans certains pays (francophones notamment) qu’en France.

Dix ans après, avec les travaux de l’OCDE et de l’Europe, émergèrent un certain
nombre de recommandations internationales, dont le LMD et le processus dit de
Lisbonne avec pour horizon 2010. En termes de calendrier, nous y sommes. Et en
termes de résultats ?

En France, en 2005, les Inspections générales publièrent un rapport inquiétant
montrant que l’on sait peu des acquis des élèves et que dans le système éducatif, de
haut en bas, nul ne semble s’en soucier. Le N° 43 de la revue du CIEP de Sèvres,
publié en janvier 2007, montre ce qu’il en est dans un certain nombre d’autres pays
très différents les uns des autres. Toujours en 2005, l’Europe arrêta une liste de 8
compétences clés pour les systèmes éducatifs et en France, la loi d’orientation de
2005 créa le « socle commun de connaissances et de compétences » ainsi que le Haut
conseil de l’éducation (HCE) dont je dirai un mot plus loin.

5. Sur la forme scolaire

La forme scolaire actuelle est largement celle héritée du XIXe siècle. Adaptée sans
doute avant la massification et les évolutions sociétales de la seconde moitié du XXe
siècle, elle a dépassé ses limites sans que ne se dessine celle qui lui succédera.

Les apprentissages des élèves aujourd’hui résultent des effets de trois sous-systèmes non
articulés. Au système scolaire formel, au sein duquel nous agissons et que nous
connaissons bien, s’en ajoutent désormais deux autres à l’influence en expansion.

D’abord un système non formel fait de cours particuliers et d’officines ayant pignon
sur rue, avec des chiffres d’affaire en croissance phénoménale. Suivant les études,
seraient concernés entre 700 000 et 2 millions d’élèves, principalement des classes
moyennes. On dit que ce « marché de l’angoisse scolaire » représenterait 2 milliards
d’euros. S’ajoute à cela les quelque 4,5 millions de cahiers de devoirs de vacances
dont l’IREDU a mesuré les effets positifs pour les mathématiques. Enfin, plus de
100 000 élèves de nos établissements scolaires s’inscrivent au CNED dont ils
attendent des formes de soutien scolaire. On doit ajouter à cela le travail essentiel fait
dans certaines communes, par des associations qui accueillent des élèves, souvent
issus de classes défavorisées, après les heures scolaires. Beaucoup complètent leur
action destinée aux élèves d’activités en direction des parents.

Existe aussi et se développe encore plus vite un système informel principalement
basé sur l’usage d’Internet, à travers des portails, des sites spécialisés, les uns
gratuits, les autres payants. Leur développement depuis trois ans est fulgurant. Ils
offrent des possibilités d’accompagnement totalement individualisé, des travaux faits
à la demande, l’aide de Blogs de professeurs, des accès au savoir « à la carte ». Nous
savons qu’aujourd’hui, les élèves passent plus de temps sur Internet qu’à regarder la
télévision, pas seulement pour travailler leurs devoirs bien sûr !

Quel équilibre, quelle articulation entre ces trois systèmes ? Quelle cohérence ? Qui
veille sur l’ensemble ? Personne ou presque, sauf les usagers que sont les élèves et
leurs familles. Quand nous évaluons les élèves, nous mesurons les effets de quel(s)
système(s) ? Faut-il s’étonner que les lycéens se soient montrés performants au Bac
2006 malgré les grèves de cette année là et celles des deux années précédentes ? Les
élèves et leurs familles ont su efficacement tout utiliser. Ils bâtissent des scenarii
individuels et personnels, utilisant tout ce qui est désormais disponible.

La coupure entre l’École et les pratiques sociales ne cesse de croître. Des craintes
s’expriment de voir que l’École hors l’École se développe sans l’École (tout en
faisant largement appel à ses professeurs payés en heures supplémentaires).

J’espère qu’il est encore temps de réagir. Pouvons-nous rester à côté des ces
évolutions et attendre de savoir vers quoi elles nous dirigent ? Faut-il renoncer devant
l’empirisme et le pragmatisme ? N’est-ce pas à nous, professionnels de
l’enseignement, de construire la forme scolaire du XXIe siècle.

6. Retour sur les acquis des élèves

Dès le début des années 1980, j’avais compris l’intérêt de faire des comparaisons et
des études : entre pays, mais aussi au sein d’un pays et pour suivre les évolutions
dans le temps d’une discipline, d’une classe, d’un établissement.

Par exemple, j’avais
facilement perçu l’importance de la compétition mathématique australienne
( NDLR : Une brochure coéditée par l’Apmep
est consacrée au Concours Australien de mathématique et y est disponible)
 [12].500 000 élèves volontaires (payant une somme symbolique de l’ordre de un euro).Dans ce pays de 20 millions d’habitants, en marchant dans la rue, une personne sur
40 croisées participe à cet évènement national chaque année ! On comprend la
somme d’informations utiles (globales, fines, évolutives) que les enseignants de
mathématiques peuvent en retirer (chacun reçoit les informations concernant sa
classe et d’autres informations plus larges) et le formidable feed-back donné aux
élèves et à leurs familles, ainsi qu’à tous les responsables des systèmes éducatifs [13].

En France, peut-on piloter et agir sans savoir où en sont les élèves, qu’il s’agisse
d’une classe, d’un établissement, d’une académie ou du pays ?

Dans le rapport déjà évoqué sur les acquis des élèves (2005), les Inspections
générales françaises montraient que le fonctionnement de notre système pédagogique
repose sur des notations, des moyennes et des compensations incessantes. Non
seulement ces moyennes n’ont pas de sens, mais on se livre à des moyennes de
moyennes qui en ont encore moins ! Les Inspections générales dénoncent cette
« dictature de la moyenne » (on n’est pas loin de la « constante macabre » d’André
Antibi) et de la compensation généralisée. Que sait faire un élève qui a 10 ? Quelle
signification, par exemple, accorder au Brevet en termes de compétences ? En
mathématiques, que sait faire un élève qui a réussi le Bac S ?

D’autres pays ont fait des choix différents. Par exemple, en Finlande, la notation
arrive tardivement dans la scolarité. Par contre c’est l’un des pays où il se pratique le
plus d’évaluation pédagogique et où l’évaluation des établissements est annuelle et
publique.

7. Le socle commun de connaissances et de compétences

Avant d’évoquer le socle commun de connaissances et de compétences, je crois utile
de présenter brièvement le Haut conseil de l’éducation, créé par la loi d’orientation
d’avril 2005. C’est une « Autorité administrative indépendante ». La France compte
désormais une quarantaine de telles autorités : le CSA, le CNIL, la HALDE, une à
une créées par le Parlement en trente ans. Le HCE comprend 9 membres, nommés
pour 6 ans (trois par le Président de la République, deux par le président de la
Chambre des députés, deux par le président du Sénat et deux par le président du
Conseil économique et social), non renouvelables et non révocables ; c’est en ce sens
que le HCE est « indépendant ». Son président [14]
est désigné par le Président de la
République. Le HCE n’est placé sous aucune autorité hiérarchique. Il est doté d’une
infrastructure légère et de moyens autonomes de fonctionnement. Il possède un site

Selon la loi, le HCE a trois missions. Chaque année, il remet au Président de la
République un rapport, public, sur les résultats de l’École. Son premier rapport, au
printemps 2007, portera sur deux sujets : l’enseignement primaire et l’orientation.

Dans ses rapports annuels futurs, parmi d’autres thèmes, il reviendra sur la mise en
œuvre du socle commun et sur la formation des enseignants, appréciant leur mise en
œuvre, les difficultés rencontrées, les résultats obtenus. Sa deuxième mission est de
formuler des avis sur les expérimentations telles qu’elles sont prévues par l’article 34
de la loi d’avril 2005 et qui marque une grande nouveauté. Il commencera à le faire
courant 2007. Enfin, le HCE est amené à formuler des avis sur saisie du ministre de
l’Éducation nationale. Ce fut le cas pour le socle commun et la formation des
enseignants.

La loi d’avril 2005 prévoyait la publication d’un « socle commun de connaissances
et de compétences
 » sous la forme d’un décret du Premier ministre valant
engagement de la Nation sur les résultats de son École. Désormais le Ministre devra
venir devant le Parlement pour rendre compte de sa mise en œuvre et de ses résultats.

Tous les trois ans, il présentera un rapport.

Après avoir procédé à de nombreuses auditions d’acteurs divers et d’experts
étrangers, reçu de nombreuses contributions écrites, le HCE a préféré, avant de
formuler son avis sur le projet de décret, remettre au Ministre des recommandations
sur le texte à venir et sur lequel le Haut conseil formulerait son avis. Le Ministre
accepta la méthode ainsi que le calendrier proposés, ce qui permit au HCE, dans un
premier temps de transmettre ses recommandations (votées à l’unanimité) puis un
avis favorable (toujours à l’unanimité) sur le projet de Décret qui s’inspirait
largement de nos recommandations.

Le HCE avait retenu comme important que les compétences soient transversales, que
toutes les disciplines enseignées puissent leur apporter leur contribution et surtout
que l’évaluation se fasse sans compensation entre les compétences, l’ensemble du
socle ne constituant pas la totalité de l’enseignement.

Si des sujets s’avérèrent très délicats et facilement polémiques car passionnant la
société civile, les chercheurs, les enseignants, les employeurs, les associations,
comme l’enseignement des langues vivantes et plus particulièrement de l’anglais, le
sens à donner à l’enseignement de l’Histoire, les questions de citoyenneté,
d’éducation, le «  vivre ensemble », d’autres comme les sciences et les mathématiques
dégagèrent des consensus assez clairs. Sans révéler ce qui n’a pas à l’être, vous ne
serez pas surpris de savoir que l’audition de Jean-Pierre Serre fut un riche moment
d’intérêt et de bonheur pour les membres du Haut conseil.

L’importance à accorder très tôt aux mécanismes et algorithmes, à la mémoire, au
calcul mental, aux quatre opérations fut citée lors de nombreuses auditions, sur la
base d’arguments scientifiques éclairants. De même que le sens des énoncés vrais en
sciences expérimentales comme en mathématique avec en plus, pour notre discipline,
la place centrale de la rigueur et de la démonstration.

À en croire les historiens de l’éducation comme Claude Lelièvre ou Antoine Prost, la
mise en place du socle commun avec tout ce que cela entraîne en termes de réécriture
des programmes, de production d’outils d’évaluation, de dispositifs
d’individualisation des apprentissages, d’information du grand public, d’actions en
directions des parents d’élèves, de formations des cadres et des enseignants, etc.
nécessitera une quinzaine d’années.

En d’autres termes, les chantiers sont devant
nous, à commencer celui de la formation des enseignants.

8. La formation des enseignants

Poursuivant son travail par ce second chantier, le HCE a commencé par dégager
quelques principes simples, mais essentiels. D’abord, la nécessité de cohérence avec
le socle commun ; nous parlerions sans doute d’isomorphisme. Ensuite, la nécessité
de prendre en compte les évolutions internationales de l’enseignement supérieur, en
particulier le LMD, les Masters et les ECTS, mais aussi la formation tout au long de
la vie (et de la carrière) et la validation des acquis de l’expérience. Enfin, pour la
France, une donnée inchangée, l’une de ses spécificités : la place et la nature des
concours de recrutement.

La méthode de travail choisie est la même que pour le socle : nombreuses auditions,
en vue d’aboutir à des recommandations au Ministre) [15], puis à un avis [16]sur le
projet d’arrêté qui présentera le Cahier des charges de la formation des enseignants
aux universités dans leur rôle nouveau.

Dès le début des réflexions qu’il poursuit, le HCE a considéré comme fondamental
que « l’État-employeur » qui s’apprête à confier la formation des enseignants aux
universités (comme dans la majorité des pays développés), leur fasse confiance et
soit clair sur ce qu’il attend d’elles en termes de compétences professionnelles des
enseignants. L’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur en
cours de création [17]. lui offre l’outil d’évaluation dont il a légitimement besoin.

Enfin, il nous semble essentiel d’imaginer un dispositif de formation après le
baccalauréat sur au moins sept années, incluses les deux premières années d’exercice
du métier comme enseignant titulaire.

D’ici quelques mois, si vous me sollicitez, je pourrai venir vous commenter ces
travaux et leurs débuts de mise en œuvre.

Le diable gît dans les détails, les réformes réussissent ou trébuchent sur leurs
conditions de mise en actes au niveau local. La « plomberie » est donc essentielle.

Les IREM le savaient. Ils ont transmis ce message aux MAFPEN, plus tard aux
IUFM et aux rectorats. Ils sont bien placés pour irradier les universités. Les
coopérations diverses auront une importance première. Je suis convaincu que
l’APMEP, qui a toujours agi « de la maternelle à l’université », porteuse
d’innovations, d’expérimentations, de recherches, d’échanges de pratiques, jouera
sur ce registre un rôle encore plus conséquent que par le passé.

Notes

[1Ancien recteur. Membre du Haut conseil de l’éducation.
Courriel : alain.jbouvier@wanadoo.fr

[2Le lieu (un ancien moulin) peut être visité (une plaque commémorative est posée sur le mur
d’entrée) et ce village médiéval, à lui seul, mérite le détour.

[3Au moment où fut prononcée cette conférence, le HCE n’avait pas encore formulé ses
recommandations sur la formation des enseignants, ni son avis sur le projet d’arrêté concernant
le Cahier des charges.

[4Selon l’expression de Jean Fourastié

[5Pour être précis, en 1982, 14% de la population française possédait un CAP, 8% le
Baccalauréat et 8% un BTS, une licence ou plus. La France était alors en retard par rapport
aux autres pays de l’OCDE. Pendant dix ans, elle progressé puis a connu une « panne » qui se
poursuit depuis 15 ans

[6Journée d’appel de préparation à la défense : www.defense.gouv.fr

[7Une classe d’âge représente environ 750 000 élèves.

[8Et une augmentation régulière du budget de l’Éducation nationale.
.

[9Que vaut l’enseignement en France, 2007, Stock, Paris

[10Contre beaucoup d’idées reçues, trois ans après leur sortie du système, 20% des élèves qui
sont allés jusqu’au Bac mais ne l’ont pas obtenu sont au chômage. Deux fois plus (en
pourcentage) que ceux qui ont un CAP. Il faut le faire savoir.

[11Ce n’est pas le cas du collège (nous sommes dans la moyenne) et surtout pas de
l’université où nous sommes très loin du peloton de tête

[12CONCOURS AUSTRALIEN DE MATHÉMATIQUES, Énoncés, corrigés, taux de réussite
Brochure n° 451)

[13Chaque province est autonome pour les questions d’enseignement, mais toutes participent
volontairement à la compétition.

[14Bruno Racine.

[15Rendues publiques le 31 octobre 2006, cf. : www.hce.education.fr

[16Le 04 12 2006, cf. : www.hce.education.fr

[17L’AERES a été créée en mars 2007

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