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Organiser l’enseignement d’une année par des questions qui lui donnent du sens.

L’organisation d’un enseignement se fait en général à partir de contenus ce qui
aboutit à des chapitres séparés, avec un travail de techniques pour elles-mêmes. Cette
manière de voir l’enseignement s’avère de moins en moins efficace. Pour motiver
notre enseignement, nous proposons de faire réellement des mathématiques, à partir
de situations de la vie des hommes. Notre approche consiste à organiser
l’enseignement d’une année non sur les contenus et techniques, mais sur des
questions auxquelles ceux-ci répondent. En sixième l’année a été ainsi réorganisée
autour de l’étude de six grandeurs et de quelques questions.

Préambule

Dans la société actuelle les mathématiques sont souvent contestées. Par exemple,
en novembre 1999, Claude Allègre ne déclarait-il pas : « Les maths sont en train de
se dévaluer de manière quasi inéluctable. Désormais, il y a des machines pour faire
les calculs ». De plus la société et l’élève acceptent de moins en moins de faire des
maths pour les maths : sommer des fractions, développer et factoriser, étudier les
variations d’une fonction, la convergence d’une suite ou l’indépendance d’une
famille de vecteurs. Au quotidien, chaque professeur est confronté à la question « À
quoi ça sert ? ». Face à ces constats, Yves Chevallard propose un renversement : « Ce
n’est pas la société qui se sépare de l’école mais l’école qui se sépare de la société ».

Si on utilise l’échelle ci-contre, issue de ses travaux, on voit que tout
sujet traité en classe
devrait pouvoir s’inscrire dans cette échelle et en
particulier être relié de manière lisible par le système éducatif (en
particulier par les élèves) soit à la société ou bien à un fait de civilisation.
Faute de pouvoir le faire, et ce, quelle que soit la discipline, l’étude du
sujet est coupée des maillons les plus importants : la société et la
civilisation. Et toujours la même question de la part de l’élève : à quoi ça
sert ce que je fais en classe ? Autrement dit, les savoirs enseignés semblent
purement scolaires et ne semblent utiles qu’à réussir scolairement.

Le système éducatif dans son ensemble s’aperçoit que l’école
dysfonctionne. Pour y remédier, on crée des « activités » ou des structures
où on va rencontrer la « vraie » société ou la civilisation : IDD, TPE, MPS,
sorties scolaires, éducation à… Mais tous ces palliatifs ne nous semblent
pas aller dans la bonne direction, car ils font apparaitre, de façon encore
plus criante, les cours disciplinaires comme les lieux où l’on ne fait pas des
choses intéressantes.

Comment réagir ? Que proposer ?
Notre point de vue est que notre enseignement est trop découpé en contenus et
compétences, qui sont alors travaillés pour eux-mêmes. Cela donne une organisation
de l’année (ou du semestre) en chapitres étanches, où l’élève travaille techniques et
concepts pour eux-mêmes, sans savoir où il va. C’est la perte du sens. Selon les idées
d’Yves Chevallard, nous proposons de centrer notre enseignement sur des questions
à fort pouvoir générateur (QFPG), que nous appelons « grandes questions », qui vont
engendrer des études et recherches organisées en parcours (PER) où les différents
items du programme vont intervenir.

La difficulté est de trouver de grandes questions sur lesquelles nous appuyer.
Après hésitations, nous les avons prévues très globales, permettant de piloter non
l’étude de telle ou telle notion (chapitres étanches), mais toute une année. L’étude n’a
pas pour but de répondre totalement à la question, mais de faire fonctionner des outils
(les concepts et méthodes du programme) qui donnent des réponses partielles. Ainsi
concepts et méthodes interviennent plusieurs fois, ce qui permet leur
approfondissement tout au long de l’année…

Notre souhait est de faire des propositions qui peuvent être appliquées
efficacement par tout enseignant. Que chacun soit libre d’organiser ses études et ses
activités à sa guise, donc de réagir aux imprévus. Seule la solidité de l’organisation
mathématique compte.

1. Le travail du groupe collège de l’IREM de Poitiers

Notre but est d’organiser l’enseignement à un niveau donné autour de « grandes
questions », et de proposer des documents montrant comment les faire vivre dans des
parcours qui les étudient et leur cherchent des réponses (PER). Nous désignons par
« grandes questions » des questions visant à résoudre une classe générale de
problèmes qui se posent ou se sont posées aux hommes et pour lesquelles les
mathématiques ont construit des réponses.

Au niveau de la classe de sixième, ce projet est réalisé autour de quelques
questions, tournant autour des grandeurs. Trois brochures sont déjà publiées, sous le
titre « Enseigner les mathématiques en sixième à partir des grandeurs » : les angles,
les durées, les aires.

  • 1.1. Domaines et grandes questions
    De quelles questions s’occupent les domaines des mathématiques que sont la
    géométrie, l’analyse, les statistiques, les probabilités, … ? Cela suppose une étude
    historique et épistémologique des grands domaines des mathématiques. C’est cette
    étude de ces domaines qui nous a amenés à identifier des grandes questions propres
    à chaque domaine et des questions générales, transversales à plusieurs domaines
    (voir dans nos brochures l’annexe 1).
    En sixième nous en avons choisi quatre principales :
  • Comment comparer ? Comment calculer  ?
  • Comment construire ? Comment dénombrer ?
    Ce sont les réponses à ces questions qui amènent à créer des notions mathématiques
    et à les faire vivre. Donc, c’est dans l’étude des réponses à ces questions que l’on voit
    où vivent les notions et les techniques mathématiques.
  • 1.2. Contextes et grandes questions
    Dans quels contextes les hommes ont-ils utilisé ou utilisent-ils les mathématiques au
    programme du niveau considéré ? Pour résoudre quels types de problèmes ? Cela
    suppose une étude de l’écologie des notions : où vivent dans la vie passée et présente
    des hommes les mathématiques au programme ?
    C’est cette enquête qui nous a amenés à choisir comme thèmes d’étude en sixième
    les grandeurs, car c’est là que vivent les mathématiques du programme. Les six
    choisies (angles, durées, aires, prix, volumes, longueurs) permettent de rencontrer
    tous les contenus du programme, et souvent plusieurs fois (voir dans nos brochures
    l’annexe 4).
    Pour chaque thème, les types de problèmes rencontrés, liés aux types de tâches utiles
    à connaître, permettent de spécifier les grandes questions, et d’en dériver d’autres, ce
    qui nous fournit les grandes questions qui vont être le sujet de l’étude en classe, et
    donc la finalité du parcours d’étude et de recherche (PER) mis en place.
    Pour chaque thème, cette enquête, sans cesse renouvelée, nous permet de fabriquer
    une banque évolutive de situations où vivent les grandes questions à étudier.
  • 1.3. Contenus des programmes et grandes questions
    Quelles questions et quels contextes mettent en avant les programmes ? En quoi se
    démarquent-ils des programmes précédents ? Comment sont justifiés les choix des
    contenus des programmes ? Cela suppose une étude de l’histoire de l’enseignement
    des mathématiques.
    Les programmes actuels insistent sur la nécessité de faire travailler sur des problèmes
    dans des situations riches aux contextes variés : «  Les problèmes proposés sont
    issus de la vie courante, des autres disciplines ou des mathématiques. » (Programme
    de sixième). « Les situations proposées dans ce cadre sont issues de domaines très
    variés : géométrie plane ou dans l’espace, biologie, économie, physique, actualité
    etc.
     » (Programme de seconde).
    Par contre ils sont muets sur les grandes questions que devraient savoir résoudre les
    élèves : les tâches à résoudre qui y sont décrites sont essentiellement techniques.

2.Organiser l’enseignement d’un niveau donné autour de « grandes questions ».

Dans un premier temps, il faut déterminer des thèmes, en petit nombre, où vivent les
contenus du programme. Pour la classe de sixième nous en avons choisi six : angles,
durées, aires, prix, volumes, longueurs.
Pour chaque thème étudié, il faut ensuite choisir quelques grandes questions qui vont
structurer son étude et des situations faisant vivre ces grandes questions (Cf. 1.2). Par
exemple le thème sur les angles aborde les trois questions suivantes : Comment
comparer des angles ? Comment partager des angles ? Comment mesurer des
angles ? Ces questions vont être étudiées principalement sur des situations de
construction et reproduction d’objets et de figures, de mesures de distances
inaccessibles, d’orientation sur terre, en mer, dans les airs. Ce qui n’exclut pas
d’autres situations de la vie : angles de tir, menuiserie, … (Voir le fascicule 1 sur les
angles)
Les types de tâche (comparer, partager, mesurer, …) associés à ces grandes questions
en découlent aisément. L’étude des réponses possibles à ces grandes questions en
situation permet de lister les contenus du programme qui interviennent (techniques,
notions, moyens de validation...)

3.Déroulement d’un thème

L’étude du thème est organisée autour de quelques grandes questions. Un temps de
dévolution de ces questions à la classe est prévu en début de thème. Par exemple pour
le thème sur les durées nous posons à la classe les trois questions suivantes : Quand
parle-t-on de temps ou de durée ? Comment mesure-t-on le temps ? Que faut-il savoir
faire avec les durées ? Ce qui va permettre de dire que dans ce thème nous allons
essayer de trouver des moyens pour comparer et calculer des durées.
Pour chaque grande question, l’étude se fait à partir d’une situation de départ ancrée
dans la vie des hommes. Par exemple pour le thème sur les prix, la question de la
comparaison des prix va débuter par l’étude du prix du lait ou celui de l’essence
L’étude de la situation de départ va permettre de trouver un certain nombre de
techniques et de notions pour répondre à la question : Comment comparer des prix ?
Le travail se poursuit à travers l’étude d’autres situations, éventuellement proposées
par des élèves. Ces nouvelles situations permettent de mettre à l’épreuve et
d’approfondir l’étude de la question, grâce à la variété des contextes, tout en
travaillant les techniques et notions déjà vues. Nous les choisissons dans une banque
que nous avons constituée pour chaque thème. (Voir la partie 4 de chacune de nos
brochures).
Le bilan de l’étude du thème met en avant les questions étudiées, les étapes de leur
étude et leurs enchaînements, les notions et techniques utiles pour y répondre. Par
exemple les trois grandes parties du cours sur les angles seront : 1. Comparer des
angles, 2. Partager des angles, 3. Mesurer des angles. Définition, notation, méthodes
et outils de comparaison et de construction (sans rapporteur), symétrie axiale se
retrouveront dans la partie 1. Bissectrice, constructions dans la partie 2. Unités,
rapporteur, méthodes pour mesurer un angle et construire un angle de mesure donnée
seront le contenu de la partie 3. (Voir le fascicule 1 sur les angles).

4. Déroulement de l’étude d’une question

Les étapes du parcours d’étude de la question et de recherche de réponses (PER) sont
liées aux choix faits par le professeur en fonction de la situation de départ et de ce
qui se vit dans la classe. Les différentes situations étudiées amènent à envisager
l’étude d’autres questions en lien avec la question génératrice du parcours, ce qui
engendre une organisation mathématique de l’étude. Par exemple l’étude des angles
d’un cerf-volant amène à envisager la question : comment construire des figures
ayant des axes de symétrie ?
Les outils utilisés par les élèves pour traiter les situations étudiées doivent faire la
preuve de leur pertinence, et non de la volonté du professeur à les voir utilisés. Les
situations étudiées sont en ce sens a-didactiques. Par exemple, pour calculer la
superficie du port des Minimes à la Rochelle à partir d’un plan, l’enjeu sera bien de
trouver un résultat sensé, que l’élève utilise un quadrillage ou divers découpages, et
non de vouloir faire utiliser une méthode de décomposition simple, par exemple ôter
un triangle rectangle d’un rectangle. (Voir le fascicule 3 sur les aires).

5. Déroulement du parcours

Les techniques ne sont pas travaillées pour elles-mêmes, mais de façon
contextualisée dans l’étude de diverses situations, issues de la banque du thème qui
contient des problèmes relevant du même type de tâche : la banque de situations est
en effet organisée selon les trois ou quatre grandes questions qui structurent
l’organisation mathématique du thème. Par exemple, c’est pour comparer les
performances d’élèves dans une course d’endurance ou pour construire un graphique
de la durée du jour sur une année que l’élève va refaire de nombreuses fois des
soustractions avec des expressions numériques variées : cela nous semble mieux que
les dix exercices correspondants d’un exerciseur.
Le bilan de cours est fait au fur et à mesure lorsque l’enseignant le juge nécessaire.
Les sujets d’évaluation sont eux aussi issus de la banque de situations et portent donc
sur les mêmes types de tâche.
Que ce soit lors de l’étude ou de l’évaluation, nous privilégions l’étude de situations
où l’élève a le choix entre plusieurs démarches et techniques qu’il doit expliciter et
justifier, ce qui, de notre point de vue, va dans le sens de la mise en oeuvre de
compétences. Les exemples de travaux d’élèves, en classe, en devoir maison ou en
contrôle, que nous donnons dans nos brochures et articles le montrent bien. (Voir la
documentation donnée en fin d’article).

Conclusion

À partir de quelques grandes questions en lien avec la vie des hommes, nous
essayons d’organiser l’année en thèmes et parcours où l’étude de ces questions
amène à construire les savoirs et techniques au programme comme réponses à ces
questions. Nous l’avons fait pour la classe de sixième, et nous sommes en train de le
faire pour la classe de cinquième. Nous tenons à mettre en avant que cette démarche,
que nous proposons, est intégrative des compétences du programme qui retrouvent
ainsi une place naturelle qui leur donne du sens.
Vous pouvez en voir une mise en œuvre dans la classe sur le thème des volumes
en sixième en lisant l’article paru dans la revue Repères IREM n° 76 et consultable
en ligne. (Voir la documentation donnée ci-dessous). D’autre part, aux Journées
nationales de Paris, en octobre 2010, deux ateliers ont été proposés pour montrer des
exemples de traitement de nos chapitres en classe de sixième :
 un sur les durées (« Les durées : un thème pour traiter le travail sur les nombres en
sixième »), dont le contenu recoupe un article qui doit paraître en janvier 2011 dans
la revue Repères IREM, et qui est signalé dans la documentation ci-dessous ;
 un sur les angles (« De la fausse équerre à la construction de figures : une nouvelle
perspective pour enseigner les angles en sixième »), qui fera peut-être l’objet d’un
article dans le Bulletin Vert.

Enseigner les mathématiques à partir des grandes questions qu’elles ont été
amenées à résoudre permet aussi de mieux cerner quelles sont les connaissances de
base fondamentales, permet de rendre ces connaissances fonctionnelles et donc de
faire des choix éclairés, car toutes les compétences ne sont pas sur le même plan et
il est difficile de savoir celles dont l’importance est primordiale.

Documentation

Enseigner les mathématiques en sixième à partir des grandeurs

  • 1) Six fascicules à commander à : IREM de Poitiers, 40 avenue du Recteur Pineau,
    86022 POITIERS Cedex, http://irem.univ-poitiers.fr/irem : brochures en couleur, 11
    à 12 euros frais de port compris. Disponibles :
    • Fascicule 1 : les ANGLES (octobre 2009).
    • Fascicule 2 : les DURÉES (mars 2010).
    • Fascicule 3 : les AIRES (octobre 2010).
  • 2) Trois articles dans la revue Repères IREM :
     Les volumes en classe de sixième, Jean-Paul Guichard, Repères IREM n°76, juillet
    2009, consultable en ligne sur le Portail des IREM :
    (http://www.univ-irem.fr/spip.php?article=71&id_numero=76).
     Enseigner les mathématiques en sixième à partir des grandeurs, Fabrice Tarra,
    Repères IREM n° 78, janvier 2010.
     Des durées en sixième, Walter Mesnier, Repères IREM n° 82, janvier 2011 (à
    paraître).

Pour le lycée

On pourra consulter avec profit les fiches Publimath de ces deux brochures.

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