Première S et médaille Fields

tribune parue dans le quotidien Libération
le 11 octobre 2010

 

Doit-on déceler une quelconque corrélation entre la capacité que possède une nation à obtenir un nombre conséquent de médailles Fields (équivalent du prix Nobel pour les mathématiques) et la formation mathématique dispensée au lycée ? La France est un pays singulier qu’il est bon d’étudier : au sommet, 11 médailles Fields sur 52, obtenues par des Français depuis 1936 ; deux Français lauréats en 2010 de cette distinction majeure. A la base et dans le même intervalle de temps, un bachelier scientifique français peut accéder directement en deuxième année universitaire américaine. Le baccalauréat français est reconnu comme d’excellent niveau dans de nombreux pays. Corrélation ou hasard ? Le but de cet article est d’alerter l’opinion publique sur les méfaits que va engendrer la réforme du lycée qui se met en place. Examinons les faits.

Nos médailles Fields sont issues d’un lycée où la filière scientifique offrait 6 heures de mathématiques en classe de première S et 9 heures en terminale jusqu’à la fin des années 90. La réforme actuelle prévoit une première S à 4 heures de mathématiques par semaine, et une terminale S à 6 heures (+ 2 heures d’options pour quelques-uns). La perte, en une génération, est de 3 heures dans le meilleur des cas, de 5 heures dans le pire. L’équivalent d’une année d’enseignement. Face à ces chiffres explicites, les élèves, leurs parents et la communauté enseignante mesurent l’ampleur des dégâts à venir. Est-ce le cas d’un ministère qui oppose à tous des arguties pseudo-pédagogiques, pour une meilleure « efficience » de l’enseignement, pour une plus grande adaptabilité des professeurs ? La réponse est assurément négative.

Il est bon toutefois de ne pas limiter le constat à la seule perte horaire. Il est urgent de repenser une réforme du lycée ambitieuse, avant 2012. Celle-ci doit reposer sur deux piliers fondamentaux : les humanités classiques, humanistes, économiques ; les humanités scientifiques et technologiques. Ces deux voies doivent être équilibrées dans les contenus enseignés. À la première, un enseignement d’excellence en littérature, philosophie, sciences humaines et économiques est nécessaire. À la seconde, un enseignement en mathématiques, sciences expérimentales et technologiques, doit alterner les apprentissages théoriques et les travaux pratiques. Aux deux, l’horaire des spécialités disciplinaires doit être majoritaire. La réforme actuelle va exactement dans le sens contraire.

A cette base, il convient d’apporter les éléments indispensables d’une culture scientifique aux littéraires et d’une culture humaniste aux scientifiques. Les débats autour de la grippe A ont montré que, s’il ne faut pas laisser aux seuls politiques les décisions concernant un domaine qu’ils ne maîtrisent pas, il n’est pas non plus envisageable que les scientifiques soient démunis d’éléments épistémologiques face à leurs responsabilités. L’excellence affichée par le ministère ne se réalisera pas dans cette réforme, à cause du déséquilibre des séries que la paupérisation des enseignements fondamentaux accentue. Si des dispositifs d’accompagnement personnalisé sont souhaitables pour un lycée qui doit tenir compte de l’hétérogénéité des élèves, cela ne peut être au détriment des contenus disciplinaires.

La formation scientifique et mathématique au lycée n’est pas une charge, mais un investissement pour l’avenir, que nos médailles Fields symbolisent. Lorsque 300 années sont nécessaires pour démontrer un théorème, le lien scientifique générationnel est extrêmement fort. La formation au lycée doit faire perdurer cet état d’esprit. La France, seconde mondiale en médaillés Fields, doit rester sur le podium, face à la concurrence de pays comme la Chine ou l’Inde. Ne laissons pas la première S, promise pour 2011, devenir son talon d’Achille.

 

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